Une vision belgicaine du Québec

Chronique de José Fontaine

Mouvement ou parti pour parvenir à l’indépendance du Québec? La question mérite d'être posée. J’ai lu les arguments d’Andrée Ferretti (dont je me sens très proche parce que je n’ai jamais fait partie d’un parti politique autonomiste wallon ni d’ailleurs d’aucun parti politique). J’estime cependant trop Denis Monière pour lui donner tort à 100 %, notamment à cause du référendum référendum volé de 1995 au Québec. Mais il y a une autre question au-delà de ce débat dont les deux interlocuteurs sont conscients : la manière dont le Québec risque d'être détruit. Cela m'a frappé dans la mesure où l'un de mes compatriotes, ancien Délégué-général-de-la-Communauté-française-de-Belgique-et-de-la Région-wallonne-au-Québec (la longueur du titre est a été inventée par les Begicains pour empêcher la Wallonie d'exister comme le montre le Professeur Klinkenberg), s'attaque récemment aux souverainistes québécois.
Je ne suis pas belge
Ce que j’ai retenu du travail de comparaison entre la Wallonie et le Québec qu'a fait Christophe Traisnel, il y a quelques années, c’est cette autre question : un Etat peut-il parvenir à son indépendance par la seule voie de la démocratie? La réponse de Christophe Traisnel, c’est que, dans les démocraties mûries, parvenir à rassembler une majorité sur une option radicale, engageant dans une direction tout à fait différente du passé est extrêmement difficile. Il est difficile dans une démocratie de mettre en cause ce qui a été longuement (peut-être d’ailleurs en trompant mais sur la longue durée), acquis démocratiquement. L’UE par exemple, le Canada, la Belgique.

Je l’ai souvent dit ici, je ne suis pas belge. C’est évidemment la nationalité qui est indiquée sur mon passeport, mais c’est dans le cadre de l’Etat belge que la Wallonie a perdu le contrôle de son développement industriel. Dès 1850, la ville wallonne de Liège qui en aurait pu être la plaque tournante a été dépossédée de ce rôle dirigeant par Bruxelles où, avec l’appui du Palais royal, du Gouvernement et du Parlement, la haute banque s’est emparée des industries wallonnes qui étaient alors la deuxième économie avancée au monde. Les holdings belges francophones ont ainsi dirigé la Wallonie économique, gestion distante d’une bourgeoise qui ne s’est jamais sentie solidaire de la Wallonie et qui aux premiers signes du déclin dans les années 50 et 60 l’a purement et simplement laissé tomber. J'identifie les manifestants pour l'unité belge qui se raréfient chaque année aux derniers débris des descendants de ceux qui ont massacré la Wallonie (au même moment où ils massacraient le Congo). Si le mouvement wallon s’enracine dans la classe ouvrière au départ, c’est parce que, sous la direction du plus grand syndicaliste de notre histoire, André Renard, à l’occasion d’une grève générale inouïe, la proposition a été de substituer à cette classe dirigeante indifférente et à cet Etat hostile, une direction et un Etat wallons.
La conquête d’une majorité sur un point décisif dans une démocratie est ardue, c'est déjà très difficile sur des questions moins décisives. Mais s’il s’agit de changer d’Etat et de nationalité, la difficulté devient gigantesque, dans le cadre d’une démocratie mûrie où l’usage de la violence doit être exclu (mais à l’origine de ces Etats). Pour Traisnel, en Wallonie, le mouvement wallon n'a pas réussi à convaincre jusqu'ici les Wallons qu'il existait bien une identité wallonne justifiant l'existence d'une Wallonie autonome (dont les compétences ne font que croître : 0 en 1980, sans doute 65 à 70% en 2014). Alors que, au Québec, c'est l'inverse, il existe bien une identité québécoise, mais c'est la suite logique de cette identité, l'indépendance nationale, fait question. Dans l'un et l'autre cas, ce qui nous manque, c'est la souveraineté : sans elle, le Québec et la Wallonie tels qu'ils sont risquent de disparaître.
J'en trouve une nouvelle preuve dans un article d'un ancien Délégué général « belge francophone » au Québec, Pierre Ansay, mettant en cause la non-prise en compte, au Québec, du rapport Bouchard-Taylor (ménageant à la fois identité québécoise et interculturalisme).
Pierre Ansay donne l’exemple, au Québec, d’une communauté wallonne (en réalité), communauté qu'il appelle (évidemment) « d'origine ethnique belge » (sic). Bien qu’elle soit à 99% wallonne ou francophone, elle peut être l'objet de discriminations selon lui [[Québec, feu sur l’interculturalisme in Politique, mars-avril 2013, pp. 60-66.]]. Mais aurait l'avantage d'être, contrairement à d'autres arrivants, indifférente à ses racines culturelles, ce qui lui permet d’en abdiquer plus facilement tous les traits en public, pour ne plus les exprimer que dans le privé.
Mais ce qu'il laisse supposer de l'absence de toute communauté wallonne (même ici en Wallonie, a fortiori au Québec : les Wallons sont-ils indifférents à leurs racines culturelles ?), la manière dont il met en cause les attitudes de certaines parties de la société québécoise (qui racisent selon lui certains immigrants), est discutable à cause non pas des faits qu’il relate, mais parce qu’il ne semble pas vouloir voir dans quel contexte on les observe.
Une idée ravageuse pour le Québec
Pierre Ansay semble ne pas voir que l'identité ultime (tant politique que culturelle), n'est défendable que dans des pays souverains. La manière dont il nie l'identité des Wallons (du Québec ou d'ici), est le produit de ce que Michaël Billig appelle le nationalisme banal. Celui des Etats existants qui est aussi le seul à même, à mon sens, d'amener la société toute entière à se transformer en s'enrichissant des apports extérieurs de populations. On sait à quel point au Canada l'immigration est habilement manipulée contre le Québec, problème que nous avons moins en Wallonie, malgré une tendance bruxelloise indéniable à se considérer comme la seule Belgique vraiment multiculturelle, ce qui ferait des habitants de Bruxelles les seuls vrais Belges (et les seuls Belges ouverts). Ce nationalisme belge dans les médias (rendu facile du fait que le seul nationalisme supposé « légitime » est celui du passeport), nuit profondément à la Wallonie. Il arrive même (souvent), que la télévision publique mette en cause la pertinence des institutions qui ont permis à la Wallonie d’être autonome (de même d’ailleurs que la Flandre et Bruxelles). C’est parfois d’une violence invraisemblable.
Le nationalisme belge (comme le canadien), ne ferme pas du tout la porte aux Belges d'origine étrangère et c’est à approuver sans réserves. Mais ce nationalisme demeuré vivant malgré la transformation radicale de la Belgique joue contre le fonctionnement normal des entités fédérées que ce nationalisme est au fond incapable de considérer comme légitimes. De plus, comme au Canada, c’est le nationalisme supposé être le seul à même d’intégrer les gens venus de l’extérieur qui, le plus naturellement du monde tend à lier ceux-ci au contexte belge, ce qui ne peut se faire qu’au détriment des entités fédérées.

