Une profession de foi néo-nationaliste

Ce n'est pas le chef qu'il faut changer mais tout le paradigme national

Le nouveau programme du Bloc québécois - rien ne change !

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Chronique de Gilles Verrier

Si nous restons dans le paradigme du néo-nationalisme des années 1960, ce n'est pas le remplacement de Lisée, que certains commencent à réclamer, qui changera quelque chose sur l'essentiel. Certes, Jean-François Lisée a eu tort de vouloir mettre de coté la question constitutionnelle pour quatre ans, puisque c'est une question existentielle que tout patriote ne peut écarter. Mais il faut rajouter, à la décharge de Lisée, que le débat est épuisé et qu'il ne devait plus savoir comment le relancer. Effectivement, la lutte pour le changement de statut politique du Québec ne nous rapportera rien tant que le crédo péquiste ne sera pas profondément revu et corrigé. De toute évidence Lisée n'était pas l'homme pour s'y attaquer. PKP le ferait-t-il ? Certes, ce dernier pourrait susciter un certain engouement électoral, probablement trop tardif, mais sur l'essentiel, PKP ne s'est aucunement distingué jusqu'ici de l'approche qui a fait de nous des perdants depuis cinquante ans.


Combien de temps encore le paradigme péquiste et ses dérivés, BQ, ON (défunt), QS et PI nous tiendra-t-il enfermé dans une cage à homards ?


Dans cette série noire, le dernier épisode vient de tomber sous la forme de la Proposition principale du Bloc québécois, son projet de programme, rendu public tout récemment. J'étais en train de le parcourir au moment d'apprendre que Pierre Schneider réclamait le départ de J-F Lisée.


Voici ce que j'en ai tiré :


La profession de foi néo-nationaliste du Bloc québécois


« Pour le nouveau nationalisme des années 1960, la nation regroupant les personnes vivant au Québec n'est plus canadienne-française mais québécoise. Elle comprend toutes les personnes habitant le territoire du Québec, dont une majorité des français d'origine installés au Québec depuis près de 500 ans, une minorité d'origine britannique et des personnes de diverses communautés ethnoculturelles. Depuis René Lévesque, l'assemblée nationale du Québec a reconnu en 1985 l'existence de onze nations autochtones, ayant également leurs propres cultures et leurs droits comme nation. » 


Si vous comptez comme moi, le Québec serait donc composé d'une nation civique qui regroupe tous ses habitants et de onze nations ethniques. Pour les autochtones, la nation ethnique c'est un GO, pour les Canadiens-français c'est un NO GO. N'étions-nous pas des autochtones pour le colonisateur anglais quand il est débarqué 150 ans après la fondation du Canada ? Nation ethnique ne veut pas dire ethniciste. Nous incluons bien qui le veut, mais notre grande générosité ne nous obligeait pas à inclure dans une nation « créative » et « fantasmée » le West Island, même si on sait qu'il fera tout pour couler tout projet d'émancipation nationale. Y compris par la menace de partition. Pas grave.


Dans un autre passage du programme, on parle de la « communauté minoritaire de langue anglaise », bel euphémisme par lequel on refuse de qualifier cette minorité, qui n'en est pas une, de majorité sociologique. Appelons les choses par leur nom, c'est la puissante portion de la nation canadian au Québec. Elle dispose de facto d'un droit de veto ou d'un droit de désaveu, au choix, du fait de son identité nationale qui la rattache à l'État canadian et à ses leviers des survivances coloniales comme la Cour suprême.


