Selon le budget Bachand, les dépenses budgétaires du Québec en santé et en services sociaux atteindront près de 33 milliards de dollars en 2013. Elles auront augmenté de 70 % en dix ans. Leur part dans les services publics atteindra alors 48 %, comparativement à 40 % en 2000 et à 31 % en 1980. Par la suite, la pression financière sur le budget de la santé va encore s'amplifier avec le passage à l'âge d'or de la vague des baby-boomers nés entre 1947 et 1962.
Nous avons évidemment le devoir absolu d'offrir à ces compatriotes les meilleurs soins possible. Mais cela va coûter cher: selon l'Institut canadien d'information en santé, une personne de 65 ans ou plus coûte en moyenne 10 000 $ par année au Trésor québécois. C'est six fois plus cher qu'une personne plus jeune.
On peut attaquer le problème de diverses manières. Augmenter les impôts et les taxes. Extraire plus de dividendes d'Hydro-Québec. Réclamer plus d'argent d'Ottawa. S'endetter encore plus. Forcer les autres postes de dépense à se «tasser» pour laisser plus de place à la santé. Toutes ces approches ont été essayées. Mais elles ont des limites. Des dépenses publiques de santé qui progressent au rythme de 6 % par année pendant que la richesse collective, elle, n'augmente que de 3,5 %, cela peut s'absorber pendant un temps, mais pas indéfiniment.
Reprendre le contrôle
Nous sommes d'avis que la seule solution viable au problème consiste à agir directement sur les dépenses publiques de santé. Il faut en reprendre sérieusement le contrôle et faire en sorte que leur croissance annuelle n'excède pas le taux de croissance de la richesse collective. Compte tenu du poids énorme de la santé dans le budget gouvernemental, c'est la viabilité des finances publiques dans leur ensemble qui est en jeu. Sans un ralentissement majeur et durable du budget de la santé, le Québec aura bien du mal à passer à travers la crise actuelle, et encore davantage à relever le défi du vieillissement.
Le problème, c'est que, si nos façons de faire actuelles restent inchangées, une croissance plus lente du budget de la santé équivaudra à une compression effective des services. En fait, les compressions sont déjà avec nous. Cette année, l'augmentation des dépenses de santé ne sera pas de 1,5 milliard comme d'habitude, mais de «seulement» 1,1 milliard.
Il faut donc se demander s'il est possible de réaliser ces compressions dans un cadre modifié qui nous permettrait d'améliorer la performance du système et de reprendre en même temps le contrôle de la facture. À cette question, nous répondons sans hésitation: yes, we can. La démonstration est facile à faire. Après les États-Unis, où comme on le sait les coûts de santé sont hors de contrôle, c'est au Québec que l'effort financier total des citoyens en santé est le plus important parmi tous les pays avancés. En 2008, nous avons consacré à la santé 12 % de notre revenu national, presque un dollar sur huit.
Performance globale
Même si les autres sociétés avancées dépensent une plus petite fraction de leur revenu que nous en santé, certaines ont néanmoins des systèmes nettement plus performants que le nôtre. La France et la Belgique, deux pays culturellement proches de nous, offrent des exemples intéressants. Bien que leurs populations soient plus vieilles, donc en principe plus coûteuses à soigner, les dépenses de santé en France et en Belgique sont inférieures aux nôtres (en dollars à pouvoir d'achat comparable). En 2007, c'était 4355 $ par habitant dans ces deux pays, contre 4420 $ au Québec. Cela n'a pas empêché l'Organisation mondiale de la santé de leur accorder de meilleures notes qu'à nous pour la performance globale de leurs systèmes de santé. L'OMS place le système français au premier rang mondial, le Canada au 30e rang et la Belgique quelque part entre les deux.
Les Belges ont accès à 74 % de plus de médecins par habitant que nous; les Français, à 45 % de plus. Imaginez un Québec où l'on aurait accès à 45 % de plus de médecins et où l'accès à un médecin de famille serait garanti sans délai! Dans ses hôpitaux de soins de courte durée, la Belgique met à la disposition de ses citoyens deux fois plus de lits que le Québec; la France en met 65 % de plus. Imaginez un Québec avec deux fois plus de lits d'hôpitaux et où les problèmes d'engorgement des urgences disparaîtraient parce que les patients seraient envoyés aux étages sur-le-champ!
Voir ailleurs
Comment les Belges et les Français parviennent-ils à faire mieux que nous sans que ça leur coûte plus cher? Ont-ils créé des systèmes à deux vitesses? Ont-ils renié les valeurs d'équité et de solidarité qui nous tiennent à coeur? Pas du tout. L'accès universel aux soins est une valeur aussi fondamentale pour eux que pour nous. L'État dispense chez eux 80 % des services de santé, contre 70 % chez nous.
Ces deux pays ont depuis longtemps établi des mécanismes d'évaluation rigoureux, dépolitisés et transparents, placé les incitants financiers aux bons endroits, favorisé les innovations locales, attaché les budgets des hôpitaux au nombre de patients soignés, accordé la priorité à la prévention et aux
services de première ligne, créé une émulation bénéfique entre le secteur public et un petit secteur privé, ouvert le privé à la pratique médicale à l'intérieur de certaines limites, etc. Il faut aller voir comment ces pays — et d'autres — font et nous inspirer de leurs pratiques. La clé de la réussite est là. Il n'y a aucun doute que nous pouvons faire mieux et payer moins cher, nous aussi.
Notre propos n'invente rien. Nous ne faisons ici que reprendre l'esprit des recommandations des rapports Clair, Ménard et Castonguay sur la santé remis au gouvernement entre 2000 et 2008. Avec le temps qui passe, les ratés du système qui se multiplient et le vieillissement qui approche, leurs recommandations commencent à prendre des allures d'urgence nationale. Le temps presse!
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Pierre Fortin - Professeur à l'Université du Québec à Montréal
Luc Godbout et Marc Van Audenrode - Professeurs à l'Université de Sherbrooke
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