IDÉES

Accommodements raisonnables: reconnaître un problème

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Les accommodements ne favorisent pas le vivre-ensemble






S'il n’y avait qu’un seul passage à retenir de l’épisode de Tout le monde en parle de dimanche dernier, ce serait cette phrase de Nadia el-Mabrouk : « Les accommodements ne favorisent pas le vivre-ensemble. »


 

Pourquoi la question des accommodements raisonnables liés à la religion est-elle à ce point problématique au Québec ? Dans la célèbre affaire Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys de 2006, la Cour suprême avait donné le ton en autorisant le port d’une arme (kirpan) sur le terrain d’une école au nom de la religion. Loin d’être célébrée, cette décision phare — et toute la jurisprudence qui en découle — est vivement critiquée au Québec comme un flagrant exemple d’incompatibilité entre la mouture actuelle des accommodements raisonnables et les fondements sociojuridiques du vivre-ensemble québécois.


 

Onze ans plus tard, le débat n’a fait que croître. Les pratiques religieuses peuvent-elles être invoquées pour ne pas avoir à suivre les mêmes règles que tout le monde ? Ce qui pose réellement problème avec les accommodements accordés au nom de la religion, c’est la vision juridique qui les sous-tend : une vision libérale et communautariste appliquée par la Cour suprême du Canada en raison d’une Charte canadienne des droits et libertés (qui a été imposée au Québec en dépit de son opposition), alors que la société québécoise, dans son rapport avec l’égalité de tous devant la loi et sa perception de la question religieuse adhère, à titre de fait social largement documenté, à une perspective davantage laïque et républicaine — tout particulièrement depuis la Révolution tranquille.


 

L’accommodement raisonnable, tel qu’il est actuellement, est ainsi à juste titre vu non pas comme le fruit du consensus social, mais bien comme l’imposition d’une règle de droit qui ne reflète pas les valeurs communes de la société québécoise. Au surplus, au Québec, l’expression de la religion est socialement considérée comme constituant un choix relevant de la sphère privée. Le fait de l’invoquer pour être dispensé des règles applicables à tous devient alors une manière de faire primer des considérations purement personnelles sur la volonté démocratique derrière le droit. Les accommodements raisonnables au nom de la religion deviennent alors perçus, et cette critique n’est pas sans légitimité, comme une manière d’exiger que ce soit à la société de s’adapter à l’individu et non l’inverse. En d’autres mots, ils sont si controversés tout simplement parce qu’ils relèvent d’une logique, d’une approche sociale et d’une vision du droit qui ne sont pas celles de la société québécoise.


 

Une solution distante


 

Dans l’état actuel des choses, la venue d’une solution à cette problématique apparaît distante. Le gouvernement actuel entretenant un rapport quasi fusionnel avec le multiculturalisme libéral, les pistes de solutions qu’il propose jusqu’ici — dont le dernier chapitre au feuilleton est le projet de loi 62 — n’en sont pas réellement. Ce que le gouvernement Couillard propose, c’est surtout d’affirmer avec plus de force encore le modèle libéral en espérant faire taire la dissidence (notamment au travers du discutable concept de « discrimination vestimentaire » qu’il vient d’inventer). Cela ne réglera rien : bien au contraire, la politique actuelle du gouvernement en matière de gestion des accommodements raisonnables ne conduit qu’à encore plus de légitime ressentiment collectif à l’égard d’un modèle en contradiction avec la réalité sociale et historique propre du Québec.


 

Les recommandations du rapport Bouchard-Taylor, bien qu’insuffisantes à certains égards et en dépit du fait que ses auteurs ne s’entendent plus aujourd’hui, avaient au moins le mérite de proposer une véritable réconciliation législative avec une certaine part de la réalité québécoise. Le projet de charte des valeurs québécoises, quand bien même il était imparfait, constituait lui aussi une piste de solution intéressante. Toutefois, pour l’heure, de véritables pistes de solutions et d’encadrement des demandes d’accommodements au nom de la religion resteront vraisemblablement lettre morte jusqu’au prochain cycle politique.


 

Il demeure cependant une chose certaine : les accommodements raisonnables au nom de la religion sont problématiques au Québec, et il y a un vif désir collectif pour qu’un législateur reprenne les choses en main et en ramène l’encadrement vers une perspective correspondant mieux à notre réalité sociale : par exemple en réaffirmant l’interdiction de toute forme de discrimination fondée sur les convictions religieuses tout en précisant la primauté de la règle de droit sur la pratique religieuse, quitte à devoir recourir à la disposition de dérogation pour contrecarrer la Charte canadienne des droits et libertés. Un tel modèle permettrait une bien meilleure intégration de la diversité culturelle et religieuse au Québec en l’incluant pleinement à son tissu social d’une manière harmonieuse avec la réalité de son vivre-ensemble plutôt que d’en favoriser la fragmentation comme c’est le cas actuellement.


 

Nous avons le devoir à titre de société de régler cette situation. En dépit des souhaits de certains, ce n’est pas en niant l’existence d’un problème qu’on le fait disparaître. Nous devons réellement baliser les accommodements raisonnables d’une manière conforme à la réalité sociale québécoise. Chercher à censurer les critiques en martelant que tout va bien et que tout doit continuer tel quel ne peut qu’empirer les choses — et les premières victimes de cette situation sont justement nos minorités culturelles et religieuses, qui ne peuvent pas s’intégrer pleinement à la société québécoise si nous continuons ainsi, au travers de l’accommodement raisonnable, à les en distancier plutôt qu’à les rapprocher des fondements de notre vie en commun pour leur permettre de devenir véritablement des nôtres.


 

Pour toute société digne de ce nom, c’est inacceptable.


 

*Ont également cosigné cet article :

Djemila BENHABIB, écrivaine

Louise MAILLOUX, auteure et militante laïque

Nadia EL-MABROUK, professeure à l'UQAM

Kaidi ALI, docteur en philosophie 

Jérôme BLANCHET-GRAVEL, essayiste

Annie-Andrée CHOUINARD, présidente de Vigilance Laïque

Pierre CLOUTIER, avocat

Annie-Ève COLLIN, professeure de philosophie

Éric DEBROISE, vice-président Vigilance Laïque

Michèle DOAT, retraitée

Lionel Alain DUPUIS, 

Diane DUTKA, avocate (retraitée)

Zabi ENAYAT-ZADA, comptable et auteur 

André GAGNON, éditeur

Jacques LANCTOT, chroniqueur

Gabriel MEUNIER, avocat

Léon OUAKNINE, écrivain 

Normand PERRY, entrepreneur

Katherine PLANTE, avocate

Simon-Pierre SAVARD-TREMBLAY, sociologue, essayiste et chroniqueur

André SIROIS, avocat aux Nations Unies

Gilles TOUPIN, journaliste et écrivain








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