* * *


La désinvolture du Bloc en ce qui concerne notre avenir


Le déni de l'existence de la nation canadienne-française est le résultat de l'influence croissante des valeurs anglo-saxonnes canadian au sein de l'élite canadienne-française. On a choisi un combat artificiel, basé sur un légalisme référendaire, et rejeté le combat de la légitimité historique. Conséquence de cette dilution, les raisons invoquées pour conclure à la nécessité de l'indépendance sont nécessairement affaiblies puisqu'on refuse de recourir à l'argument de l'égalité des nations socio-historiques. Nous nous sommes fondus avec l'anglais dans une nation civique absurde, qui n'en est pas une, mais qui est la fusion contre-nature de deux irréductibles nations. Qu'on prétend unies par le fait de partager le même territoire, un refus de la dualité nationale qui donne le dernier mot au West Island. Avec ce déni de réalité, on est forcé de mettre de l'accent sur les dysfonctionnements structurels et conjoncturels du fédéralisme. Et de justifier l'indépendance avec ce résidu. Cela ressort nettement dans le nouveau programme du BQ.


Le deuxième paragraphe du Chapitre 1 (p.11) décrit l'oppression nationale du régime avec de bons exemples, qui montrent une constante dans les entraves que met le Canada à toute initiative de libération, par des moyens détournés ou directs : 


« Depuis la Conquête de 1760, l’histoire du Québec est celle de la résistance d’un peuple annexé, presque toujours sur la défensive, bloqué dans trop de secteurs de sa vie collective, en un mot, subordonné. Il y a là aussi une forme sournoise d’oppression. L’oppression nationale est un concept qu’il faut bien comprendre, tout comme celui de « violence». La violence peut être physique, comme dans les cas du génocide acadien de 1755, de la répression des patriotes en 1837-1838, de la pendaison de Louis Riel. Elle peut être légale, comme l’élimination systématique du français dans les provinces canadiennes hors-Québec, de la conscription de 1917 et de 1942 ou les arrestations de 1970. »


« Mais en règle générale, l’oppression nationale ne consiste pas à s’en prendre aux individus, mais plutôt au lien même, au mortier, qui unit la nation. Les multiples décisions de la Cour suprême du Canada qui ont invalidé au fil des ans plusieurs dispositions de la Charte de la langue française (loi 101) en sont un exemple probant. »


Après avoir correctement décrit l'oppression historique du Canada, si vous êtes comme moi, vous serez tout simplement jeté par terre par la désinvolture avec laquelle le Bloc pense pouvoir tenir toute une série consultations, mobiliser une constituante avec des conclusions écrites d'avance (favorables à son projet - si ça ne dérape pas ?) et procéder ensuite par référendum pour déclarer l'indépendance. Tout cela sans évoquer nulle part le sabotage prévisible du processus par tous les moyens, y compris le recours à toutes les manoeuvres clandestines. Les agneaux courent à l'abattoir.


Il n'y a pas de page blanche constitutionnelle


Le Bloc tente de situer le projet néo nationaliste d'indépendance sur une page blanche. Dans un espace mental délivré du contentieux canadian auquel on ne préfère pas penser. Il semble que l'on veuille absolument subir une troisième et définitive défaite en continuant de patauger dans la purée de la « conviction », de la « persuasion » et de la « pédagogie », détachées de toute contestation réelle d'une constitution réelle.


L'ensemble du document fait le vide sur le fait que la constitution de 1867 a été adoptée par les représentants des « descendants des vaincus », qui ont fini par être gagnés au projet, suite à des promesses qui leur ont été faites lors des débats parlementaires constituants. Il n'est pas possible de partir sur une page blanche constitutionnelle, il n'est pas possible d'occulter l'imbroglio constitutionnel réel. Il faut laisser la pédagogie à l'école et investir le champ de bataille d'une lutte réelle contre Ottawa, pour réclamer que les promesses faites à la nation canadienne-française socio-historique soient tenues. Ceci n'a jamais été fait ! Et sans passer par là on ne peut justifier une indépendance chevillée à des « processus d'accession », tout aussi abracadabrants les uns que les autres. Si vous pensez que nous avons déjà mené cette lutte et que ce n'est pas la peine de la refaire, revenez-moi avec vos preuves et vos arguments, on en discutera. Moi je maintiens que cette lutte a été sabotée une fois et dans les autres cas, jamais menée jusqu'au bout.


