Deux retournements inattendus

Chronique de José Fontaine

Le 7 décembre dernier, Philippe Destatte, directeur de l’Institut Destrée, s’exprimait de la manière suivante devant le Parlement wallon : « Les alternatives à l’] identité wallonne sont nombreuses. Si nous ne sommes que Hennuyers, Liégeois, Namurois, etc. nous pouvons nous laisser aller à nos penchants naturels localistes, puiser dans la mythologie (rappelons-nous les quatre fils Aymon !) ou dans l’histoire de nos anciennes nationalités les forces d’un sauve-qui-peut campanisliste, ou fonder sur nos projets de territoire un avenir stand alone, ou encore activer nos solidarités transfrontalières, avec le Hainaut français, avec Bruxelles, avec le Luxembourg, la Lorraine ou quelque länder allemand. Nous pouvons aussi réinvestir notre vieux paletot belge unitaire, en nous pressant d’oublier tout fédéralisme. Belges unitaires nous étions, Belges unitaires nous serions. Monsieur le Bourgmestre de Namur trouvera bien à réaffecter de jolis bâtiments comme celui-ci, qui héberge le Parlement wallon : on a fait à Marche-en-Famenne de beaux hôtels dans de plus laides églises. D’ailleurs, si nous ne lisions plus que Le Soir et ne regardions plus que la RTBF en télévision, je suis sûr que nous accélérerions ce scénario [belgicain. ».

Le discours antiwallon en Belgique francophone
Il est évident que lorsque l’on défend une cause, on n’est pas toujours très content des médias, mais il est tout de même remarquable qu’un homme modéré comme Philippe Destatte s’exprime de la sorte et devant le Parlement wallon qui représente une population qui constitue l’essentiel (de 70 à 80%), des téléspectateurs de la télévision publique « belge ». Et qu’il n’ait pas inclus La Libre Belgique dans son propos, journal pourtant considéré il y a peu de temps encore comme l’un des grands défenseurs de l’unité belge.
En 1998, j’avais pu même écrire tout un numéro de ma revue – quasiment un livre – avec comme titre Le discours antiwallon en Belgique francophone. J’avais repéré des centaines d’occurrence dans la presse où le mot « wallon » était par exemple systématiquement associé à « repli » (et même toutes les sortes d’autonomies, celles de l’Ecosse par exemple).
L’échevin de Bruxelles-Ville, Philippe Close, est interrogé dans Le Soir du 12 décembre sur la succession à la présidence des socialistes bruxellois. En raison du système des partis en Wallonie et à Bruxelles, ce poste est considéré comme essentiel et n’est pas détenu normalement par quelqu’un qui fait partie d’un gouvernement. Mais dans le cas de Bruxelles, la Présidence de la Région est moins asservie à la Présidence du parti qu'en Wallonie (où c'est le Président du Parti dominant le gouvernement qui en somme le dirige - il en nomme le chef - sans en faire nécessairement partie, ce qui est d'autant plus fâcheux qu'il a le pouvoir - scrutin de liste - de désigner les «bonnes personnes» à élire). Bref, à un moment, Philippe Close a dit : « On a une économie qui ne va pas si mal ; le problème c’est qu’elle ne retombe pas sur ses habitants. On n’est pas le Hainaut ! Ayons de l’ambition ! » Le Hainaut est ce que nous appelons en Wallonie une « province », c’est-à-dire ce qui peut se comparer à un département français. La Wallonie compte cinq provinces : le Hainaut ((1, 3 million d’habitants), la Province de Liège (1,06 million), la Province de Namur, 0,48), le Brabant wallon (0,38) et le Luxembourg (0,27).

