« La guerre est un caméléon ».
Carl Von Clausewitz
Aucune commande pour Airbus en janvier 2019, mais des annulations concernant les huit A-380 attendus par la compagnie aérienne Quantas et les cinq A-220 commandés par la défunte PrivatAir. A quelques mois du Salon du Bourget, AIRBUS voit son carnet de livraisons à la baisse avec 313 commandes pour l’A-380 dont 79 restent à livrer – les 53 destinés à Emirates Airlines risquant d’être remis en question. A Toulouse, au siège opérationnel de l’avionneur européen, les langues commencent à se délier…
« Cette contre-performance a valeur de symptôme », estime un haut cadre, « jusqu’à maintenant nous restions à parité à peu près égale avec BOEING alors qu’aujourd’hui nous sommes péniblement qu’aux deux tiers. Le carnet de commandes fait encore illusion, mais l’‘effet cargo’ – selon lequel les engagements pris il y a des années se concrétisent seulement maintenant – dissimule une crise beaucoup plus profonde qui correspond à une lente prise de contrôle d’AIRBUS par les Américains ».
UNE FAUSSE BONNE SANTE
Malgré les derniers revers rendus publics, la santé apparente d’AIRBUS1 semble toujours resplendissante. Cette « fausse bonne santé » s’explique par trois raisons principales : l’absence de nouveaux programmes qui nécessitent toujours des fonds importants soulage la trésorerie ; une réduction drastique des investissements de recherche ; et une politique de couverture euro/dollar qui, avec la baisse du dollar a mécaniquement amélioré les résultats du groupe. Initiée par Louis Gallois (à la tête d’EADS2 de 2006 à 2012), cette politique rend aujourd’hui son plein rendement.
Cela dit, cette situation ne doit pas faire illusion et les nuages noirs s’accumulent à l’horizon. Pour le segment des monocouloirs, les Chinois vont devenir des adversaires redoutables avec leur C-919. Dans celui des gros porteurs, BOEING conserve une indiscutable supériorité avec les 787, 777 (dont Air France a été la compagnie de lancement) et le 777X. Dans ce dernier segment, AIRBUS est à la peine avec un 380 qui ne se vend pas, un 330-néo qui n’atteint pas les objectifs fixés et un 350 très en retard sur le 787 américain. « Cette fragilité est renforcée par la quasi-exclusivité qui lie General Electric à BOEING, condamnant AIRBUS à équiper ses gros porteurs avec des moteurs Rolls-Royce beaucoup moins performants », ajoute le cadre toulousain.
Depuis plusieurs années et il y a quelques mois encore, différentes notes de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur), puis de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), ont tenté d’alerter les autorités françaises au plus haut niveau sur les menées américaines. Par le biais de l’OMC3, de l’OACI4 et de plusieurs enquêtes financières extraterritoriales, des décideurs politiques et économiques du plus haut niveau cherchent à affaiblir AIRBUS dans la compétition frontale qui l’oppose à son concurrent BOEING.
La plupart de ces notes confidentielles (auxquelles nous avons eu accès) mettent en cause le rôle central du patron actuel d’AIRBUS : un certain Tom Enders5, surnommé « Le Cheval de Troie ».
LA CARTE AMERICAINE MAJEURE :
TOM ENDERS
Fils de berger, Thomas Enders est officier de réserve de la Bundeswehr. Parachutiste, il occupe divers postes de conseiller et d’officier d’état-major. Assistant parlementaire au Bundestag, il collabore à plusieurs centres de recherche stratégique. Membre de la CSU (l’Union sociale de Bavière, alliée à son parti frère : l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne CDU), il est alors proche de Friedrich Merz, collaborateur du ministre allemand de la Défense Gerhard Stoltenberg. Il rejoint DASA6 en 1991, où il exerce différentes fonctions au département marketing et à la direction générale, avant de devenir responsable de la division Defence & Security Systems, puis membre du Comité exécutif d’EADS dont il dirige alors la branche armements.
Cette fulgurante ascension s’explique moins par un particulier soutien allemand que par un sens aigu de l’opportunité et différentes circonstances liées à des luttes de personnes au sein de la partie française. De juin 2005 à août 2007, il devient l’un des deux co-présidents exécutifs d’EADS avec Noël Forgeard, puis Louis Gallois. D’août 2007 à mai 2012, on le retrouve président du groupe AIRBUS, filiale d’EADS, maison-mère dont il devient le président exécutif le 31 mai 2012.
