CHRONIQUE DE LA CROQUEUSE DE MOTS

Vous avez dit... "intégration" ?

Chronique de Thérèse-Isabelle Saulnier


Il semble que, jusqu'à présent, pratiquement personne ne soit capable de dire ce que signifie exactement, pour un immigrant, "être bien intégré". Il en fut question dans des panels de fin de soirée sur la Commission B-T (animés de main de maître par Geneviève Asselin), mais tout le monde patine quand il s'agit de dire en quoi ça consiste. On s'est essayé en mentionnant: "Une participation entière à la vie sociale". - Mouais! Et les Québécois pure laine, qui n'y participent pas? Va-t-on exiger plus de la part des immigrants que de nous-mêmes? - Caractéristique douteuse, donc!
"Le fait d'aller voter", peut-être? - Même chose... - Et ce fut à peu près tout, si ma mémoire est bonne, après quoi on s'est empressé, à court de mots et d'idées, de se rabattre sur le fait que l'intégration passe d'abord par la maîtrise de la langue du pays et de l'exercice d'un emploi, ce qui est tout à fait exact, mais qui ne nous éclaire en rien sur le sens d'une bonne intégration, d'une intégration réussie. A la croqueuse de mots, donc, de se mettre à l'ouvrage!
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Pour déterminer ce sens, plusieurs voies s'offrent à nous.
1) Il serait peut-être bon de commencer par ce que ce n'est pas, pour ensuite en éclairer le sens positif.
2) Si on nommait des gens connus publiquement, ou faisant partie de notre cercle d'amis ou même familial, qui se sont parfaitement bien intégrés, on réussirait à mettre sur la table les ingrédients de l'intégration.
3) Si on s'imaginait soi-même émigrer vers un pays étranger pour s'y installer définitivement, et qu'on se demandait en quoi consisterait notre bonne intégration à ce nouveau pays, voire même à cette nouvelle culture possiblement complètement différente de la nôtre, mais que nous voulons et acceptons de partager et de vivre, alors, on y verrait certainement plus clair.
Pour aujourd'hui, je vais me concentrer uniquement sur la voie 2.
Nommons des gens bien connus, tellement bien intégrés qu'on les croirait, parfois, plus québécois que les Québécois et Québécoises d'origine canadienne française, ou même anglaise. Commençons par des Noirs: Dany Laferrière, Michaëlle Jean, Vivian Barbot et Luck Mervil, tous nés en Haïti; Maka Kotto, d'origine camerounaise, et Michel Mpambara, né au Rwanda. (Normand Brathwaite, Anthony Kavanagh et Grégory Charles sont nés au Québec.) Trois de mes anciens collègues enseignants sont aussi d'origine haïtienne. Arrivés au Québec dans les années soixante, à part la couleur de leur peau et leur accent, qu'ils n'ont jamais perdu, on ne saurait pas que ce sont des immigrés. J'ai aussi plusieurs amis, amies et collègues qui sont des immigrés tout aussi bien intégrés, certains étant d'origine arménienne, d'autres algérienne, portuguaise, libanaise, égyptienne, ukrainienne, bulgare, roumaine, britannique.
Quant aux immigrés d'origine arabe, mentionnons Mme Fatima Houda-Pepin, d'origine marocaine, le couple Yolande Geadah - Rachad Antonius, d'origine égyptienne, Amir Khadir, d'origine iranienne, et Rachid Badouri (né au Québec, fils d'immigrés marocains).
Pensons aussi à la majorité des Juifs parfaitement bien intégrés, qu'ils soient unilingues anglais, français ou bilingues. Ce sont ceux qui n'affichent pas leur identité religieuse, comme le font les Hassidim. Ces derniers, on les reconnaît immédiatement. Mais les autres? Comment savoir s'ils sont Juifs, s'ils ne nous le disent pas? Nommons, entre autres, Me Julius Grey, Victor Goldbloom et Daniel Weinstock.
Cela dit, qu'ont en commun toutes ces personnes, et une grande quantité d'autres qui leur ressemblent? Comme beaucoup sont connues pour leur implication politique, sociale ou culturelle, elles répondent au critère de "la participation active à la vie sociale", de même qu'à celui de la maîtrise de la langue et de l'exercice d'un emploi. Elles partagent aussi nos valeurs et oeuvrent à leur promotion et à leur protection. Pour les personnes que nous pouvons connaître personnellement, il y a la langue, l'emploi, le partage des valeurs et une vie comme la nôtre, adaptée à la nôtre, à nos us et coutumes, la plupart du temps tout aussi "ordinaire" (métro, boulot, dodo, loisirs...), et plus ou moins également impliquée dans la vie sociale (implication qui, disons-le, n'est pas la marque de commerce de la majorité majoritairement silencieuse...)
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On sursautera sans doute au prochain trait commun que je vais relever, mais... l'adoption de la ou des tenues vestimentaires propres au pays est un signe de bonne intégration et de bonne adaptation. Toutes ces personnes s'habillent comme nous, et non comme on le fait dans leur pays d'origine. Et ici, par rapport à l'intégration, la question suivante se pose: une bonne intégration est-elle facilitée par le port de vêtements et d'accessoires propres à son pays d'origine? Tenir à porter ces vêtements, dans la vie courante de tous les jours, n'est-ce pas, précisément, le désir d'affirmer son identité culturelle autre que québécoise ou canadienne? N'est-ce pas dire: "Je suis d'abord et avant tout Tunisien, Malien, Indien, Musulman, Sikh, Juif orthodoxe, et je désire non seulement le rester - ce qui est mon droit - mais aussi être reconnu pour tel"? Ça en a toutes les apparences... C'est comme si les Québécois d'origine canadienne française s'habillaient comme leurs ancêtres pour afficher clairement leur identité de Canadiens français et qu'on les reconnaisse et classe comme tels un peu partout dans l'espace public. -- Allez, vous autres, à vos tuques, à vos chemises carrelées et à vos ceintures fléchées!!
