Contrat de mai 1969 d'achat d'électricité de la centrale Churchill Falls

Le Devoir verse dans la culpabilité castrante: c'est indigne.

Tribune libre

Nous faisons référence à un éditorial de Jean-Robert SANSFAÇON, paru dans Le Devoir du 1er décembre 2012, intitulé: LES ERREURS D’HYDRO.
Voici une liste des erreurs récentes non sanctionnées chez Hydro-Québec:
- vente secrète de droits de pétrole et gaz à Pétrolia en 2008;
- le rachat d’électricité en 2011-2012 de Rio Tinto Alcan payé 50% plus cher que le prix vendu par H.-Q.;
- le contrat de 20 ans (2006-2026) avec la centrale de cogénération de TransCanada Energy (Calgary) à Bécancour qui ne fonctionne pas; H.-Q. paie une pénalité de 150 M$ par année.
- l’implantation ratée des compteurs intelligents.
- le projet pharaonique de la réfection de Gentilly-2: un gouffre financier depuis ses débuts.
À l’opposé de ces erreurs graves, nous nous empressons de mentionner une «bonne affaire» pour le Québec: le contrat signé en mai 1969 pour l’achat par Hydro-Québec de toute l’électricité produite par la très puissante centrale Churchill Falls située au Labrador. Cet achat ne peut pas être inférieur à 31,5 TWh par année et a atteint un sommet de 37,8 TWh en 1980.
L’éditorial du Devoir mentionné ci-dessus effleure vers la fin du texte cet important contrat entre Hydro-Québec et CFLCo ( Churchill Falls Labrador Corp) d’une durée de 65 ans ( 40 ans + 25 ans). Son auteur, l’éditorialiste Sansfaçon assimile ce contrat à un erreur, comme un mauvais contrat. Pourtant !
Nous lisons cette affirmation lapidaire dans l’éditorial, je cite: « Mais elle (la direction d’H.-Q.) doit surtout reconnaître son lamentable échec à s’entendre avec Terre-Neuve pour développer le Bas-Churchill. » Y a-t-il confusion dans les dossiers ? Le projet du Bas-Chruchill est tout différent des circonstances qui ont entouré le projet du Haut-Churchill. Il faut se rappeler que le Gouvernement de Terre-Neuve sème la zizanie dans les relations Québec-Terre-Neuve depuis des décennies accusant le Québec de fraude dans le cas du contrat de mai 1969.
Le principe du bon voisinage, auquel fait référence le journaliste, a ses avantages à la condition que le voisin en question, le gouvernement de Terre-Neuve, soit de bonne foi. Dans ce dossier, les gouvernements terre-neuviens successifs dont les PM Bryan PECKFORD et plus récemment Danny WILLIAMS, ont adopté une position vindicative. Ils ont fait grand bruit et forte publicité pour laisser croire que le contrat de mai 1969 était entaché d’un vice de forme et de fraude. Les gouvernements de Terre-Neuve ont essayé de convaincre que ce contrat était injuste. Cette fausseté est malheureusement crue par des Québécois. Les terre-neuviens associent ce contrat à un vol de leurs richesses naturelles par Québec à cause du petit prix convenu entre les parties sur une aussi longue période de temps: 1976-2016 plus 25 ans par tacite reconduction.
L’éditorialiste qualifie de «ridicule» le prix fixé pour l’achat de toute l’électricité produite par la centrale hydraulique de Churchill Falls, soit 1/4 de cent le kilowattheure jusqu’en 2016. À compter de 2016, le prix baissera à 1/5 de cent le kilowattheure.
Quel sens donné vraiment au mot «ridicule» choisi par l’éditorialiste du Devoir ? J’en vois deux principaux: a) ridicule dans le sens de plaisantin, bouffon, pas sérieux. Le deuxième sens est plus lourd: ridicule dans le sens d’incroyable, insensé et bête.
Dans le contexte d’un contrat de la nature de celui de mai 1969, je comprends que l’éditorialiste Sansfaçon retient plutôt le deuxième sens «d’incroyable, d’insensé et de bête». L’emploi du qualificatif «ridicule» sonne comme une dénonciation d’un mauvais contrat ayant des conséquences négatives pour les deux parties. Le Québec a signé un contrat qui lui permet d’abuser de l’autre partie au contrat, ce qui pousse Terre-Neuve à jouer à la victime.
L’éditorialiste endosse la position du gouvernement de Terre-Neuve qui laisse courir le bruit que ce contrat est nul. Même, il est jugé à postériori comme étant injuste comme le fait l’éditorialiste Sansfaçon. Le Québec est l’exécutant de l’injustice et la population de Terre-Neuve, la spoliée.