Ayant effectué ses études en Californie (mais pas à UCLA comme l’affirme sa biographie officielle), il a été ciblé très tôt par les services américains comme gendre d’un haut dirigeant de DAIMLER, ne faisant pas mystère de son « atlantisme militant » et de son attachement inconditionnel aux Etats-Unis. Sa proximité avec les services américains est confirmée par un officier européen de renseignement, « alors que Tom Enders n’était que directeur de la stratégie de DAS – bras armé de DAIMLER dans l’activité défense du groupe allemand – tandis qu’EADS n’existait pas encore… ». La même source ajoute : « Tom Enders est devenu patron de l’activité Aéronautique et Défense de DASA, puis d’EADS à la fin des années 1990, à une époque où l’aval des autorités américaines était indispensable puisque l’armée allemande, particulièrement la Luftwaffe, travaillait en symbiose totale avec le Pentagone ».
LE BOARD, VALERIE MANNING ET LES AUTRES
Arrivé tout en haut de la pyramide, Tom Enders a pu constituer un « board » à sa main. A l’exception du français Denis Ranque, seuls les membres anglo-saxons ont une expérience des mondes de l’aéronautique et de la défense. Le premier – Ralph Crosby – est un ami de toujours de Tom Enders, ancien numéro deux de NORTHROP GRUMMAN, de facto lié aux services américains. Ancien secrétaire d’Etat à la Défense britannique, Paul Frayson en charge de l’approvisionnement, a été à l’origine de la Defense Industrial Strategy. Nommé au board en 2007, Sir John Parker, qui faisait partie d’une liste de quatre noms fournis par le gouvernement britannique, se présente en privé comme « Her Majesty Government Eye inside EADS ». On ne saurait mieux dire… Français, Allemands ou espagnols, les autres membres du board n’ont qu’une connaissance éloignée des mondes de l’aéronautique et de la défense.
Quant à Denis Ranque (à l’époque fraîchement débarqué du directoire de THALES), il doit sa nomination à Tom Enders qui voulait éviter à tout prix l’indépendante Anne Lauvergeon, ancien sherpa de François Mitterrand et ex-patronne de la société nucléaire AREVA.
Ainsi secondé, Tom Enders a pu s’attaquer aux piliers d’AIRBUS en toute impunité en commençant par son mode de financement spécifique. Très lourds, les programmes aéronautiques7 ont toujours bénéficié de soutiens étatiques. Aux Etats-Unis, la croissance de BOEING n’aurait jamais été possible sans les soutiens de la NASA et du Pentagone. Pour leur part, les Européens ont mis en place un système extrêmement efficace dit des « avances remboursables/(RLI) », légalisés par l’OMC. A ce jour, tous les programmes d’AIRBUS ont été financé grâce à ce système d’aides étatiques. Depuis des années, Tom Enders n’a eu de cesse de combattre ces aides au motif qu’elles rendaient le groupe trop dépendant des Etats » !
Aujourd’hui, dans le conflit qui oppose AIRBUS à BOEING devant l’OMC, les Américains cherchent la condamnation et la suppression des avances remboursables. Sans surprise, Tom Enders a confié la défense des intérêts de son groupe à… une société américaine : SIDELEY AUSTIN -, le groupe AIRBUS risquant de devoir bientôt s’acquitter d’une amende qui pourrait lui coûter plusieurs milliards de dollars à la grande satisfaction de BOEING. Afin de protéger son industrie automobile, les Allemands risquent de lâcher AIRBUS et de renoncer aux avances remboursables à la plus grande satisfaction de Tom Enders et de ses amis américains.
Après les finances, cet étrange patron va s’attaquer au secteur de la recherche d’AIRBUS. En juin 2016, il nomme un jeune startuper américain – Paul Emerenko – à la tête du secteur recherche d’AIRBUS. Malgré son jeune âge, le nouveau nominé est passé par la DARPA, l’agence de recherche du… Pentagone, ce qui pour les familiers de la branche aurait dû allumer un signal d’alerte maximale… Après avoir eu accès à tous les secrets d’AIRBUS, Paul Emerenko a quitté précipitemment le groupe pour rejoindre UTC, le géant américain de l’aéronautique.