Trêve de fantaisie, nous aussi, nous avons eu nos habits du temps de la colonie et de ceux qui ont suivi, mais nous ne nous vêtons plus ainsi, sauf lors de fêtes ou de carnavals. Il y aurait donc sérieusement lieu de s'interroger sur la pertinence d'importer, dans nos sociétés, des traditions vestimentaires usuelles dans tel ou tel pays qui, au lieu de favoriser l'intégration, tendent à séparer, à ghettoïser et à diviser inutilement.
Pour approfondir ce point, je vais me servir de deux textes publiés il y a quelques mois, celui de l'anthropologue Emilie Joly-Couture ("Son voile qui volait au vent", Le Devoir, 17 sept 07), et de Me Julius Grey ("La recherche identitaire", Journal de Montréal, 22 oct. 07). La première relève le fait que "les vêtements et leurs accessoires (comme le voile) ont une fonction identitaire et sociale extrêmement importante". -- En effet, c'est très clair, et le voile ne sera donc jamais "un simple morceau de tissu". Le médium est ici le message: "Je suis une musulmane pratiquante. C'est mon identité et mon appartenance première, ce qui me définit d'abord et avant tout."
Quant à Me Julius Grey, il souligne qu'une personne "peut également nourrir plusieurs identités et plusieurs loyautés à la fois". C'est parfaitement exact et, à ce propos, les "nous" dont elle peut faire partie peuvent être nombreux, mais quand on parle de citoyenneté et de socialité, la première qui doit survenir est celle du pays où l'on vit, qu'on y soit né ou qu'on y ait émigré. Jusqu'à la proclamation de l'indépendance du Québec, cette identité est "québécoise", ou "canadienne", ou les deux. (Ce que messieurs Drouin et Thompson appellent, dans leur mémoire, "l'identité sociale de notre Nation".)
Est-ce là exiger des immigrants "qu'ils renoncent à être ce qu'ils sont pour pouvoir être des nôtres"? (Marie Bernard-Meunier, "Une leçon d'harmonie", La Presse, 22 oct 07) -- Poser cette question, c'est confondre intégration et assimiliation. Un assimilé a tout perdu des traits culturels et même la langue de son pays d'origine -- ou de celui de ses ancêtres, s'il est né ici. C'est mon cas, par mon ascendance grand-maternelle belge: je n'ai plus rien de wallon, tout comme ma mère, ma tante et mes deux oncles qui sont nés et qui ont été élevés ici. "Québécois pure laine"!! Et Québécois, d'abord et avant tout! Et pas de quoi en faire un plat, loin de là!
Par contre, quelqu'un qui est bien intégré à son nouveau pays, sans être assimilé, c'est quelqu'un qui vit selon les us et coutumes de son pays d'adoption, tout en ayant gardé en mémoire, et dans certaines de ses activités, certains traits propres à son pays d'origine, dont, au premier chef, la langue (devenue généralement seconde, tout en restant maternelle), la religion, la cuisine (gastronomique ou non), le chant et la musique, et certains éléments décoratifs ou utilitaires à l'intérieur de sa maison. C'est aussi, voire essentiellement, quelqu'un qui a conservé l'AME de son peuple, son esprit particulier, qui vient enrichir le nôtre parce qu'il contient des aspects positifs qui, dans certains cas, nous manquent et qui, une fois intégrés dans le nôtre, l'enrichissent en l'humanisant. On ne fera pas perdre à un ou une haïtienne son exubérance, sa "tropicalité"; on ne fera pas perdre à un ou une slave sa sensibilité si profonde, si particulière; et ainsi de suite.
Dans son mémoire, le Collectif Pierre Le-Gardeur signale que "la plupart des immigrants arrivant chez nous ont la volonté de s’intégrer à notre société. Seuls quelques segments de minorités fortement marqués d’influences religieuses extrémistes refusent d’adopter nos habitudes et nos règlements et demandent des dispositions spéciales." -- C'est sans doute fort juste, et peut-être bien que toute la tempête soulevée par les accommodements raisonnables vient de ces segments-là. La plupart des immigrants -- et cela s'est dit à maintes reprises -- veulent s'intégrer au sens où nous l'avons défini ci-haut, et y réussissent fort bien. En ce sens, la grande majorité d'entre eux satisfont la volonté de l'ensemble de la population: les immigrants doivent s'intégrer, c'est à eux de "s'accommmoder" et non à nous de s'accommoder de leurs différences. "A Rome, on fait comme les Romains". Voilà qui résume à merveille cette volonté populaire d'ici, qui est sûrement la même dans tous les pays et dans toutes les cultures.
En ce qui concerne l'intégration, donc, on peut certes apprécier les différences, mais de là à les mettre en évidence, jusqu'à l'exacerbation dans certains cas, il y a toute une distance. Comme le suggère Yolande Geadah, il faut décourager le port de symboles (généralement religieux), qui divisent plutôt qu'ils rapprochent, et je partage tout à fait l'invitation que fait l'association musulmane Astrolabe à tous les musulmans: invitation "à privilégier, dans leurs rapports avec les textes sacrés, les positions qui prennent en considération les sensibilités culturelles de nos concitoyens, ce qui ne pourra que faciliter la compréhension mutuelle." -- A bons entendeurs et entendeuses, salut!
LIENS:
1) Emilie Joly-Couture
2) Julius Grey
3) A. Drouin et B. Thompson
4) Marie Bernard-Meunier
5) Collectif Pïerre Le-Gardeur
6) Astrolabe


