Par Pierre Boisguilbert ♦ L’hommage du monde à Elisabeth II est l’hommage de la planète globale au système monarchique européen. Cet hommage a donc écorché la bouche de plusieurs commentateurs dans les médias français. Les petits idéologues de France info ont particulièrement soufferts cherchant partout des opposants à la monarchie à la limite de l’indécence. Et Charles III, le nouveau roi, a fait un premier discours remarqué entre tradition et évolution.
Engagement et neutralité
Le Prince Charles était un écologiste militant et même interventionniste. Le roi gardera ses convictions mais devra les exprimer différemment face, notamment, à une Première ministre qui ne fait pas de la sauvegarde de la planète sa priorité. Liz Truss est formellement devenue Première ministre britannique après avoir été reçue par la reine Elizabeth II encore vivante, qui lui a confié la tâche de former un gouvernement. On la compare souvent à Margareth Thatcher, ce qui pourrait laisser entendre que cela ne sera pas le grand amour avec le nouveau souverain. Car, pour la Dame de Fer, le lâchage du régime blanc d’Afrique du sud était une erreur, elle avait une solidarité raciale chevillée au corps au contraire de la souveraine. Fidèle à sa coutume de neutralité, la reine ne s’exprimera pas sur l’apartheid jusqu’à la fin du régime blanc. Dans son ouvrage La Grande-Bretagne et le monde (éd. Armand Colin), l’historien Philippe Chassaigne explique qu’Elizabeth II ne voulait pas se rendre à nouveau en Afrique du Sud « parce que ça aurait été cautionner la politique d’apartheid qui s’était mise en place ». Tout juste apporte-t-elle, au début des années 1980, un soutien discret à Brian Mulroney, le Premier ministre canadien, qui milite pour des sanctions économiques contre l’Afrique du Sud. Margaret Thatcher, alors Première ministre britannique, y est de son côté opposée.
Les relations fraîches ou compliquées entre Elizabeth II et Margaret Thatcher s’incarnent d’ailleurs autour de l’approche du Royaume-Uni vis-à-vis de Nelson Mandela : alors que la Dame de Fer considère le Congrès national africain (ANC), le parti de Madiba, « d’organisation terroriste », la reine tend la main à celui qui a passé 27 années en prison. Peu après sa libération, en 1990, elle accueille Nelson Mandela au Royaume-Uni. Cinq ans plus tard, elle se rend elle-même en Afrique du Sud, où le leader de l’ANC vient d’être élu premier président de la République. On se souvient également de la danse avec le marxiste Nkruma du Ghana. La visite de la reine n’empêchera pas Kwame Nkrumah de se rapprocher du bloc soviétique, mais elle évitera la rupture avec le Commonwealth. La reine rassure le président et l’aide à obtenir des financements. Conquis, Kwame Nkrumah déclare : « Le vent du changement qui souffle sur l’Afrique est devenu un ouragan. Quels que soient les effets de ce souffle sur l’Histoire, l’estime et l’affection personnelle que nous avons pour Votre Majesté resteront inchangées. »
L’actuel président du Ghana, Nana Akufo-Addo, a d’ailleurs été le premier chef d’État à réagir à la disparition d’Elizabeth II. Sur Twitter, il a notamment écrit : « En tant que cheffe du Commonwealth, elle a supervisé la transformation spectaculaire de l’Union et l’a amenée à accorder une plus grande attention à nos valeurs et à une meilleure gouvernance. Elle était le roc qui a maintenu l’organisation solide et fidèle à ses convictions positives. Sa présence inspirante, son calme, sa stabilité et, par-dessus tout, son grand amour et sa croyance dans le but supérieur du Commonwealth des Nations et dans sa capacité à être une force pour le bien dans notre monde nous manqueront. »
Charles III, souverain de l’ouverture ?
Charles III défendra-t-il l’héritage impérial ? On verra, mais dans son premier discours le chef de l’église anglicane s’est volontairement ouvert à toutes les religions dans le Commonwealth; ce qui est normal, mais aussi présentes sur le sol britannique. On sait qu’il est particulièrement intéressé par l’islam. Un souverain d ouverture multiculturel et multiconfessionnel mais jusqu’où ? Le fait qu’il ait imposé Camilla montre une fermeté de caractère peu commune, ses mots affection pour Harry et Meghan ouvrent peut être une nouvelle phase plus souple dans le fonctionnement familial de la firme.
Stéphane Bern bien inspiré a déclaré « Elle a recouvert d’un manteau d’hermine un déclin britannique ». On pourrait évoquer le rôle de Churchill toujours encensé pour des raisons idéologiques mais largement responsable du déclin de l’empire. Elisabeth II n’était plus impératrice des indes mais elle restait la dernière impératrice universelle. Charles ne sera que roi d’un royaume moins uni que jamais et sous le vent mauvais des idéologies modernistes qui considèrent la monarchie comme une statue à déboulonner.
On lui souhaite bien du courage pour maintenir en évoluant sans se renier ce qu’il incarne après sa mère… Un gros fardeau pour un homme blanc.
Pierre Boisguilbert