Cela ne s’invente pas et ferai peu crédible dans les films d’espionnage les plus médiocres. Mais aux yeux de BOEING, le passage éclair d’Emerenko a été des plus profitables, puisque ce dernier s’est ingénié à littéralement casser tous les laboratoires d’AIRBUS, à pousser dehors les inventeurs de tous les grands programmes (dont Charles Champion, le père du 380), obtenant notamment la fermeture du centre de recherche de Suresnes. Les services spéciaux français estiment que de « nombreux dossiers sensibles » ont ainsi fuité vers les Etats-Unis « même si le désastre n’est pas encore directement perceptible ».
En 2009, bien avant l’arrivée de Paul Emerenko, Tom Enders impose plus discrètement au sein des équipes de recherche d’AIRBUS, une ancienne gradée de l’US AIR FORCE, Valerie Manning. Cette nomination provoque quelques réactions des services français qui ne manque pas de lancer de nouvelles alertes, mais en vain. La charmante jeune femme s’était vu refuser par une DCRI fort méfiante son habilitation et par conséquent interdire l’accès à certains sites français de fabrication de la filière armement d’EADS. Malgré tout, elle est notamment chargée de superviser à Suresnes l’audit réalisé sur le transporteur militaire A-400M. La proximité de Valerie Manning avec Tom Enders et d’autre hauts cadres du groupe a trop souvent défrayé la chronique interne d’AIRBUS pour ne pas accréditer la vraisemblance d’une confusion désastreuse du cœur et des armes…
Cerise sur le gâteau, Tom Enders a eu recours à la société PALANTIR dans le domaine des « big data » pour l’informatique d’AIRBUS. Dès 2004 PALANTIR, créé par Peter Thiel, Alex Karp et Nathan Gettings, proches du président Donald Trump, bénéficie de fonds importants de la CIA, multipliant différentes collaborations avec le renseignement, les forces armées et les services de police américains. Dernièrement PALANTIR a été associé à Cambridge-Analytica afin de collecter et d’exploiter – à leur insu – les données de millions d’abonnés au réseau numérique Facebook, lors de la campagne présidentielle américaine de 2016. Mais, ce détail n’a pas entamé la sagacité de Tom Enders…
L’audit interne lancé à son initiative personnelle sur les pratiques commerciales d’AIRBUS et confié au cabinet américain Hughes Hubbard and Reed. Cette dernière étape constitue, sans doute, la phase essentielle la plus grave qui a permis aux Américains de faire main basse sur le groupe européen. Supervisé par John Harrison (directeur juridique et secrétaire général du groupe), cet audit – à l’origine de la même procédure qui a conduit la société française TECHNIP à être racheter par un groupe américain – aura permis au cabinet Hughes Hubbard and Reed d’avoir accès à la totalité des informations confidentielles des réseaux commerciaux d’AIRBUS : les ordinateurs personnels de tous les cadres de ce réseau ramifié ont été saisis.
Nul besoin de sortir d’HEC pour savoir qu’en la matière, la confidentialité est la règle et que la confiance – vertu cardinale – a pu prendre des années, voire des dizaines d’années pour s’installer. Plusieurs cadres de l’industrie aéronautique chinoise de COMAC (qui ambitionne de se tailler une place prépondérante sur le marché mondial) confirment que « l’intelligence organique des réseaux commerciaux d’AIRBUS a, depuis longtemps, traversé l’Atlantique ».
Cet audit s’est prolongé par la saisine volontaire (encouragée encore par Tom Enders) du Serious Fraud Office britannique, quant à des présomptions de violation des lois anticorruption pour l’obtention de plusieurs des commandes du groupe. Compte-tenu des liens politiques et administratifs entre Londres et Washington, il apparaît assez clairement que cette initiative est à l’origine d’un nouveau coup porté à AIRBUS.
En effet, le groupe européen est sous le coup d’une nouvelle procédure judiciaire lancée, cette fois-ci, par le parquet américain, le redouté Departmnent of Justice (DoJ), le bras armé des Etats-Unis dans la poursuite – sur leur territoire et à l’étranger – des sociétés et entreprises jugées dangereuses pour les intérêts américains. Les sociétés françaises TECHNIP, TOTAL, ALCATEL, Société Générale et ALSTOM figurent à son tableau de chasse, condamnées dernièrement à des amendes colossales ayant atteint plusieurs centaines de millions d’euros, et dans certains cas plusieurs milliards !