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3 commentaires

  • Claude Richard Répondre

    29 février 2008

    Texte bien réfléchi et d'un ton très posé. Félicitations!
    Un petit commentaire. Vous citez un extrait du mémoire du Collectif Pierre-Le-Gardeur. Je suis un des principaux rédacteurs de ce mémoire. Le Collectif Pierre-Le-Gardeur est en réalité un nom de substitution pour la Section Pierre-Le-Gardeur de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Le président général de la SSJBM, Jean Dorion, n'a pas voulu que nous présentions ce mémoire sous notre vrai nom. Il n'était pas d'accord avec certains passages, dont celui que vous citez, c'est-dire:
    "La plupart des immigrants arrivant chez nous ont la volonté de s’intégrer à notre société. Seuls quelques segments de minorités fortement marqués d’influences religieuses extrémistes refusent d’adopter nos habitudes et nos règlements et demandent des dispositions spéciales."
    Monsieur Dorion était effrayé à l'idée d'identifier, fût-ce de façon très générale, les groupes qui posent problème. Monsieur Dorion est un être ultra sensible; on l'a vu dans son évocation répétée pour la xième fois du cas de Karima. Il a peur de froisser, ce qui l'amène à vouloir ignorer la source de certains problèmes.
    Mais vous, la croqueuse de mots, vous n'avez pas peur des mots. On se prend à souhaiter que cette qualité soit plus répandue dans la population québécoise, en particulier chez nos élites.