Le Québec doit être souverain…
L'interculturalisme pour être mené à bien suppose la souveraineté. Les entités subnationales désireuses de garder leur liberté et leur identité même en se modifiant au gré des nouveaux arrivants (et profondément), voilà une politique qu’il n’est pas possible de mener sans un pouvoir politique maximal. Pierre Ansay, qui connaît bien le Québec, repère ce qui lui semble une réaction malsaine à ce qu’il appelle la politique des accommodements raisonnables : « le cinéma québécois montre des figures paternelles pitoyables, la guerre des sexes, très dure et effrayante ici, la profusion des mythes dépressifs avec des héros loosers comme René Lévesque, la crainte de voir la langue française disparaître, les problèmes récurrents dus à l’absence de politique cohérente d’immigration dans un contexte de dénatalité des Québécois pure laine, la crainte de l’islamisation qui viendrait prendre la place de la laïcité après un long combat contre le cléricalisme à l’italienne, ces peurs et ces craintes sont surdéterminées et relayées par les médias avides de cas sensationnels. » [[Pierre Ansay, Québec, feu sur l’interculturalisme, pp. 63-64.]].
Je suis d’accord avec les conclusions de Pierre Ansay mettant l’accent sur le fait que, en Belgique (la position sur ces questions n’est pas la même en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre, là il ne fait pas la différence mais son discours se cantonne à la problématique bruxelloise, habitude très typique de la capitale belge), l’obstacle à l’interculturalisme, c’est une laïcité « à la française » et assimilationniste, voire une gauche qui, comme il le dit bien, « minore au nom des réels problèmes sociaux dont elle se veut le thérapeute exclusif, la question des blessures culturelles ». Je suis d’accord avec lui aussi (toujours pour ce qui concerne la Belgique ou plutôt Bruxelles), quand il met en cause « la droite traditionnelle et les tenants d’une identité culturelle à préserver ». [[Québec…, p. 66.]]. Mais je ne le suis plus quand il met en cause pour le Québec cette majorité québécoise qui objecte à Bouchard « qu’avant de construire une culture commune demain, il faut protéger aujourd’hui la culture majoritaire héritée d’hier et que les accommodements ne doivent pas saper le socle identitaire qu’on renforcera par l’établissement d’une citoyenneté nationale à construire .» La différence avec la Wallonie et Bruxelles, c’est que, au Québec, il y a un Canada menaçant, un Etat au fédéralisme impérial qui vise à détruire ce « socle identitaire alors que l’Etat belge ne mène pas un combat nationaliste contre la Wallonie et la Flandre. Certes, il peut y avoir des manœuvres sournoises comme d’inciter les personnes d’origine étrangères à dire qu’elles sont les derniers vrais Belges (un peu à l'instar des Bruxellois).
…parce que seule la souveraineté intègre ultimement
Mais dans le cas du Québec, quand l’on sait le cynisme avec lequel l’Etat canadien a réellement truqué le référendum de 1995, on ne tait jamais (comme P.Ansay le fait), que la menace qui pèse sur le socle de l’identité commune québécoise n’est pas de l’ordre du fantasme comme en France par exemple, mais représente le danger réel d’un adversaire déterminé, qui voit dans le Québec une menace claire de sa propre survie (le Canada sans le Québec n’est plus le Canada). Et le Canada s’y entend pour utiliser, par nationalisme, le problème de l’accueil des personnes étrangères au Québec : on l’a bien vu en 1995 (et les années précédente) avec ces nationalisations canadiennes offertes à tour de bras à des personnes d’origine étrangère qui spontanément ne pouvaient que s’identifier au Canada et donc voter NON à l’indépendance du Québec : une attitude inspirée par une xénophobie voire un racisme visant non des individus mais le Québec français. Pierre Ansay oublie que l’identité qui n’est pas consacrée par un passeport, donc juridiquement, ne bénéficie ni de la force, ni de l’éthique associée aux Etats démocratiques souverains. Force : j’ai dit plus haut « je ne suis pas belge » mais il n’est pas simple de le dire, j’en sais quelque chose. Ethique : l’affirmation d’une identité nationale autre que celle d’un Etat existant démocratique et libéral est non seulement faible de la faiblesse que je viens de dire, mais elle est aussi affaiblie moralement, dans la mesure où, contrairement aux nationalités reconnues, elle ne trouve pas à s’identifier largement à tout ce que suppose un Etat souverain et notamment un droit explicitement lié aux droits humains universels. Ce qui fait que toute identité dont on se prévaut sans qu’elle soit celle d’une nationalité existante, risque d’être souvent dénoncée comme raciste. Les Canadiens savent très bien que le Québec souverain serait un Etat juste dans ce domaine, mais ils savent aussi qu’ils peuvent l’affaiblir en répandant la calomnie que ce ne serait pas le cas s’il le devenait.
Dommage que Pierre Ansay ne le comprenne pas.

