La majorité flouée

Dérives démocratiques - la société confrontée à sa propre impuissance

La Haye -- Je lis Le Devoir tous les jours, histoire de comprendre pourquoi Stephen Harper est encore populaire et peut songer sérieusement à diriger un gouvernement majoritaire.
Je connais la première explication. C'est le pacte suicidaire que les barons de Jean Chrétien et Bob Rae ont conclu pour installer n'importe qui sauf Michael Ignatieff à la tête de ce parti arrogant qu'est le Parti libéral. Quelques voix ont suffi pour les obliger à se contenter de Stéphane Dion. Il ne restait plus que ce Petit Poucet pour les grands manipulateurs de Toronto. Ils le paieront probablement par quatre années d'opposition et d'amertume.
Mais cela n'explique pas tout. Il y a cette foutue province bleue et ce foutu Québec profond qui élisent des André Arthur et des Maxime Bernier. L'un parce qu'il a une grande gueule, l'autre parce qu'il a une belle gueule, qu'il paraît bien et, bien sûr, parce qu'il est du coin et un peu naïf (il s'est fait entourlouper par une fille de la ville). Le beau Beauceron était ministre des Affaires étrangères: c'est un métier qui requiert plus de jugement que celui de gérant d'un bar de danseuses à Saint-Georges.
Au Québec, on peut expliquer les sondages. Le vote nationaliste est de plus en plus divisé, et il affirme ses divisions. Les souverainistes appuient, je ne sais trop dans quel but, le Bloc, mais les nationalistes mous, les souverainistes de fin de semaine qui ont quitté le PQ et se sont éparpillés, votent pour les nouveaux autonomistes fédéraux, les conservateurs. Comment penser qu'un nationaliste de la basse-ville de Québec puisse envisager de voter pour Stéphane Dion, qui, avant d'être Petit Poucet, jouait au policier et au garde-chiourme de l'unité canadienne sous l'oeil ricaneur de Jean Chrétien. Cela me désole, mais il faut faire avec.
C'est l'apathie du reste du Canada qui m'inquiète. Oublions l'Alberta qui ne fit jamais partie du Canada. Là encore, l'impossibilité de penser que Stéphane Dion puisse être premier ministre joue un rôle déterminant. Encore que, même s'il fait un chef politique médiocre et ne suscite pas l'adhésion, je crois que, de tous les chefs de parti, c'est lui qui ferait le meilleur premier ministre. Mais il existe des glissements en Ontario, en particulier, qui inquiètent ceux qui croient en un Canada progressiste, ouvert, libéral dans le sens philosophique du terme.
L'impopularité de Stéphane Dion n'explique pas tout. Les deux ans de propagande conservatrice sur les enjeux sociaux et moraux ont porté leurs fruits. La remise en question du droit à l'avortement n'est plus un tabou, le refus du contrôle des armes à feu dérange moins, le recours à la répression plutôt qu'à la prévention semble en séduire plus d'un. La loi sur les jeunes contrevenants semble de plus en plus acceptée.
Le travail de sape systématique que les idéologues conservateurs ont mené contre le Canada que nous avons connu depuis Saint-Laurent semble avoir porté ses fruits.
Notre inquiétude à propos de l'environnement, nos engagements contre le réchauffement climatique ont fondu comme neige au soleil. Le roi des sables bitumineux triomphe pour le moment.
Je regarde le dernier sondage: 36 % pour les conservateurs, 23 % pour les libéraux, 18 % et 12 % respectivement pour le NPD et les Verts. Ce qui rassure et en même temps désespère dans ces chiffres, c'est que 53 % des Canadiens ne veulent pas remettre l'avortement en question, s'opposent à la répression, favorisent le contrôle des armes à feu, veulent lutter contre le changement climatique et préfèrent une société plus solidaire.
En fait, le Canada ne change pas vraiment. C'est le système politique et le mode de scrutin qui l'empêchent de s'exprimer. On va nous voler notre majorité, comme cela a été le cas durant ces deux dernières années, pendant lesquelles un gouvernement minoritaire a sabré dans le pays que nous connaissons.
Un scrutin proportionnel empêcherait les conservateurs de former un gouvernement. Aucun des autres partis n'accepterait de s'allier à Harper pour former un gouvernement. À travers ce refus, la volonté majoritaire des Canadiens serait respectée. Ici, en Hollande ou dans beaucoup d'autres pays européens, confronté à l'incapacité de Harper de gouverner et de recueillir une majorité au Parlement, on demanderait à un autre chef de parti de former un gouvernement de coalition.
L'objectif de la démocratie n'est pas d'élire un gouvernement, mais de faire en sorte que la volonté de la majorité des électeurs, même si elle est diffuse, oriente les destinées futures du pays. Dans beaucoup de pays européens, cela se construit sur le consensus, le compromis, le contrat de gouvernement passé entre des partis qui, pour être rivaux, n'en acceptent pas moins de préserver ensemble ce qui fonde le pays.
Revenons à la campagne électorale. Ce que je lis, c'est qu'il n'y a pas de thèmes, pas d'enjeux qui semblent toucher la population. Aux stratèges du Parti libéral, je proposerais de demander à Stephen Harper pourquoi il veut détruire le Canada.


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