Un témoignage percutant

Un témoin expert de l'intérieur explique les causes des pertes de 40 milliards de la Caisse en 2008 et dénonce les agissements des dirigeants de l'époque

Les bonnes questions n'ont jamais été posées aux bonnes personnes

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Une exclusivité de Vigile

Présentation de Pierre Gouin


Fort d’une expérience de plus de quinze ans en gestion de la dette au ministère des Finances, l’auteur a été embauché comme « Gestionnaire de portefeuille » à la Caisse de dépôt et placement du Québec à la fin de 2004, peu de temps après le changement de la loi sur la gouvernance de la Caisse.


Comme spécialiste, il a siégé au Comité de répartition de l’actif présidé par le chef de la Direction des placements, où se rencontrent mensuellement les vice-présidents impliqués dans la gestion des placements.


L’auteur a constaté des manquements aux bonnes pratiques de gestion dans son secteur d’activités, et, en l’absence de réponses satisfaisantes de ses supérieurs, il a fait part de ses critiques à un professionnel de la vérification interne de la Caisse en 2007.


Selon un témoin, le vice-président à la Vérification interne a très mal pris cette démarche. Non seulement n’a-t-il pas demandé à rencontrer l’auteur, il a plutôt divulgué à ses supérieurs ses propos pourtant censés être tenus confidentiels.


L’auteur a perdu son emploi à la Caisse dans le cadre de la vague de mises à pied du printemps 2009. 


Au cours de ses derniers mois à la Caisse l’auteur a également été témoin d’une importante opération de manipulation de l’opinion publique.


Après dix ans de silence, l’auteur veut témoigner du comportement inacceptable et suspect des dirigeants de la Caisse en 2008-2009, au moment où la Caisse perdait des milliards de dollars de plus que les fonds comparables. 


Témoignage de Pierre Gouin


Je tiens aujourd’hui à corriger la perception que les pertes exceptionnelles de la Caisse de dépôt et placement en 2008 ont résulté de circonstances exceptionnelles et que les dirigeants de la Caisse n’en ont été aucunement responsables. Une grande part de ces pertes sont survenues parce que des investissements ont été faits en contravention des règles de gestion existantes, et que les entités administratives responsables de s’assurer de la conformité aux règles de gestion et du contrôle des risques ont manqué à leurs obligations.

Je n’ai pas été impliqué dans les transactions de papiers commerciaux toxiques qui ont couté très cher à la Caisse, mais mon expérience personnelle avec le groupe de vérification interne illustre à la perfection la façon dont le fiasco a pu se produire sans que ce groupe n’intervienne. 


Je faisais partie d’une équipe qui gérait des portefeuilles d’environ dix milliards de dollars en produits dérivés. Nos positions étaient très liquides, et c’est pourquoi nous n’avons pas subi de pertes très importantes en 2008. 


Dès sa mise en place en 2005, je ne pouvais pas comprendre que notre processus ne respecte pas les principes qui s’appliquent normalement à ce type de gestion. Les meilleures pratiques étaient bien connues, et, lors de nos présentations aux vice-présidents de la Caisse et aux déposants, dans le cadre de l’approbation de notre modèle d’investissement, nous prétendions pourtant utiliser correctement les méthodes reconnues dans le domaine.


J’alerte la Vérification interne de la Caisse


Après des mois de discussions avec mon patron immédiat et deux rencontres, sans sa permission et sans résultat, avec le responsable de la Direction des placements, j’ai décidé de faire part de mes objections à la Vérification interne.


Le professionnel que j’ai rencontré a semblé bien comprendre que nous ne respections pas notre politique d’investissement, et que nos façons de faire comportaient des risques injustifiés. Il m’a fait part de son intention d’en parler à son patron, et je m’attendais à être convoqué dans les jours suivants à son bureau.


J’ai plutôt reçu un appel du service des ressources humaines m’informant que le VP à la vérification interne était furieux, qu’il voulait rencontrer Richard Guay, alors président du comité de répartition de l’actif, et qu’eux ne pouvaient que tenter de protéger mon identité. J’ai compris que ma carrière à la Caisse, et en finance, allait bientôt se terminer.


