Au Québec, le vin doit être bilingue

Font chier, ces Canadians!


Photo: Alain Roberge, archives La Presse



Une amatrice de champagne de Montréal a eu toute une surprise récemment lorsqu'elle s'est rendu compte qu'il est interdit d'importer, même privément, du vin au Québec si l'étiquette n'est pas... bilingue.
Madame X (elle demande qu'on ne la nomme pas pour des raisons professionnelles) aime le champagne et en particulier celui d'un petit producteur de cette région, que sa famille et elle apprécient au point d'entreprendre les démarches auprès de ce vigneron et de la SAQ pour en recevoir ici quelques caisses.
Ces bouteilles sont destinées à Mme X et ses convives et non pas à la revente en importation privée ou en restauration.
Jusque-là, pas de problème, la SAQ permet ce genre de transaction et veille même à toutes les étapes entre le producteur et le client, comme c'est le cas pour tout alcool vendu au Québec.
Le processus est souvent décrit comme long et tatillon par les importateurs privés. Il faut aussi payer les taxes et les services (laboratoire, notamment) à la SAQ, mais qui y tient vraiment y parvient généralement avec un peu de persévérance... et quelques dollars de plus. (On estime que le prix de la bouteille double, du chai à la cave privée, une fois les taxes et le reste payés.)
Mme X connaît et respecte les règles du jeu et se dit tout à fait prête à débourser, en fin de compte, beaucoup plus que les 12 euros demandés par le Champenois, mais elle ne pensait jamais qu'il lui serait interdit de servir ses bulles à sa table parce que l'étiquette est en français seulement.
»Vin-wine»
Après moult démarches auprès de la société d'État, on lui a dit que le producteur devait se conformer au règlement et ajouter de l'anglais à ses étiquettes (vin-wine, produit de France-product of France, contient des sulfites-contains sulfites, etc.) pour envoyer quelques caisses ici, même s'il s'agit d'une commande privée.
«Est-ce possible? C'est pour consommation personnelle, mais je dois faire entrer l'anglais dans MA maison pour avoir le droit de boire mon champagne Lacroix?», s'est plainte Mme X à La Presse la semaine dernière.
Le producteur champenois en question, qui n'exporte pas au Québec et qui vend pratiquement toute sa production localement (comme la grande majorité des petites maisons de cette région), n'a ni les moyens, ni besoin et encore moins envie de traduire ses étiquettes.
Connu de quelques Québécois amateurs de bulles, il a refusé des commandes d'ici justement à cause des règles en vigueur à la SAQ.
«Lorsque je lui ai parlé, il m'a dit que ça ne marchera pas parce qu'il n'a pas d'étiquettes bilingues», raconte Mme X.
La directrice des affaires publiques de la SAQ, Isabelle Merizzi, confirme qu'il est interdit d'importer du vin arborant une étiquette unilingue francophone, même pour une commande privée faite par un individu, mais elle ajoute qu'il s'agit d'exigences de la réglementation fédérale.
«C'est le fédéral qui produit les règles, nous, on essaie de se conformer le plus possible», dit Mme Merizzi.
Une solution
Il y a peut-être une solution. Le laboratoire de la SAQ, situé à l'intérieur du mégacentre de distribution de l'est de Montréal, peut «corriger» les étiquettes (lire: y ajouter les mentions obligatoires en anglais), comme on le fait parfois en apposant un autocollant bilingue sur la contre-étiquette de bouteilles mises en vente dans le réseau des quelque 400 succursales de la SAQ. Cette opération se fera toutefois aux frais de Mme X, précise Isabelle Merizzi.
«Nous devons nous conformer aux règles fédérales», dit-elle, avant d'ajouter que pour quelques caisses, destinées à la consommation strictement privée, il est possible de s'arranger «au cas par cas» afin de satisfaire le client.
Chose certaine, assure Mme Merizzi, aucune bouteille ne peut atterrir sur une tablette de la SAQ ou dans un restaurant sans satisfaire aux exigences de bilinguisme du gouvernement fédéral.
Une vérification faite hier dans la plus grande succursale de la LCBO (pendant ontarien de la SAQ), à Ottawa, démontre que ce règlement fédéral ne s'applique pas, de toute évidence, à l'Ontario, où la société d'État vend du vin aux étiquettes unilingues anglophones à pleine tablette. Y compris des vins canadiens.


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