Notre sous-performance chronique dans les négociations constitutionnelles


Au cours des négociations de Charlottetown, Robert Bourassa - dans un cas d'école de démission égale à celles du PQ - nous a donné par le témoignage d'acteurs directs (André Tremblay et Diane Wilhelmy) la mesure de ce qu'il faut de préparation et de détermination - sans compter la nécessité d'organiser l'appui populaire - pour tenir le fort, faire face à la machine de guerre canadienne dans des négociations constitutionnelles. Le problème de la sous-performance constitutionnelle chronique du Québec, de sa négligence dans la préparation de sa défense, forme la trame des événements officiels qui marquent nos reculs historiques enregistrés depuis la Confédération. Il est clair que Lévesque, Bourassa et Parizeau n'étaient pas de taille. Ils n'avaient ni la préparation, ni la bonne perspective ni l'organisation politique pour affronter ces ogres. Comme Gorges-Étienne Cartier, ils se sont faits bouffer tout rond. Le tout frais programme politique du Bloc québécois reprend « avec enthousiasme » avec cette tradition, le paradigme des perdants.


Des difficultés nouvelles de déclarer l'indépendance


Finalement, on peut se conforter en rappelant que le nombre de pays indépendants a plus que doublé depuis 1945, comme le programme du Bloc nous le rappelle. Cette fausse consolation oublie que l'âge d'or des indépendances en série est révolue depuis deux décennies. Il ne se déclare plus beaucoup d'indépendances. Les terres de la planète ont été attribuées. En plus, une difficulté additionnelle nous arrive avec la nouvelle guerre froide. L'OTAN et ses affidés (comme l'Union européenne) facilite et organise les sécessions et les indépendances dans les pays qu'elle ne contrôle pas (Kosovo) et les empêche dans les pays qu'elle contrôle (Catalogne). Simpliste me direz-vous ? Pas tant que ça. La nouvelle géopolitique dictée par les États-Unis, qui tend à reconstituer des blocs, n'a pas pour programme de scinder le Canada. Pire, le droit international est de moins en moins respecté, l'unilatéralisme et le recours sélectif à la force le remplace. Le Québec ne peut plus compter sur un contexte international qui pouvait le favoriser à une autre époque. Le droit international est malmené. Un phénomène qu'il faut absolument comprendre, alors que la désolante routine politique d'une organisation comme le Bloc se contente d'ânonner ce qui se disait déjà dans les années 1960. Dans la réduction du cadre d'opportunité des indépendances, pour des raisons intérieures et extérieures, nous n'avons pas d'autre choix que de mener une lutte pour l'égalité des nations socio-historiques, contester les dérives de la Constitution de 1867 et tenter de corriger notre sous-performance historique dans ce genre d'exercice.


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Gilles Verrier140 articles

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Entrepreneur à la retraite, intellectuel à force de curiosité et autodidacte. Je tiens de mon père un intérêt précoce pour les affaires publiques. Partenaire de Vigile avec Bernard Frappier pour initier à contre-courant la relance d'un souverainisme ambitieux, peu après le référendum de 1995. On peut communiquer avec moi et commenter mon blogue : http://gilles-verrier.blogspot.ca





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4 commentaires

  • André Gignac Répondre

    2 mai 2018

    Monsieur Verrier


    Le peuple québécois a toujours été sacrifié par sa classe politique qui est au service du fédéralisme "canadian" et de l'establishment financier de Toronto (Bay Street, vous connaissez?). Lisée vient de nous en fournir une autre preuve en exigeant un débat en ANGLAIS lors de la prochaine élection provinciale (quel diminutif!) en octobre. Pas surprenant, en réalité, puisque les chefs de ces quatre partis politiques (PLQ, CAQ, PQ, QS) en plus d'être fédéralistes et mondialistes; ils ont toujours été à genoux face au West Island.



