MÉDIAS - CONTROVERSE

Une «entente secrète» qui irrite La Presse<br>Pas illégale, mais pas équitable

GESCA vs Quebecor

[->12857]Mathieu Bélanger - Dans un geste sans précédent, le journal La Presse a tenté de museler son principal concurrent, Le Journal de Montréal, en l'enjoignant de ne pas publier d'article concernant une entente de collaboration qui la liait à la Société Radio-Canada.
L'origine du litige est un texte intitulé Entente secrète La Presse-SRC, publié dans le journal indépendant Le Québécois, le 10 avril dernier, et qui faisait mention d'une entente de collaboration signée en 2001 entre La Presse et la société d'État.

Craignant de voir Le Journal de Montréal faire écho à cet article signé par le journaliste polémiste Patrick Bourgeois, La Presse a fait parvenir au Journal, le 11 avril, une mise en demeure l'enjoignant de ne pas reprendre les informations publiées dans Le Québécois, des informations qu'elle juge diffamatoires.
«Si votre journal entend publier quelque nouvelle relativement au papier de M. Bourgeois, soyez avisé que notre cliente (La Presse) vous tiendra responsable des dommages qui s'ensuivront», peut-on lire dans la mise en demeure.
Des spécialistes en éthique journalistique contactés par le Journal s'étonnent du geste de La Presse, le qualifiant «d'inédit» et «d'embêtant pour la liberté de presse».
«Un précédent dérangeant»
«Je comprends qu'il y a une guerre entre les deux principaux groupes de presse au Québec, mais de là à tenter de bâillonner et censurer un adversaire pour une histoire qui est d'intérêt public, voilà un précédent dérangeant, a affirmé Thierry Giasson, chercheur principal en communications politiques à l'Université Laval. C'est une démarche qui vient limiter la liberté de presse. C'est d'autant plus surprenant que ça vient d'une entreprise de presse. C'est très embêtant.»
Jointe par le Journal, la porte-parole de Gesca, Caroline Jamet, a indiqué que la mise en demeure n'avait pas pour but de brimer la liberté de presse de son concurrent.
«Tout ce qu'on a voulu faire par cette lettre a été de demander que les faits soient vérifiés avant la publication parce que nous savons que ceux publiés dans Le Québécois sont erronés», a-t-elle ajouté.
Mme Jamet soutient que les deux journaux se sont envoyé, par le passé, des mises en demeure de ce genre. Or, vérification faite, les seules mises en demeure envoyées de part et d'autre concernaient des articles déjà publiés ou encore l'utilisation du logo du concurrent sans permission.
Selon Marc-François Bernier, professeur de journalisme et expert en éthique journalistique à l'Université d'Ottawa, ce geste de La Presse est» inédit».» On a déjà vu des compagnies tenter d'empêcher la publication d'une nouvelle les concernant, mais à ma connaissance, jamais un média n'a entrepris un tel recours face à un concurrent», dit-il. Selon M. Bernier, le recours utilisé par La Presse est un témoignage de l'hyperconcurrence qui existe entre les deux groupes de presse.
Avant que le journal Le Québécois ne la publie, les détails de l'entente (signée par le président de La Presse, Guy Crevier, et Sylvain Lafrance, qui était alors vice-président de la radio française pour la SRC) n'avaient jamais été rendus publics. Seul un communiqué émis par Radio- Canada en 2001 avait annoncé les grandes lignes du partenariat.
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MÉDIAS - CONTROVERSE
Pas illégale, mais pas équitable
Mathieu Bélanger
Le Journal de Montréal 23-04-2008
Sans dire qu'elle est illégale, l'entente de collaboration signée en 2001 entre La Presse et la Société Radio-Canada ne répond pas aux règles d'une saine gestion des fonds publics, selon un spécialiste en éthique journalistique.
Cette entente, qui n'est plus en vigueur depuis 2003, liait les deux parties à une collaboration pour de la promotion croisée, la mise en commun des ressources pour la production de contenu, la mise en marché de produits médiatiques et l'organisation d'événements culturels.
«C'est un genre de PPP», lance Marc- François Bernier, professeur de journalisme et expert en éthique journalistique à l'Université d'Ottawa. Il fait aussi partie d'un groupe de recherche qui étudie la convergence au sein des entreprises de presse.
Selon lui, la société d'État n'a pas été équitable envers les autres entreprises de presse en s'associant avec La Presse, propriété de Gesca, division de Power Corporation.
Pas d'appels d'offres
«Ce qui m'étonne, c'est que Radio-Canada, une institution publique, n'a pas fait d'appels d'offres avant de s'associer avec La Presse, une entreprise privée, dit-il. Il me semble que ce n'est pas normal.»
La différence avec Quebecor, c'est que toutes les compagnies impliquées dans la convergence sont dans le secteur privé, note M. Bernier. «Quebecor n'utilise pas des fonds publics», précise-t-il.
Même si l'entente de 2001 n'est plus en vigueur, des ententes ponctuelles de collaboration existent entre les deux entreprises, affirment les porte-parole de La Presse et de Radio-Canada.
«Radio-Canada utilise des fonds publics pour faire la promotion d'une entreprise privée, soit La Presse, explique M. Bernier. Si la société d'État veut s'associer à une entreprise privée, qu'elle le fasse selon le protocole. C'est une question d'équité, elle doit s'ouvrir à toutes les compagnies privées.»
S'il n'en tenait qu'à Marc-François Bernier, la Société Radio-Canada resterait toutefois indépendante de tout joueur privé pour la production de ses produits d'information.
source
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