Son Excellence détrônée

L'affaire Lise Thibault



Lise Thibault avait tenu, au début de son mandat, en 1997, à ce qu'on lui serve du «Son Excellence» plutôt que le «Son Honneur» dont se satisfaisaient ses prédécesseurs. À elle seule cette marque de prétention illustre bien le personnage.
L'Excellence quitte aujourd'hui dans le déshonneur et méprisée par ses sujets.
Ce scandale relance évidemment le débat sur l'utilité -ou l'inutilité- de l'institution. L'occasion est trop belle. Ce n'est pas demain toutefois que nous assisterons à une réforme constitutionnelle nous faisant passer à un régime républicain. Alors soyons pratiques.
Ce nouveau gaspillage débridé nourrira le cynisme dans la population à l'endroit de la classe politique, déjà exacerbé depuis le scandale des commandites et l'enquête Gomery. Lise Thibault, en plus de «se tirer du grand», de jouer à la reine, posait en effet en grenouille de bénitier, en communication directe avec son Dieu et ...les morts. Comme quoi, je suppose, on peut avoir une profonde spiritualité et des principes élastiques. Les deux ne semblent pas incompatibles. Pour nombre de Québécois cependant, la désillusion sera encore plus grande.
De telles dérives ne doivent pas rester sans suites: les payeurs de taxes ont le droit d'être remboursés et il est indécent que ces personnages qui profitent de leur statut et de l'immunité qu'ils s'arrogent, s'en tirent avec une plantureuse pension à vie pour toute sanction. Le Procureur général a à déterminer s'il y a matière à des poursuites judiciaires.
Le passage de Mme Thibault dans la fonction de lieutenant-gouverneur aura au moins inspiré le choix de son successeur. Stephen Harper a désigné un haut fonctionnaire de l'Assemblée nationale à la retraite, Pierre Duchesne. Ce dernier s'est d'ailleurs empressé de dire le jour de son assermentation qu'il placait son mandat sous le signe de la sobriété. Tous ont compris son message.
Le lieutenant-gouverneur devrait aussi être soumis à une reddition de comptes. L'époque est révolue où des seigneurs pouvaient envoyer paître ceux qui osaient poser des questions sur l'utilisation qu'ils faisaient des fonds publics. Il devrait être appelé à répondre aux questions des députés lors de l'étude des crédits du conseil exécutif. Depuis toujours les gouvernements signent des chèques aux représentants de la reine sans se mêler de la façon dont l'argent est dépensé.
Personnages de théâtre
Des lieutenants-gouverneurs ont joué ce rôle avec dignité mais avec simplicité et sans ostentation. Les Jean-Pierre Côté, Gilles Lamontagne, Martial Asselin, n'ont laissé que de bons souvenirs. La plus grande prudence est de mise dans le choix des bons types de personnalité pour incarner les représentants de la reine à Ottawa ou dans les provinces. À Ottawa, les Jeanne Sauvé, Adrienne Clarkson, se sont attirées de sévères critiques pour leurs coûteuses excentricités. Lise Thibault était de cette lignée. De fantoches, celles-ci se sont rapidement crues de véritables souveraines.
Et puisqu'il faut composer avec ces symboles, aussi bien les rendre utiles. Un lieutenant-gouverneur peut décharger un premier ministre de bien des activités protocolaires ou caritatives. Le chef du gouvernement peut aussi lui refiler des visiteurs qu'il n'a ni le temps ni le goût de recevoir. C'est ce que faisait Robert Bourassa, qui détestait les mondanités.
On ne peut penser sérieusement par contre qu'un lieutenant-gouverneur pourrait trancher une crise politique, en demandant par exemple au chef de l'opposition de former le gouvernement, à la suite du renversement d'un gouvernement minoritaire. Un tel scénario de politique-fiction a été évoqué récemment par des analystes quand le gouvernement Charest était en ballotage. Entre la théorie constitutionnelle et la «realpolitik», il y a un monde. Surtout au Québec. Le lieutenant-gouverneur n'a ni la légitimité ni l'autorité morale pour prendre une décision aussi lourde de conséquences. Les politiciens doivent dénouer l'impasse entre eux.
Qui aurait voulu que l'on s'en remette à Lise Thibault pour décider de «son» premier ministre?


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