  • Archives de Vigile Répondre

    29 février 2008

    Il est absolument futile de demander à des immigrants d'intégrer une communauté qui n'est pas souveraine et qui est en plus dominée par une communauté plus puissante qui s'applique à la faire disparraître. Les immigrants sont remplis de bonne volonté mais ne sont pas idiots.
    Il faut cesser de se faire des illusions en jouant à l'État québécois qui aurait un certain rapport de force supérieur sur les communautés immigrantes au Québec. Ces communautés immigrantes sont plus puissantes et leur succès sur nous à Montréal est bien évident. La réalité est que ces communautés sont en fait des "succursalles" d'États souverains, intégrés dans un Québec non-souverain, et dont les "Sièges Sociaux" (centres décisionnels) sont leurs pays d'origine respectifs. C'est çà la réalité de la "mondialisation"; les pays-nations se comportent maintenant comme des multinationales et négocient des échanges de succursales avec les pays-nations dont ils souhaitent les échanges et collaborations stratégiques.
    La "mondialisation" colportée par nos propagandistes fédéraux au Québec n'est qu'une allégorie politicorrecte à saveur d'ouverture sur le monde dont le but est de poursuivre l'auto-répression de toute tentative par les Québécois de se donner un Siège Social national (souveraineté) comme les autres. C'est une escroquerie par la manipulation de l'opinion publique au Québec.
    Tout comme les succursalles d'entreprises multinationales doivent respecter les règles de protection mises enplace par les pays qui les accueillent pour investissements et associations, il en est de même pour les communautés culturelles (diasporas) établies en associations. Seulement ainsi, les multiples loyautés peuvent coexister et êtres productives.
    Tout ce discours "inclusif", "ouvert sur le monde", "assimillation", "intégration", ciblé sur les immigrants en tant qu'individus, n'est que diversion pour éviter au Québec de prendre sa place dans la mondialisation des États Nations. La campagne antinationaliste n'est que çà; si vous voyez les immigrants comme individus alors vous vous verrez aussi que comme des individus et non une nation.
    En tant qu'individu, dans un État-Nation souverain, un immigrant peut très bien décider de s'intégrer entièrement comme Québécois et partager sa loyauté avec une succursalle de sa communauté d'origine installée au Québec, mais les droits de cette succursalle ne seront pas de même nature que ceux de cet individu dont la hierarchie en loyauté par les droits prévalleront en faveur de l'État Nation québécois.
    Mais tout çà n'est possible que dans un État Nation souverain.
    Plus le temps passe, plus nous disparaîtrons avec les acquisitions de nos instruments stratégiques par les succursalles des États Nations souveraines du reste du monde qui ne peuvent rêver mieux que cette si libre et entière intégration, non-protégée, dont elles jouissent au Québec.

  • Dominic Desroches Répondre

    29 février 2008

    Une suggestion utile pour compléter votre réflexion : lire le dernier livre de la grande sociologue française Dominique Schnapper, Qu'est-ce que l'intégration ? (Folio, 2007) qui présente bien la question et les théories sociologiques et politiques que la réponse à la question présuppose. Si vous avez le goût de lire un texte plus court qui rompt avec le paradigme sociologique de l'intégration ou la naïveté des théories des années 1970, voir mon texte à paraître sur Vigile, L'électron libre. La réfutation du multiculturalisme par les lois de la chimie politique.
    Avec mes sentiments les meilleurs, Dominic Desroches