L’EXTRATERRITORIALITE DU DROIT AMERICAIN
Conformément à ses méthodes sournoises, le Doj a attendu plusieurs mois avant de signifier à AIRBUS la teneur de procédures engagées officiellement fin 2017. En fait, le directoire d’AIRBUS n’a été saisi formellement que fin 2018. Mais désormais, les cadres du groupe qui voyagent outre-Atlantique peuvent se voir saisir par les autorités américaines leurs ordinateurs portables et leurs téléphones. « Les acteurs de la période 2009 – 2013, sur laquelle se penchent les enquêteurs, sont particulièrement ciblés. Les cadres dirigeants les plus emblématiques sont partis, soit volontairement, soit poussés vers la sortie avec de copieuses indemnités. Citons par exemple Marwan Lahoud, ex-directeur de la stratégie et de l’international, Fabrice Brégier, le numéro deux du groupe, John Leahy, l’historique directeur commercial et son adjoint Kiran Rao… »8.
Toujours présidé par Denis Ranque, le conseil d’administration a été partiellement renouvelé, mais il existe une longue liste d’hommes et de femmes de l’ombre licenciés sans bruit ». L’un des partants le déplore : « en gérant lui-même cette épuration avec l’aide de ses soutiens anglo-saxons, notre patron Tom Enders et quelques-uns de ses acolytes sont persuadés d’avoir sauvé leur tête, tout en sachant pertinemment qu’ils coulaient le groupe au profit de BOEING ». Malgré toutes ses combinaisons, Tom Enders devra quitter son poste en avril prochain. Le 7 octobre 2017, il expliquait dans l’hebdomadaire Der Spiegel qu’il n’avait réellement saisi l’ampleur de la débâcle qu’après le lancement d’un audit interne à partir de … 2014 !
Comme à leur habitude lorsqu’elles s’en prennent à des intérêts étrangers, les autorités américaines déploient une stratégie double : attaquer l’intérieur de la cible comme AIRBUS, en privilégiant les finances, la recherche et les réseaux commerciaux ; avant de lancer des procédures judiciaires conformes à un droit américain qui prétend rédiger la planète entière.
Il y a quelques années, TOTAL, SIEMENS, PPR, ALCATEL et Bolloré parmi tant d’autres ont ainsi fait les frais de cette stratégie d’extra-territorialité du droit américain, savamment déconstruit par le politologue Hervé Juvin9. En 2015, BNP Paribas, ALSTOM et le Crédit Agricole passent à la casserole. En 2016, ce fut au tour de SANOFI et AIRBUS. Demain, Mercedes, Renault, NAVAL GROUP, VINCI, SAFRAN, VEOLIA seront sommés de répondre aux convocations de la justice américaine !
Une banque européenne vient de décider de clore toutes ses opérations dans 18 pays et a mis sous surveillance ses activités dans 12 autres. Deux banques françaises considèrent qu’il est judicieux de réduire au minimum leurs relations avec une quarantaine de pays, dont plusieurs pays d’Afrique francophone, d’Asie ou d’Amérique latine ; leurs contrôleurs américains pourraient y trouver à redire. Les entreprises françaises qui veulent travailler avec ces pays sont priées de passer par les banques américaines. Plusieurs centaines de sous-traitants d’une entreprise industrielle européenne majeure ont fait l’objet d’enquêtes de la justice américaine et se sont vus contraintes de remettre tous les documents commerciaux et techniques relatifs à leurs relations avec leurs clients.
Sur le site du DoJ, qui la tient scrupuleusement à jour, la liste des procédures engagées contre des entreprises non américaines s’allonge. Et le bras armé du procureur américain frappe désormais à peu près partout dans le monde, dès lors que le dollar, un serveur américain, une puce électronique ou un satellite de télécommunication, lui donne matière à poursuivre, fondant sa compétence universelle.
Hervé Juvin : « l’application extraterritoriale du droit américain a détruit des entreprises françaises (ALCATEL et ALSTOM notamment), elle a permis d’extorquer des milliards d’euros à des entreprises européennes. Elle s’apprête à attaquer SANOFI, AIRBUS, SAFRAN et bien d’autres. Elle a pour prétexte la lutte anti-corruption, le respect des embargos américains, le combat anti-terroriste, pour objectif affiché l’efficacité économique, la moralisation des affaires, l’établissement des conditions d’une concurrence libre, ouverte et équitable partout dans le monde. Tout cela à l’appui d’un impérialisme juridique grandissant, tout cela au bénéfice de l’intérêt national américain. L’extraterritorialité du droit américain se propage à la faveur de l’abandon du droit international, de la faiblesse du régalien et de la négation de la puissance de mise en Europe. Elle constitue un élément majeur de la stratégie de « Global Constraint » – « contrainte globale » – qui renouvelle la stratégie de l’empire américain ».