Comment prétendre à une telle machination de la part du Québec alors que les deux représentants du vendeur de l’électricité, la compagnie privée CFLCo détentrice des droits hydrauliques sur la partie du fleuve Haut-Churchill, ont signé ce contrat devant les caméras en toute liberté ? Un numéro double de la revue FORCES, nos 57-58 de 1981 et 1982, présentent ces photos et le contexte de la signature de mai 1969. Comment imaginer que les signataires de CFLCo aient sciemment fermé les yeux ou aient ignoré une fraude mise en place par les représentants d’Hydro-Québec ?
La poursuite de Terre-Neuve c. Québec a été portée devant les tribunaux qui à deux reprises ont conclu que le contrat de mai 1969 était valide. Pour une rare fois, le Québec a signé un contrat lucratif pour lui. Et le Québec, c’est nous. En quoi les deux représentants du vendeur CFLCo, dûment autorisés par leur Conseil d’administration, auraient posé un geste insensé en signant ledit contrat ce jour de mai 1969 ?
Les pourparlers entre les parties n’ont pas été précipités: ils ont duré plus de 10 ans. Ils ont commencé du temps de Maurice Duplessis, avant l’arrivée au pouvoir en 1960 de Jean Lesage qui a continué les discussions, lesquelles ont abouti à une signature du temps de Daniel Johnson père comme Premier ministre du Québec ce 12 mai 1969.
Hydro-Québec à titre d’acheteur de toute la production d’électricité du barrage Churchill Falls a pris de grandes responsabilités et de grands risques dont ceux-ci:
- Hydro-Québec a trouvé les débouchés pour vendre cette électricité ce que CFLCo était incapable.
- La santé financière d’Hydro-Québec était une garantie assez solide pour rassurer
les bailleurs de fonds impliqués dans le financement de la construction du barrage, ce que CFLCO était incapable de réaliser par elle-même.
- Hydro-Québec a convenu de payer tous les intérêts sur obligations supérieurs à 5%.
- Hydro-Québec s’est engagée à terminer les travaux en cas de défaut de CFLCo.
- Hydro-Québec possédait la technologie toute nouvelle du transport d’électricité sur de longues distances (1000 km entre le Labrador et Montréal) avec des lignes de 735 000 volts, invention de l’équipe de l’ingénieur d’H.-Q.,Jean-Jacques Archambault. La première ligne 735 kV a été mise en service commerciale en 1965, soit quelques années avant 1969.
Toutes les obligations prises par Hydro-Québec envers le promoteur CFLCo en faisait un presque propriétaire. D’ailleurs H.-Q. est actionnaire à 34% du barrage Churchill Falls et la société d’État terre-neuvienne, NALCOR (Newfoundland and Labrador Corp) détient le 66% complémentaire.. Quoi de surprenant pour un quasi-propriétaire de jouir de son bien avec un bon prix d’achat !
De 1969 à nos jours, il existe un long moment de plus de 44 ans. Pour des gens qui connaissent le monde de la finance, un placement sur un aussi long terme, comprenant autant de risques que ceux pris à l’époque par Hydro-Québec font en sorte qu’il est normal d’en retirer des profits substantiels au profit de tous les Québécois et des finances du Québec.
Pour quelles raisons le journaliste Sansfaçon qualifie de «ridicule» un tel succès d’affaire ?
Après coup, on peut avoir la certitude que ce barrage n’aurait jamais vu le jour sans la collaboration indéfectible d’Hydro-Québec. Pourquoi insinuer de la mauvaise volonté chez la haute direction d’H.-Q. en créant un parallèle entre le projet actuel du développement du Bas-Churchill et le contrat «au prix ridicule» de mai 1969 portant sur le Haut-Churchill ? Malheureusement pour lui, le Gouvernement de T-N n’était pas partie au contrat de mai 1969. CFLCo était une entreprise privée une filiale de BRINCO, British Newfoundland Corporation de Londres, dirigés par des financiers de Londres.
Les absents ont difficilement raison et le Gouvernement de T.-N. a cherché à réouvrir le contrat de mai 1969 sans succès. Si le journaliste Sansfaçon, en tant que Québécois, ne réalise pas une bonne affaire et qu’il mêle des considérations morales d’un autre ordre, le tout coller après coup à un «bon et honnête contrat pour le Québec», ce journaliste doit s’expliquer. En aura-t-il le courage ?
François A. Lachapelle, retraité d’Hydro-Québec. Montréal, Qc 3 décembre 2012.