    Ce sera bientôt la fin du mouvement souverainiste avec  Le Bloc et le PQ. Lorsque c'est rendu que tu dois voter pour la CAQ un parti fédéraliste pour te défaire du "quebec liberal party" du West Island, nous avons un gros problème au Québec, vous en conviendrez.


    ÉGALITÉ OU INDÉPENDANCE!


    André Gignac 2/5/18


  • Éric F. Bouchard Répondre

    19 avril 2018

    Il faut savoir gré à Gilles Verrier de remettre en perspective tous les obstacles qui rendent aujourd’hui illusoire le changement de statut politique de la Province de Québec.


    La conjoncture qui favorisait ce changement il y a 50 ans n’existe plus aujourd’hui, et ce, aussi bien en raison de facteurs internes (l’identité civique et pluraliste induite par la québécitude a presqu’éteint le sentiment national séculaire des Canadien-Français), que de facteurs externes (les États nationaux, hormis encore parfois les superpuissances, sont toujours plus soumis aux lois du marché qui poussent à une intégration supranationale).


    Or, le Bloc comme le PQ agissent comme si rien n’avait changé. De fait, nos politiciens et nos chroniqueurs, surtout les soi-disant nationalistes, ne font plus carrière confortable qu’en nous berçant d’illusions débilitantes qui nous rendent impuissants en nous empêchant de lire la réalité du monde qui nous entoure.


    Ainsi en va-t-il de Vigile qui ne trouve rien de mieux pour combattre l'immigration massive et le référendisme que de promouvoir un renforcement de l'État du Québec qui fonde pourtant sa légitimité sur l'idée d'un peuple façonné par l'immigration et le référendisme.


    Il serait temps de voir les choses autrement si l’on veut qu’existe encore une nation française au Québec. Et c’est ce à quoi les écrits de Gilles Verrier nous amènent peu à peu.


  • Michel Blondin Répondre

    18 avril 2018

    Ce n'est pas par l'approche internationaliste mais par celle des accoucheurs d'indépendance.


    Plusieurs prenent le pas de la démondialisation en lieu et place de l'accession à l'Indépendance comme pas, comme premier pas, à faire.


    Intellectuellement c'est tentant de "sauter" sur l'International, sur des difficultés dont les traités échangistes sans conditions nous accablent. De vouloir régler le cas des sans gènes, des transnationales comme disait Parizeau. Des traités pour les plus-que-riches-honteusement.


    Mais, le premier pas, n'est-ce pas celui de prendre sa liberté comme peuple. De prendre fait et geste pour bâtir son pays, prendre son envol, prendre et posséder ses outils d'actualisation et ses outils d'internalisation.


    Il faut partir de soi, de la maturité d'un peuple, de son pouvoir comme peuple. Sinon, que sommes-nous? Nom d'un non, nous ne sommes pas en mesure de changer le monde à partir de notre statut de colonisés. C'est lui qu'il faut régler. La constitution doit être nôtre, cette loi des lois qui prévaut sur les autres et détermine l'autorité dans ces frontières, elle doit être des nôtres.


    Après, juste après, avec des outils, celui de la liberté d'État souverain, nous pouvons et devons être de ces libertés.


  • Me Christian Néron Répondre

    18 avril 2018

        ««  LA MAJORITÉ SOCIOLOGIQUE  »»


    Ce sont les sociologues qui ont développé cette notion à partir


    de leurs observations des rapports coloniaux.



    Une population démographiquement très minoritaire peut devenir


    sociologiquement majoritaire lorsqu'elle a le pouvoir de contraindre


    la volonté de la majorité démographique.



    Au Québec, à Montréal surtout, les anglophones ne constituent une


    minorité que sur le plan démographique.



    Sur le plan sociologique, ils sont majoritaires puisqu'ils détiennent


    un véritable droit de véto sur l'avenir de la majorité démographique.