La brutalité du procureur américain, la dureté des inculpations et des sanctions, les campagnes d’intimidation résultent moins des textes que de l’extrême résolution avec laquelle ils sont mobilisés au service, moins d’intérêts particuliers, que d’une vision du monde. Le droit américain reflète une conception de l’ordre social fondé sur la concurrence darwinienne pour la survie qui élimine les plus faibles, sur un modèle scientiste et néo-rationaliste en vertu duquel la technique et la croissance résoudront tous les problèmes posés par la technique et la croissance. Ce modèle est totalement opposé au modèle républicain de solidarité et de mutualité qui emprunte le meilleur de ses principes aux systèmes de régulation complexes des organismes vivants10.
Ce dispositif à prétention universel s’accompagne d’un affichage moral, toujours précédé de campagnes de presse appuyées par des fondations et des ONGs mobilisées dans un but de légitimation. Le premier effet des poursuites et des sanctions américaines contre les banques suisses, accusées de favoriser l’évasion fiscale, est que les banques suisses conseillent désormais à leurs clients de déposer leurs fonds aux Etats-Unis, d’ouvrir des sociétés au Delaware ou au Nevada, aujourd’hui parmi les premiers des paradis fiscaux du monde. Quant aux récalcitrants, ils se verront attaqués par la presse et les ONGs. Dernièrement, le quotidien Le Monde nous a servi un étrange scoop accusant le cimentier LAFARGE d’entretenir des complicités avec des groupes jihadistes… Il n’a pas fallu attendre 48 heures pour voir surgir les chevaliers blancs de plusieurs ONGs lançant pétitions et autres actions à l’encontre du cimentier !
Ces opérations sont le fait de diverses officines, disposant pour certaines de moyens étendus, pour la plupart d’une influence fondée sur le présupposé naïf que tout est mieux chez les autres, pour quelques-unes du projet explicite de soumission de la France aux intérêts étrangers. Au nom de l’éthique des affaires ou de la bonne gouvernance, des associations, des médias, des groupes exercent une pression plus ou moins directe sur les entreprises françaises pour qu’elles se conforment aux pratiques et aux intérêts américains ou à ceux de leurs alliés – combien de séminaires, de sessions de formation dans ce but ! – et, d’abord, pour qu’elles financent elles-mêmes des actions qui leurs sont contraires ! Ces officines donnent une nouvelle ampleur au trafic de réputation et d’influence.
A coup d’indicateur biaisés, de classements tendancieux, d’enquêtes bricolées, elles accréditent des procédures et des méthodes de gestion étrangères à la culture européenne des affaires, comme « la bonne gouvernance », « la mise en conformité », « les administrateurs indépendants », etc. L’ensemble revêt une certaine puissance en raison des relais que constituent cabinets d’avocats américains, auditeurs et comptables anglo-américains, banques d’affaires et fonds d’investissements, qui ont intérêt à agir, a produire de la norme, à relayer et manipuler certaines méthodes comptables.
Ainsi par conformisme, sinon par colonialisme intellectuel, combien de sociétés françaises comme AIRBUS ont-elles sciemment introduite le loup dans leur propre bergerie ? Combien d’entreprises françaises et européennes ont-elles confié des audits et autres analyses opérationnelles et stratégiques à des sociétés d’audit anglo-saxonnes ? Lorsqu’on sait, par exemple, que le plan « Vision-2030 » – censé diversifier et moderniser l’économie saoudienne – a été concocté par la société McKinsey… nous voilà rassuré et grandement assuré que les princes wahhabites ne financeront plus l’Islam radical dans le monde !
