Les aspirants chefs conservateurs attendaient ce premier débat impatiemment et ils n’ont pas retenu les coups contre leurs adversaires. Pierre Poilievre a été la cible de tous ses rivaux, mais Jean Charest n’était pas en reste, ayant essuyé des attaques particulièrement cinglantes de la part du meneur de la course.
Cinq des six candidats à la chefferie du Parti conservateur étaient réunis pour le débat organisé jeudi soir par le Réseau Canada Strong and Free (anciennement le Centre Manning). Pour Jean Charest, c’était l’occasion de se faire connaître des conservateurs qui, pour plusieurs, ne se souviennent pas de son passé de progressiste-conservateur, étalé de 1984 à 1998.
L’ancien premier ministre du Québec a repris son discours de vente : il rappelle son expérience, promet de réunifier le Canada et le parti, et met en garde les conservateurs contre la politique « à l’américaine » que mène Pierre Poilievre. Chaque fois qu’il répétait ces messages, la foule semblait cependant peu réceptive. Les applaudissements étaient timides. Les tirades de ses rivaux sur la liberté, contre les médias et contre le gouvernement Trudeau suscitaient davantage d’enthousiasme.
Le décalage entre Jean Charest et les membres réunis à la grand-messe annuelle des conservateurs s’est confirmé lorsque, pour s’en prendre à son principal adversaire, Pierre Poilievre, il lui a reproché d’avoir appuyé « un barrage illégal », faisant référence au convoi de camionneurs. Il a aussitôt été hué. « Vous ne pouvez pas à la fois adopter et enfreindre des lois », a-t-il tenté de continuer.
Jean Charest a déjà fait ce reproche dans le passé. Pierre Poilievre venait de s’en servir quelques minutes plus tôt pour lui renvoyer une salve d’attaques. « Vous parlez de loi et d’ordre, c’est un peu fort [étant donné] que votre Parti libéral [du Québec] a pris un demi-million de dollars en dons illégaux lorsque vous en étiez à la tête. Le camionneur moyen a plus d’intégrité dans son petit doigt que vous n’en aviez dans tout votre cabinet libéral miné par les scandales », a-t-il lancé. Le travail de M. Charest pour la compagnie de télécommunications chinoise Huawei a été abordé. Tout comme son passé de « libéral », que M. Poilievre a dénoncé toute la soirée. Pour lui reprocher d’avoir augmenté les impôts, d’avoir instauré une « taxe carbone » par l’intermédiaire du marché du carbone et d’avoir créé un registre québécois des armes d’épaule. « Ce n’est pas le nom de votre parti qui était libéral, c’était votre bilan », a envoyé M. Poilievre.
En guerre contre la loi 21
En défendant sa vision pour l’avenir du Parti conservateur, Jean Charest a critiqué certains pans de son passé. Ce qui n’a pas été bien accueilli non plus. « Si vous preniez une minute pour arrêter d’attaquer le gouvernement Harper — qui est le parti dont nous sommes censés tous faire partie —, peut-être reconnaîtriez-vous tout le bien que cet homme a fait pour ce pays », a soutenu Pierre Poilievre, encore une fois chaudement applaudi.
Pour tenter d’enfin marquer des points contre lui, M. Charest lui a reproché de ne pas être prêt à se battre contre la loi 21 sur la laïcité de l’État québécois en Cour suprême, dossier dans lequel il a promis, pour sa part, qu’il interviendrait. « Cette idée de liberté, est-ce réel ou est-ce un slogan ? » a balancé M. Charest. L’attaque a fait sourciller des observateurs conservateurs sur place, car la quasi-totalité du caucus québécois appuie M. Charest, mais exige que le parti ne s’ingère pas dans cette loi du Québec.
Le meneur attaqué de toutes parts
M. Poilievre arrivait au débat comme bon meneur. Dès la onzième minute, Jean Charest l’a mis sur la défensive, en ressortant la ligne téléphonique de dénonciation des pratiques culturelles barbares promise par les conservateurs en 2015. « Les candidats qui faisaient partie de cette campagne [électorale] et qui ne se sont pas opposés à cette idée devraient en répondre », a lancé M. Charest à M. Poilievre, qui était, sur scène, le seul ayant fait partie du gouvernement de Stephen Harper (Patrick Brown ne s’est pas présenté jeudi soir).
Leslyn Lewis a sauté dans la mêlée en accusant M. Poilievre de n’avoir appuyé les convois de camionneurs que sur le tard. « Vous n’êtes même pas allé à la manifestation. Vous êtes allé dans votre quartier et vous avez pris une photo avec eux à un arrêt routier », a-t-elle raillé. Ce que M. Poilievre a démenti.
Mme Lewis, qui s’oppose à l’avortement et qui peut compter sur le vote des conservateurs de la frange sociale du parti, a en outre reproché à M. Poilievre d’avoir évité de commenter l’ébauche de décision de la Cour suprême américaine sur l’arrêt Roe v. Wade. « M. Poilievre a fui les médias ces derniers jours parce qu’il ne veut pas déclarer qu’il est pro-vie ou pro-choix », a-t-elle lancé. L’équipe Poilievre a fini par affirmer mardi qu’il ne déposerait ni n’adopterait de projet de loi resserrant le droit à l’avortement.
La frange sociale du parti rassemble des milliers de conservateurs, qui influencent toujours l’issue des courses à la chefferie. M. Charest leur a lui-même tendu la main. « Ils font partie de notre famille et en feront toujours partie », leur a-t-il dit.
Les aspirants chefs croiseront de nouveau le fer à Edmonton, mercredi prochain, puis à Laval le 25 mai. Patrick Brown devrait alors être de la partie, la présence à ces deux débats officiels organisés par le parti étant obligatoire.