Il s’est écoulé plus d’un an avant que la Caisse procède à la vague de mises à pied qui m’a emporté. J’ai ainsi pu assister à la fin de 2008 à une opération de désinformation de la part de la Caisse dont je n’ai jamais compris les motifs.


La Caisse se lance dans une opération de manipulation de l’opinion


Rappelons tout d’abord que Richard Guay avait été nommé président et chef de la direction le 5 septembre 2008 et assumait la direction intérimaire de l’institution depuis le 30 mai 2008. Il était à l’emploi de la Caisse depuis 1995, notamment comme chef de la direction du placement (2006-2008) et premier vice-président, Gestion du risque et gestion des comptes des déposants (2002-2006). 


Or, Richard Guay a dirigé le Comité de répartition de l’actif jusqu’en mai 2009 alors que le nouveau président, Michael Sabia, bien au fait de la situation, répétait à tout vent que M. Guay avait été démis de ses fonctions et occupait un rôle de conseiller sans responsabilité depuis décembre 2008.


On dira que M. Guay ne décidait pas lui-même parce que ses décisions devaient être approuvées par la Direction. C’est une technicalité. Ce qui compte, c’est que les décisions mensuelles de Richard Guay quant à la répartition de l’actif global ont été appliquées intégralement jusqu’en mai 2009.


Ces décisions ont eu un impact très négatif sur les résultats de la Caisse pour la première moitié de 2009, des pertes de quelques milliards de dollars, alors que M. Guay s’entêtait contre toute logique à maintenir au plus bas la part des actions dans le portefeuille tandis les autres investisseurs profitaient des bas prix pour reconstituer leur portefeuille d’actions.


Pendant de longs mois, même si des liquidités étaient disponibles, la part des actions est demeurée bien en-dessous du plancher fixé par la politique de placement. L’argument utilisé pour ne pas acheter d’actions était que le prix des actions allait certainement s’effondrer de nouveau.


Curieusement, le prévisionniste en chef de la Caisse en poste depuis des années avait été remplacé dans les mois précédents par un économiste ayant peu d’expérience comme prévisionniste. On n’aurait pas pu faire dire à un prévisionniste expérimenté que tout le monde se trompe, et qu’il ne faut pas racheter d’actions.


Le plus grave, ce n’est pas la mauvaise gestion de portefeuille. C’est d’avoir gardé secrètement Richard Guay en poste en le tenant complètement à l’écart des médias alors qu’il était censé avoir quitté ses fonctions pour des raisons de santé. Pour quelle raison?


D’autres personnes sont en mesure de témoigner


Je m’attendais à ce que la Commission parlementaire spéciale de mai 2009 mette en lumière des faits troublants, ce qui aurait conduit à une enquête plus approfondie. Pourquoi cette Commission a-t-elle négligé de faire entendre des gestionnaires qui auraient pu mettre à mal le mythe officiel de la tempête parfaite?


Dix ans plus tard, j'ai décidé de sortir de l'anonymat pour venir témoigner de ce que j'ai vu. J'invite les autres employés de la Caisse qui ont été témoins de comportements inappropriés à se manifester pour contribuer au déclenchement d’une enquête complète sur ce triste épisode pour une grande institution qui avait la responsabilité de gérer le plus grand fonds de pension au Québec.



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1 commentaire

  • André Lemay Répondre

    6 septembre 2018

    Merci pour cet éclairage vu de l'intérieur de ce magma de magouillage qu'est devenu notre bas de laine.


    Si d'aventure d'autres en venaient à rajouter leur grain de sel, peut-être que les rouages de cette arnaque pourraient s'enrayer et, surtout, nous réveiller. Un souhait comme ça.


    Merci encore et, s'il vous reste du "jus", comme davantage de détails sur les modalités non-respectées.svp partagez. 


    Partager, exactement ce que je vais faire à l'instant.


    Encore merci.