Alors que faire ? Travailler à se protéger de la « justice américaine » et à se décrocher du dollar. Les outils disponibles sont déjà là : ne plus travailler qu’avec les marchés de cotation des matières premières hors dollar, tels que la Chine en a ouvert en novembre 2015 (le premier portant sur l’or) ; refuser d’avoir affaire avec tout prestataire de services hébergé aux Etats-Unis, filiale d’une entreprise américaine , ou relevant d’une manière ou d’une autre de la justice américaine ; exiger que la totalité des données de l’entreprise soit traitée, hébergée et préservée dans des centres informatiques localisés en France ; imposer une autre monnaie que le dollar pour toute transaction internationale (comme l’impose l’Iran pour son pétrole et son gaz) ; éliminer de ses appels d’offre toute banque, toute institution financière américaine, ou filiale d’un établissement américain ; ne communiquer aucune information , ne diffuser aucune opinion, d’une organisation, ONG, association, Fondation ou institution internationale, sous la dépendance de financements américains11.
EN ATTENDANT LA VICTOIRE FINALE DE BOEING
Contrairement à Tom Enders – qui a bien rempli sa mission au bénéfice de ses amis américains et dont le départ est annoncé pour avril 2019 – Denis Ranque, actuel président du conseil d’administration d’AIRBUS, sera maintenu jusqu’en avril 2020, afin de poursuivre jusqu’au bout les enquêtes judiciaires engagées contre le groupe. Paris et Berlin qui contrôlent chacun 11% du capital d’AIRBUS vont, malgré tout continuer à se partager les deux plus hauts postes du groupe. Actuel directeur de la branche « avions civils », le Français Guillaume Faury remplacera vraisemblablement Tom Enders. Un 2020, un Allemand remplacera Denis Ranque. Berlin pousse fortement la candidature de René Obermann membre du conseil d’administration d’AIRBUS depuis avril 2018. Aujourd’hui, ce brave homme est directeur et associé du fonds d’investissement américain Warburg-Pincus. L’American Circus va pouvoir continuer… Assurément, le travail de Tom Enders pourra ainsi se conclure dans les meilleures conditions afin d’assurer une victoire totale et durable de BOEING sur son concurrent européen historique.
Hervé Juin de conclure : « pourquoi ne pas utiliser, entièrement chinois, plutôt que les sites de relations américains ? WeChat Pourquoi ne pas prévenir tous les utilisateurs de Cloud Computing et autres Big Data, comme de progiciels américains, que le nouveau pouvoir américain utilise, les prestataires de services pour acquérir toutes données utiles de la part des utilisateurs naïfs ? Pourquoi ne pas tenir en alerte toutes les entreprises contre le recours à des logiciels américains qui comportent tous les algorithmes pour suivre, déceler, dénoncer les opérations non-conformes à l’intérêt national américain ? Après, c’est trop tard. Quand l’entreprise emploie, laisse pénétrer ses fonctions vitales, laisse les prestataires américains la conseiller, auditer ses comptes, assister ses politiques commerciales, gérer ses flux de factures ou de capitaux, c’en est fini de son indépendance stratégique. Quand elle accepte de subordonner ses relations internationales au regard des Etats-Unis ou de leurs alliés, c’est fini. Il faut organiser la grande séparation d’avec l’occupation américaine, il faut faire tomber le nouveau mur qui nous aliène. Qu’il passe dans nos têtes plus que dans la rue, qu’il se compose de droit, de finance, d’audit et de conformité, ne le rend que plus présent. Il s’insinue partout, il nous coupe de nos traditions, de notre histoire, il nous rend insensible à notre intérêt propre, et voilà que la France ne peut même plus préférer les Français, l’Europe préférer les Européens ! Nous avons le monde devant nous. Il vaut tellement plus que l’illusion de l’alliance américaine ! »
En définitive, l’histoire d’AIRBUS est emblématique. Plus que d’autres, elle nous oblige à regarder la réalité en face. Au nom de la lutte contre la corruption, au nom du combat légitime contre les pratiques abusives, c’est la lutte contre la diversité humaine et contre la liberté des peuples à décider de leurs lois et de leurs principes qui s’impose et se généralise. C’est une colonisation américaine d’un nouveau type – soft et smart colonisation – qui s’affirme au fur et à mesure que la croissance signifie moins apporter une utilité augmentée que l’obsession de tuer ses concurrents par tous les moyens.
Après la mise à mort d’AIRBUS, pourra-t-on encore prétendre que les Américains sont encore nos « amis » ? A voir…
Richard Labévière
11 mars 2019
Proche&Moyen-Orient.ch
Observatoire Géostratégique