Featured 11746605790305d4d2500c52aa75121d

José Fontaine355 articles

  • 386 651

Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





Laissez un commentaire



1 commentaire

  • Claude Richard Répondre

    16 mars 2013

    "...la crainte de voir la langue française disparaître (...), ces peurs et ces craintes sont surdéterminées et relayées par les médias avides de cas sensationnels."
    Je ne sais pas si monsieur Ansay lit beaucoup la presse québécoise, mais je peux lui dire qu'en ce qui concerne le combat pour la langue française, hormis Le Devoir qui en parle de temps en temps, c'est le silence total dans les médias québécois. Dernier exemple, 200 anglophones se sont réunis dernièrement pour dénoncer une timide mise à jour de la Charte de la langue française qui n'affecte pas du tout leur statut de minorité la plus privilégiée du monde. Tous les médias en ont parlé et de façon parfois importante.
    Quelques jours après, près de 400 francophones se sont rassemblés en appui au renforcement de cette charte. A ma connaissance, seul Le Devoir l'a mentionné dans un article qui n'était pas spécifiquement consacré à cet événement. Depuis quelques années, le mot d'ordre semble être de parler le moins possible, non pas des peurs, mais des inquiétudes à l'égard de notre langue.
    Monsieur Ansay aurait intérêt à se remettre à la lecture et à l'écoute des médias québécois et à laisser de côté ses préjugés antinationalistes.