L’incident
Le journal avait été à peine distribué dans le pays wallon que les réactions fusaient de tous les bancs politiques wallons et notamment de la part du Président du PS (faisant fonction), le Liégeois Thierry Giet dont il me semble avoir entendu dire (erronément) sur les ondes qu’il était du Hainaut. Le Hainaut est la plus importante province wallonne et aussi la plus frappée par le déclin wallon après en avoir été sans doute la plus riche, avec ses trois grands bassins charbonniers du Borinage (où je suis né), du Centre et de Charleroi (également centre sidérurgique).
Mais, peu importe, ce qui étonne, c’est cette réaction, y compris de la part de Bruxellois d’ailleurs. Lorsque j’avais écrit mon numéro/livre, ce genre d’assertions n’auraient pas fait réagir puisque des propos bien plus insultants passaient la rampe. On dirait que maintenant, si. Le Soir publiait même le lendemain une infographie comparant le Hainaut et Bruxelles (population, chômage, revenus par habitant etc.). Un des éditorialistes du journal écrivant même une Lettre ouverte d’un Hennuyer à un Bruxellois. Eric Deffet y rappelait : « Les hasards de la vie m’ont conduit jusqu’à cette terre de sueur et de sang, mais aussi de beauté et d’intelligence. » Loin de penser que ceci ne serait que secondaire ou de me satisfaire que le fait d’attaquer les Wallons devienne politiquement incorrect (est-ce tout à fait un avantage ?), je vois dans la chose un événement important.
Bien des projets wallons ont été combattus – efficacement – en les ramenant à des entreprises patoisantes (le wallon est une des langues régionales de la Wallonie, mais la Wallonie ne tient pas son nom de cela), le caractère méprisable du pays étant exprimé souvent en termes d’évidence. Le sommet de la chose étant apparu en pleine clarté lors de la présentation à la presse le 15 septembre 1983 du Manifeste pour la culture wallonne, d’innombrables plumes se contentant de souligner que « culture » et « Wallonie » étaient antithétiques (la Flandre accueillant au contraire les choses favorablement). Il est au fond important pour un peuple dans l’obligation de redresser son économie malmenée, qu’il n’aille pas de soi qu’on le traite avec mépris.

Je l’avoue, je n’avais jamais vu cela : deux pages dans un journal bruxellois comme Le Soir utilisées pour défendre l’honneur de la Wallonie... On a même vu le lendemain, la RTBF donner la parole au directeur de l’aéroport de Charleroi pour lui permettre de répondre à d’autres attaques venant elles surtout de Flandre où les succès de cette infrastructure qu’a permis l’autonomie wallonne, rendent jaloux certains responsables de l’aéroport « national » situé non loin de Bruxelles mais en Flandre. Il ne serait pas impossible que Charleroi devienne un jour sinon le premier aéroport du pays du moins le plus fréquenté (la plupart des vols sont à destination de l’Europe ou de sa périphérie).
Mépriser ce débat ?
Je n’ai pas été trop surpris qu’une émission radiophonique quotidienne qui, depuis quasiment deux décennies, crache sur la Wallonie (grâce aux impôts des auditeurs wallons mais sans l’humour qu’elle s’attribue à tort), ait considéré ce débat avec mépris.
Par contre, je l’ai été de voir que la RTBF ait organisé hier soir un vaste débat sur l’Europe où la parole a été donnée à des opposants à l’Europe, des opposants venant du monde universitaire, le monde politique belge s’en tenant pour l’instant au dogme de l’Europe, dogmes anti-nations (ce qui est peut-être typiquement belge), mais aussi dogmes néolibéraux et, mine de rien, derrière les sourires hypocrites, dogmes antidémocratiques.
L’une des invitées au débat Susan George a impressionné ses interlocuteurs comme également Corine Gobin, les défenseurs de l’Europe m’apparaissant mal à l’aise, voire très mal à l’aise, l’un d’eux n’excluant pas une insurrection en Espagne qui serait selon lui catastrophique.
Soit, mais à qui la faute ? On aurait d’ailleurs pu inviter à ce débat Bernard Wesphael, quasi le seul parlementaire démocrate à s’opposer aux traités liberticides que l’Europe se prépare à nous imposer comme le fait d’enlever aux parlements nationaux (ou régionaux tel celui de la Wallonie) leur raison d’être qui est de contrôler les budgets. Je suppose que vu du Québec tout cela ne peut apparaître qu’insensé.
Bernard Wesphael siège depuis longtemps au Parlement wallon et il s’était déjà opposé au Traité constitutionnel européen en 2005. Dans l’Europe qui sombre dans une sorte de folie, voilà un rare sage que tout le monde prend pour un fou. Il a d'ailleurs quitté son parti.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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