Ce n’est pas surprenant : cela n’en est pas moins choquant. Stephen Harper vient de nommer un ministre des affaires étrangères unilingue anglais. On l’imagine déjà accompagné d’un interprète lorsqu’il défendra, si cela arrive, le rôle singulier du Canada dans la francophonie.
Ce n’est pas surprenant car le gouvernement conservateur, depuis 2006, a cherché à redéfinir le Canada à la manière d’un pays néo-britannique, délivré du bilinguisme officiel, ou du moins, de ses interprétations trop contraignantes, et aligné fondamentalement sur le Canada anglais.
Le Québec est une province française, il mérite peut-être le respect, mais il ne sera pas considéré comme une nation sur deux, et il faudra diminuer le plus possible son influence sur la vie de la fédération. Le conservatisme moderne, au Canada, s’est fondé sur la volonté de casser ce qu’on appelait le French Power.
D’ailleurs, en 2011, le Parti conservateur est parvenu à se faire élire sans véritables appuis au Québec. Le Québec n’est pas parvenu à se libérer du Canada, mais le Canada anglais est parvenu à se libérer du Québec et peu à peu, le pays se construit en faisant l’économie des francophones.
C’est pourtant choquant. Car au fil des dernières décennies, si les Québécois ont maintenu le lien fédéral, c’est en bonne partie parce qu’on leur avait promis que leur langue aurait un traitement égal dans le pays. On leur a dit : ne vous séparez pas, car votre peuple parviendra à s’épanouir au Canada.
Évidemment, c’était un gros mensonge. Quiconque connait un peu le fonctionnement de la fonction publique fédérale sait qu’il s’agit d’une machine à assimiler les francophones. Entre eux, ils parleront français. Mais lorsqu’il faut choisir une des deux langues, ils perdent toujours.
Et pourtant, jusqu’à peu, on cherchait un peu à préserver les apparences. Mais lorsque ces dernières sont trop éloignées de la réalité, on finit par s’en passer. Le Canada redevient clairement un pays anglais, qui traduit ce qui doit être traduit lorsque les francophones l’exigent, mais qui assume son identité anglophone.
Le gouvernement Couillard fait mine de protester. C’est touchant. Très touchant. Mais lorsqu’on fait du fédéralisme non plus une option argumentée, mais une foi, comme si le Canada était un bien moral de l’humanité qu’il serait criminel de fracturer, on le laisse nous assimiler en paix. Sa crédibilité francophone est à zéro.
D’ailleurs, le Québec peut bien protester officiellement, le cœur n’y est plus vraiment. L’idéologie du bilinguisme obligatoire progresse à grande vitesse et nos élites économiques et médiatiques s’exaspèrent du trop lourd fardeau réglementaire lié à la défense du français.
Le pire dans tout cela, c’est qu’on s’habitue à se faire dominer. On s’y habitue tellement qu’on ne s’imagine même plus dominé. On croit que la botte qui nous écrase le visage relève de la nature des choses. On confond les crachats au visage avec de fines gouttelettes de puit.
En fait, on trouve qu’il est normal de voir sa langue humiliée. La mondialisation est anglophone, non ? L’Amérique est anglophone, non? Le Canada est anglophone, non? Alors ne serait-il pas temps que le Québec en finisse avec sa petite différence? Le français, c’est bien en famille, mais au-delà?
La Révolution tranquille souhaitait faire du Québec une société française et du Canada un pays bilingue. C’était un grand objectif partagé autant par Robert Bourassa que par René Lévesque. Nous n’y croyons plus. C’est probablement le prix à payer pour avoir raté et l’indépendance, et la société distincte.
L’esprit de la loi 101 s’est fait déclasser par celui de la loi fédérale sur les langues officielles. Sauf que cette dernière s’applique surtout au Québec. Trudeau a gagné sa guerre. En fait, il l’a gagné chez nous et perdu au Canada. Le régime de 1982 est entré dans nos têtes.
La jeune génération embrasse cette vision des choses. Les jeunes Québécois qui se veulent entreprenants et appelés à réussir préfèrent l’anglais au français. Montréal-la-postmoderne se fait une fierté de parler les deux langues à la fois et les coquets mondains se moquent des vilains nationalistes qui ne voient pas dans tout cela une raison de fêter.
On le voit culturellement. Souvent, les jeunes Québécois chantent en anglais et on trouve à redire lorsque quelqu’un rappelle au hasard d’un concert qu’ils pourraient aussi, de temps en temps, se rappeler leurs origines et assumer leur culture, c’est à lui qu’on fait des reproches. Un peuple qui se suicide ne veut pas se le faire dire.
Nous aurons demain un Canada anglais et un Québec bilingue. Et nous l’accepterons. Peu à peu, nous nous y diluerons, et les idéologues du régime nous diront qu’il s’agit d’un progrès. Nos élites et nos marchands nous diront qu’enfin, le dernier obstacle à notre réussite est levé. Il y a toujours moyen d’être un assujetti prospère et élégant.
Stephen Harper peut dormir tranquille et se foutre du français : nous nous en foutions déjà avant lui.
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