C'est pire au Québec

Commission BT - le rapport «Fonder l’avenir - Le temps de la conciliation»


(Photo La Presse) Le débat entourant la publication du rapport Bouchard-Taylor soulève la question fondamentale suivante: est-ce que les immigrants québécois s'intègrent bien au marché du travail d'ici? Dans n'importe quel pays, le taux de chômage des immigrants qui viennent d'arriver est toujours plus élevé que celui de la population native. L'ancien premier ministre Jacques Parizeau a souligné avec raison que cela est inévitable.

Le vrai problème, que M. Parizeau a passé sous silence, c'est que l'excédent du taux de chômage des immigrants par rapport à celui de la population native de la province est beaucoup plus élevé au Québec qu'ailleurs au Canada. Le rapport Bouchard-Taylor a perçu le problème en gros, sans en préciser le contour.
Les toutes récentes données du recensement de 2006 fournissent maintenant un portrait détaillé de la situation. Elles permettent d'estimer de combien le taux de chômage des immigrants dépasse celui des natifs du même âge et du même niveau d'éducation dans chaque province canadienne, selon que leur arrivée au Canada est récente (depuis moins de cinq ans) ou de vieille date (depuis plus de 15 ans) et selon qu'ils sont de race blanche ou font partie des minorités visibles.
Les faits sont les suivants. Pour les immigrants récents qui font partie des minorités visibles (arabe, antillaise, africaine, sud-asiatique, orientale, etc.), l'excédent de chômage par rapport aux natifs est de 16 points au Québec et de six points en Ontario. Le désavantage de 10 points du Québec par rapport à l'Ontario dans le cas de ces minorités est évidemment considérable. Il apparaît d'ailleurs encore plus important si on compare le Québec à l'ensemble des autres provinces.
Mais il y a une autre mauvaise surprise. Les immigrants récents de race blanche sont, eux aussi, beaucoup plus durement frappés au Québec qu'en Ontario. Leur excédent de chômage par rapport aux natifs est de 11 points au Québec et de quatre points en Ontario. Le chômage excessif des immigrants québécois n'est donc pas un problème limité aux minorités visibles. Il frappe tous les immigrants récents au Québec.
Écart significatif
Est-ce que l'écart initial de chômage défavorable aux immigrants s'atténue et finit par s'estomper avec le temps? C'est certainement le cas en Ontario. Dans cette province, l'excédent de chômage des immigrants par rapport aux natifs a disparu après 15 ans de séjour au Canada. Cette évolution favorable s'applique aux immigrants qui font partie des minorités visibles tout autant qu'à ceux de race blanche. Au Québec, l'excédent disparaît également pour les immigrants de race blanche. Mais pour les immigrants québécois qui font partie des minorités visibles, une différence de quatre points avec les natifs du même âge et du même niveau d'éducation persiste encore à très long terme. Autrement dit, le chômage excessif de nos immigrants issus des minorités visibles s'atténue avec leurs années de séjour au Québec, mais contrairement à ce qu'on observe en Ontario, un écart significatif perdure.
Pourquoi donc les immigrants éprouvent-ils tellement plus de difficulté à s'intégrer au marché du travail au Québec qu'en Ontario? Personne ne connaît encore la réponse à cette question. On sait que certaines communautés sont particulièrement frappées. C'est, par exemple, le cas des immigrants d'origine arabe, très importants pour le Québec parce qu'ils sont nombreux, et très majoritairement francophones. Lors des cinq premières années après leur arrivée, leur taux de chômage dépasse en moyenne de 24 points celui de la population native ayant le même niveau d'éducation. Mais, comme on a vu, les immigrants de race blanche éprouvent, eux aussi, de sérieuses difficultés d'intégration.
Est-ce le processus de sélection de nos immigrants à l'entrée qui est déficient? Est-ce que les employeurs québécois sont plus réticents que leurs homologues ontariens à embaucher des immigrants? Est-ce que les communautés culturelles tendent plus à former des enclaves repliées sur elles-mêmes à Montréal qu'à Toronto? Les équivalences de diplôme et l'accès aux métiers et aux ordres professionnels sont-ils plus difficiles à obtenir au Québec?
Il est urgent de reconnaître la gravité de la situation, d'essayer d'y voir plus clair et d'attaquer le problème à sa racine. Cela va naturellement de soi au simple plan humain. Mais également, en pure logique économique, il faut comprendre que ce n'est pas en étant cantonnés au chômage que nos immigrants vont nous aider à résoudre les pénuries de main-d'oeuvre qui ont servi à justifier leur admission au Québec.
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Marc Van Audenrode et Pierre Fortin
La Presse
Économistes, les auteurs enseignent respectivement à l' Université de Sherbrooke et à l'UQAM


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