Dans La Presse du 15 juin, voici comment se terminait la lettre d'une lectrice remerciant la bonne Samaritaine qui lui avait rapporté son sac à dos perdu lors d'une balade à vélo: "N'est-ce pas une belle histoire, en ces temps de menteurs, de tricheurs, de fraudeurs, de voleurs, que de rencontrer des gens qui nous permettent d'espérer?"
Ouch. À qui ou à quoi pensait-elle? Qui sait? Mais disons que depuis le scandale des commandites, les réponses possibles sont nombreuses. Et de par le monde, les pratiques malhonnêtes d'une kyrielle de profiteurs révélées par la crise économique ajouteraient à la brochette d'exemples. Mais voilà, le problème est que ces pratiques ont été rendues possibles par des gouvernements qui ont trop souvent laissé faire. Et là, on touche à un gros bobo: cette tendance des gouvernements, depuis la fin des années 80, à se DÉLESTER d'une partie des pouvoirs que leurs citoyens leur confèrent pourtant à chaque élection! L'État n'est plus ce qu'il était.
Ce délestage en est aussi un de responsabilités. On le voit lorsque les élus pelletent des dossiers trop "délicats" dans la cour de juges non élus. Dans les partenariats public-privé. Ou dans cette propension à tasser la fonction publique dans le processus d'octroi de contrats. La Ville de Montréal, devenue l'exemple le plus troublant de cette pratique, demande à des firmes privées de choisir d'autres firmes privées pour des contrats publics lucratifs! Ce faisant, la Ville délègue à des non-élus très "intéressés" la distribution de fonds publics. D'où le parfum de possibles conflits d'intérêt.
Le délestage est dans cette remise constante par l'Assemblée nationale de l'adoption d'un code d'éthique. Comment se fait-il que le Québec soit un des derniers bastions au pays où un premier ministre peut changer les règles d'éthique comme il change de chemise? Bienvenue au Québec: terre de l'éthique à géométrie variable!
Le délestage, vous le voyez aussi à la période de questions. À Québec et à Ottawa. Atmosphère de cour d'école, refus systématique de répondre et syndrome chronique du "en face, ils ont fait pire que nous!". À Québec, les députés de l'opposition sont également soumis à un lexique particulièrement fourni en termes "non parlementaires". Peuvent pas dire "girouette", "tromper", "tricher", "mentir", "cacher", etc. Même pas lorsque c'est vrai. Et étayé. En confondant décorum et débat, ce lexique limite la liberté d'expression. Surtout, il infantilise les élus face à un président de l'Assemblée réduit trop souvent à jouer au préfet de discipline et au censeur.
BONJOUR LA POLICE!
Le délestage est dans le refus d'enquêter de manière publique lorsque ce serait nécessaire. L'excuse? S'il y a quelque chose d'illégal, la police s'en occupera! Comme si dorénavant, il fallait faire le 911 plutôt que d'aller voter! Ça me rappelle un certain Jean Chrétien. Dans le scandale des commandites, il disait non à toute enquête publique. S'il y avait quelque chose de croche, disait-il, il fallait "appeler la police" pour que des juges jettent les bandits "en prison"! "Bonjour la police? C'est le premier ministre du Canada. Pourriez-vous faire mon boulot à ma place? Merci. C'est gentil de votre part."
Même chose pour Jean Charest. La Caisse de dépôt perd 40 milliards de dollars, dont dix par mauvaise gestion? Pas d'enquête publique. Certains fonds d'investissement "régionaux" sont dirigés par des amis du régime et ont investi plus d'argent à l'extérieur des régions? Pas d'enquête. Québec s'apprête à mettre 42 milliards en infrastructures pendant qu'apparaissent des liens entre l'industrie de la construction et le crime organisé? Un vieux travers qui se réveille. Pas d'enquête.
Même le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, se cache derrière le bouclier de la police: "(...) il y a des enquêtes policières, la meilleure façon d'entraver leur travail serait justement de donner une commission d'enquête publique" (*)! Wow. Fallait y penser. Mais attachez vos ceintures pour le reste de son raisonnement. Ce n'est pas vrai que le gouvernement ne fait rien, dit-il, parce que quand les policiers enquêtent, "ils sont des agents de l'État. C'est parce que l'État travaille pour débarrasser la société de gens qui voudraient agir illégalement"! Bref, l'État fait son travail parce que la police fait le sien. Comme si l'un empêchait l'autre. Ou que leur travail était de même nature! Serait-ce là une définition involontairement ironique de l'expression "État policier"?
Dans une autre belle imitation de Chrétien, voici ce que Raymond Bachand, ministre responsable de Montréal, disait de ce qui s'y passe: "(...) je pense que quand il y a des allégations de corruption, il faut appeler la police, il faut qu'elle enquête. Et j'espère que, si les allégations sont exactes, ils vont arrêter les bandits"! Il ne manquait qu'un petit "que voulez-vous", bien senti...
La police serait donc la dernière justification en date de l'inaction des élus.
Face au délestage et à un certain recul des mœurs politiques, le PQ s'est donné un nouveau slogan: "franchise et intégrité". Louise Harel, candidate à la mairie de Montréal, en fait aussi son cheval de bataille. Ce n'est pas un hasard.
Mais il faudra plus que des slogans. Les citoyens exigeront des preuves. Concrètes. Et à l'avance.
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(*) On rapporte qu'aujourd'hui, le ministre Dupuis n'aurait pas dit non à une enquête publique.... mais seulement lorsque la police aura terminé les siennes!
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