Si la Belgique éclate...

La crise entre Flamands et francophones prive depuis trois mois le royaume de gouvernement.

Belgique - des leçons à tirer...

Par JEAN QUATREMER - «Ce n’est pas tous les jours qu’on assiste à l’évaporation d’un pays», note, sidéré, un diplomate de haut rang en poste à Bruxelles. De fait, trois mois jour pour jour après les élections législatives du 10 juin, la Belgique n’a toujours pas de gouvernement et la crise entre Flamands et francophones de Bruxelles et de Wallonie est chaque jour plus profonde.


Tabou. Les sondages d’opinion montrent une radicalisation inédite des opinions publiques de part et d’autre de la frontière linguistique. Pour la première fois, la séparation entre le nord et le sud du pays n’est plus un sujet tabou. Un sondage paru la semaine dernière, dans les journaux économiques l’Echo (francophone) et De Tijd (néerlandophone), indique que 43 % des Flamands veulent leur indépendance alors que 88 % des francophones souhaitent que la Belgique reste unie.
La crise a éclaté au grand jour le 23 août, lorsque le Flamand Yves Leterme, ancien ministre-président de Flandre et grand vainqueur des élections législatives avec son parti démocrate-chrétien, le CD & V (V. pour Vlaams, «Flamand»), qui s’est présenté en cartel avec les indépendantistes du NV-A, a renoncé à former un gouvernement (1).
Pourtant, dans n’importe quel autre pays, la majorité de gouvernement aurait été évidente: pour les Flamands, le CD & V/NV-A et les libéraux de l’Open VLD, pour les Francophones, les libéraux du MR et les anciens démocrates-chrétiens du CDH, tous les quatre vainqueurs des élections. Mais cette coalition «orange bleue», les couleurs des deux familles politiques, a buté sur les questions «communautaires», c’est-à-dire sur le dépeçage de l’Etat, comme cela était prévisible.
Les partis flamands ont exigé un nouveau transfert de compétences du fédéral vers les régions, qui aurait concouru à transformer la Belgique en une simple confédération. Yves Leterme a ainsi proposé de fédéraliser en partie des compétences régaliennes, comme la justice, la fiscalité, la sécurité sociale, le code de la route, le statut des étrangers et l’acquisition de la nationalité, la sécurité civile, la politique économique, etc. Des revendications soutenues par près de 90 % des Flamands.
Joëlle Milquet, la présidente du CDH, et, beaucoup plus mollement, Didier Reynders, le président du MR, ont opposé une fin de non-recevoir aux demandes flamandes.
Les partis francophones, pour une fois unis - et soutenus par 60 % des citoyens de Bruxelles et de Wallonie -, ont exigé, en réponse, un agrandissement de la région bruxelloise à plusieurs communes limitrophes aujourd’hui en Flandre, mais peuplées majoritairement de francophones. But de l’opération : assurer la continuité territoriale entre Bruxelles et la Wallonie en prévision d’une éventuelle scission… Les partis flamands ont vu là une véritable «déclaration de guerre». Ambiance. Pour essayer de démêler cet écheveau, le roi Albert II a désigné un «explorateur», à la fin du mois d’août, le CD & V Herman Van Rompuy, président élu de la Chambre des députés, qui devrait remettre ces jours-ci son rapport.
La formation d’un gouvernement passera, quoi qu’il en soit, par un nouvel affaiblissement de la Belgique, même si les francophones clament à tout va qu’ils «ne sont demandeurs de rien». Car le CD & V ne peut pas beaucoup reculer, son triomphe électoral étant largement dû à son nationalisme. Et, en juin 2009, des élections régionales auront lieu. En outre, son allié indépendantiste du NV-A veille : s’il se séparait du CD & V, c’est le Vlaams Belang, parti d’extrême droite, qui deviendrait le premier parti de Flandre (et donc de Belgique…). Les partis francophones, eux, sont dans la même seringue : s’ils bradent les intérêts du sud du pays, ils risquent, eux aussi, d’en payer le prix fort.
Compromis. Bref, même si un gouvernement est formé à la suite d’un énième compromis boiteux, sa durée de vie sera extrêmement courte, la coalition risquant d’éclater au lendemain des élections régionales si les indépendantistes flamands de tout poil se renforcent, comme cela est probable. L’évaporation de la Belgique s’accélère.
(1) En Flandre, il n’est possible de voter que pour des partis flamands (sauf dans l’arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde) et en Wallonie pour des partis francophones. La Flandre, où 60 % de la population réside, a droit à 88 sièges sur les 150 que compte la Chambre des députés.
Crédit: Redvers sur flickr.com


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