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8 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    5 décembre 2012

    Merci M. Lachapelle. J'apprécie ces informations provenant
    d'un ex employé d'Hydro-Québec. M. Lachapelle, j'aimerais
    connaitre votre opinion concernant la stratégie a adopter, par le gouvernement du Québec, face a quatre événements :
    1) l'intention du fédéral de cautionner et garantir l'emprunt de la ligne sous-marine
    2) l'intention de Terre-Neuve de développer Muskrat Falls...
    sur les terres Québécoises (1927)
    3) L'exploitation imminente du gisement Old Harry (un tiers Terre-Neuve et deux tiers Québec) dans le Golf St-Laurent
    Une entente globale vous semble-t-elle possible et avantageuse ?

  • Archives de Vigile Répondre

    5 décembre 2012

    Après la kyrielle de contrats déficitaires qu'elle a signés avec le privé dans l'éolien et les petites centrales, Hydro Québec aurait dû s'engager dans un projet «nioufi» au coût d'aménagement de 14 ou 15 cents du kw? Et ceci dans un contexte nord-américain de surplus d'électricité, donc de très bas prix, tant qu'il y aura du gaz de schiste? C'était déjà trop avec La Romaine à 10 cents!

  • François A. Lachapelle Répondre

    4 décembre 2012

    Je remercie les vigiliens pour le dialogue à la suite de mon texte. Des précisions précieuses apportées pour l'un complètent le portrait des événements qui ont suivi la signature du contrat le 12 mai 1969.
    Je désire tenter un début de réponse à la question de Monsieur Pomerleau qui met en concurrence, si on me prête l'expression, le projet de Churchill Falls avec celui de la Baie James.
    Je crois qu'il y a plusieurs facteurs dynamiques, en plus de la structure des coûts, qui caractérisent chaque projet qui expliquent que les deux projets ont été réalisés même si Churchill Falls a devancé le projet de la Baie James.
    Pour illustrer ces facteurs dynamiques, un chassé-croisé d'intérêts, je m'inspire d'extraits du livre intitulé QUÉBEC UN SIÈCLE D'ÉLECTRICITÉ aux Éditions Libre expression 1979 par les auteurs Clarence HOGUE, André Bolduc et Daniel Larouche.
    Premier extrait re le développement hydroélectrique de la Baie James, page 309: «L'aménagement des rivières de la Baie James dont on souhaitait faire le «projet du siècle» connaît des débuts orageux: manoeuvres politiques pour écarter Hydro-Québec du projet, éclatement de conflits syndicaux, longues négociations avec les autochtones de la Baie James, impacts du projet sur l'environnement, escalade des coûts, tout est prétexte à la remise en cause du complexe La Grande.»
    Le 2e extrait est tiré de la page 322 dudit livre et porte sur le projet de Churchill Falls: « Ainsi, au moment où l'activité débute à la Baie James, les travaux se poursuivent sans interruption à Churchill Falls.... Les facteurs de succès de Churchill Falls sont nombreux: le site est idéal, la planification a été soignée, le taux d'inflation est alors relativement bas et prévisible, les taux d'intérêts sont stables et, surtout, le régime de travail donne peu de prise à l'éclatement de conflits et à des retards coûteux.»
    Ainsi, des chantiers différents évoluent dans des contextes très variés ce qui peut avantager l'un par rapport à l'autre dans son exécution.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 décembre 2012

    M. Lachapelle résume bien les circonstances et les modalités du contrat de vente d'électricité de mai 1969. Il aurait pu ajouter :


    • l'achat par Hydro-Québec de 100 M$ d'obligation de première hypothèque

    • une injection dans le capital de la CFLCo (qui a fait passer la participation d'HQ de 20 à 34,2%)

    • l'achat ferme de 31 TWh/an alors que les ventes d'Hydro-Québec en 1969 totalisaient seulement 46,7 TWh.

    • l'incertitude quant à l'exportation des surplus vers l'Ontario et New York, assumé à 100% par Hydro-Québec.

    • le report de plusieurs années de la fin de la construction du complexe Manic-Outardes (Manic-3 et Outardes-2).


    Ses conclusions demeurent toutefois solides. Sans le contrat de vente d'électricité et les risques pris par la direction de l'entreprise publique québécoise, les investisseurs de CFLCo n'auraient pas construit Churchill Falls.

  • Marcel Haché Répondre

    4 décembre 2012

    Simple question de realpolitik.
    Un gouvernement souverainiste n’aurait-il pas un immense intérêt politique à lever le plus grand contentieux que la province de Québec entretient avec une autre province canadienne qui resterait, elle, de toutes les façons qu’on y regarde nos intérêts et les siens, sur terre et sur mer, qui resteraient une voisine du grand Nord ?
    Est-ce qu’en refusant de reconsidérer la propre signature du Québec, ce que Nous pouvons souverainement faire maintenant, est-ce que ce n’est pas inviter en conséquence et de la plus insouciante façon, le gouvernement fédéral de se mêler d’une façon détournée (garantie de prêts) de ce qui ne le regarde pas ? Sur ce front très politique, faut-il encore que Québec défende ses vieilles positions, financièrement bénéfiques, certes, mais politiquement improductives ?
    Est-ce qu’en reprenant à son compte ce vieux contentieux provincial, qui repose sur un contrat valide, mais qui repose maintenant aussi sur un impérialisme qui pourrait Nous desservir (ce qui n’était pas le cas en 1969), et Nous exposer bientôt, et pour des raisons similaires mais retournées contre Nous, et soit dit surtout contre un gouvernement souverainiste, des raisons similaires à celles auxquelles s’était confronté Joe Smallwood dans le temps, mais maintenant retournées contre Nous, à propos de l’inversion du flux de pétrole d’un simple pipeline, qui passe déjà sur le territoire québécois ?
    Faut-il pour toujours qu’un gouvernement souverainiste se peinture dans le coin des gouvernements provinciaux qui l’ont précédé ? Ou est-ce que le temps ne serait-il pas venu de revoir TOUT le dossier avec les prémisses suivantes ajoutées à la validité indéniable du contrat :
    1) Le Labrador ne Nous sera pas rendu, quoi qu’il arrive…
    2)Terre-Neuve restera, quoi qu’il arrive aussi, la voisine du Québec, sur terre, sur mer et même dans les airs.

  • Jacques Vaillancourt Répondre

    4 décembre 2012

    Dans ce projet des Chutes Churchill, Hydro-Québec assume,et tous les risques financiers et techniques de l'entreprise

    Malgré les tarifs jugés bas (0,25 cent par KWH) par le gouvernement de Terre-Neuve, ce dernier ne parle pas de déficits mais de profits insuffisants.
    Selon Danny Williams le premier ministre de Terre-Neuve, le Québec aurait encaissé 19 milliards de dollars de profits en regard de un milliard pour Terre-Neuve.
    Et pour cause :
    Le coût de production pour Hydro-Québec aux Chutes Churchill selon le rapport récent est de 3,6 cents le Kwh, soit l’équivalent des autres centrales.
    Il faut se rappeler que la centrale hydroélectrique Churchill Falls est construite sur le territoire du Québec d'avant 1927 à plus de 400 km à l'intérieur des terres. Elle l'est toujours, le Québec n'a jamais voulu reconnaître la nouvelle délimitation.

    En 1927 Le but premier de l'annexion du Labrador par la Grande Bretagne au profit de sa colonie Terre-Neuve était de s'accaparer 8200 KW des Haut et Bas Churchill. Les "pouvoir d'eau étaient très recherchés à l'époque.

    LIENS:
    HYDRO-QUÉBEC: et le montage financier.
    http://www.vigile.net/Les-Chutes-Churchill-Amenagement

    *****

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    4 décembre 2012

    Hydro Québec a fait le choix de cette entente qui impliquait un développement d'un site hors du territoire nationale.
    Simple question :
    Est-ce que le choix de développer plus tôt le potentiel de la Baie James aurait été mieux indiqué,compte tenue que la structure des coûts de revient de l'électricité aurait été sensiblement du même ordre ?
    JCPomerleau

  • Claude Richard Répondre

    4 décembre 2012

    Sans compter que la cession du Labrador à Terre-Neuve en 1927 était et est encore hautement contestable. Plein de choses louches ont conduit à cette cession, que les autorités québécoises n'ont jamais reconnue. Le preux chevalier Sansfaçon est-il conscient de cette poutre en soulignant la paille qui est (ou plutôt serait) dans l'oeil du Québec? Certains des nôtres ont le masochisme vrillé au corps, y compris nos petits pitous NPD complètement muselés par Mulcair dans cette affaire.