Enbridge se tourne vers le gaz pour mieux fuir la controverse

L’achat de l’américain Spectra confirme la volonté de diversification du géant albertain, selon des experts

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Un virage qui pourrait se révéler déterminant

Pour mieux comprendre l’achat proposé de Spectra, un spécialiste américain du gazoduc dont le réseau porte sur 140 000 kilomètres aux États-Unis, il faut parcourir la politique climatique d’Enbridge, publiée il y a six mois. Si le mot « pétrole » apparaît à peine deux fois, le terme« gaz naturel »survient à 14 reprises, l’entreprise de Calgary, champion nord-américain du transport pétrolier, le présentant comme une priorité et un remplaçant crédible au charbon et au mazout de chauffage.

Au prix de 37 milliards, la transaction annoncée mardi dépasse toutes les autres que le secteur a vues au cours des dernières années. Même l’achat de Pétro-Canada par Suncor pour la somme d’une vingtaine de milliards en 2009. Selon des experts, elle révélerait aussi ceci : l’avenir n’est peut-être plus dans les sables bitumineux, entre autres à cause de leur réputation, des obstacles réglementaires et des inquiétudes très médiatisées des groupes communautaires et environnementaux.

« Enbridge et son principal concurrent, TransCanada, misaient sur ce qui se passe ici », dit Harrie Vredenburg, professeur et directeur universitaire du programme Global Energy Executive MBA à l’Université de Calgary, en faisant référence aux sables bitumineux et au cours élevé du pétrole à une certaine époque. Or les enjeux climatiques, le développement des techniques de fracturation dans l’est des États-Unis et la Conférence de Paris ont successivement bouleversé l’ordre des choses. Sans parler du fait que les gros projets d’oléoducs attirent beaucoup d’attention alors que les gazoducs n’attirent pas les projecteurs de la même façon.

« Les gazoducs qui amènent le gaz de schiste de l’Est américain vers les marchés locaux n’ont pas la même envergure qu’un Keystone XL [de TransCanada] ou un Northern Gateway [d’Enbridge], dit M. Vredenburg. Ce que je vois, c’est que les deux sociétés ne saisissent plus la pertinence de continuer dans des projets très médiatisés, qui prennent des années de réglementation et qui se terminent par un refus, et misent plutôt sur les gisements de gaz de schiste. Aux États-Unis, même si Obama a refusé Keystone XL, de petits pipelines ont été autorisés. Ça attire moins l’attention, et le gaz naturel est demandé. »

Déjà énorme


Méconnue au Québec, à l’exception de l’énorme fuite dans la rivière Kalamazoo en 2010 et son projet d’inversion l’oléoduc 9B entre Montréal et Sarnia, Enbridge est pourtant immense. L’entreprise fondée en 1949 compte 11 000 employés des deux côtés de la frontière, recèle une valeur boursière de plus 50 milliards, s’étend sur 24 800 kilomètres de gazoducs et 27 600 kilomètres d’oléoducs. Elle a également des investissements dans une douzaine de parcs éoliens, dont au Québec, et quatre parcs solaires. En 2015, ses revenus se sont chiffrés à 33,8 milliards et ses profits nets, à 251 millions.

De son côté, Spectra, basée à Houston, compte 3600 employés au Canada et 2400 aux États-Unis. Elle exploite seulement 2700 kilomètres d’oléoducs mais 34 000 kilomètres de gazoducs, ce qui atteint près de 140 000 kilomètres lorsqu’on inclut le réseau de DCP Midstream, dont elle détient 50 %. Ses revenus en 2015 ont atteint 5,2 milliards $US.

Ensemble, les deux groupes combineront des projets confirmés de 32 milliards et des projets potentiels de 31 milliards.

Le rôle du gaz


Aux États-Unis, le rôle joué par le gaz naturel « est majeur », dit Normand Mousseau, professeur de physique à l’Université de Montréal. Avec Roger Lanoue, il a coprésidé la Commission des enjeux énergétiques du Québec, qui a publié un rapport de 310 pages en 2014. Le gaz naturel émet environ les deux tiers des émissions de GES comparativement à d’autres sources d’énergie. « Essentiellement, c’est le passage du charbon au gaz naturel, dans la production d’électricité, qui a permis la réduction qu’on a vue. C’est très important, en partie parce qu’on ne compte pas toutes les émanations. Il y a beaucoup de débats pour savoir si c’est une vraie diminution, mais sur papier, c’est certainement une diminution importante. »

Les États-Unis sont au deuxième rang des émetteurs de GES, derrière la Chine. Ils comptent pour 15 % des émissions mondiales. En 2015, cependant, les émissions de carbone liées à la production d’électricité étaient à leur plus bas depuis 1994. Cette même année, le gaz naturel a dépassé le charbon comme première source d’énergie pour la production d’électricité, selon les données de l’Agence américaine d’information sur l’énergie. Sa part de marché est d’environ 34 %, contre 30 % pour le charbon, 19 % pour le nucléaire et 15 % d’énergie renouvelable.

D’ailleurs, le chef de la direction de Shell, Ben Van Beurden, a récemment affirmé que la demande pour le gaz naturel, du moins sous forme liquéfiée, sera deux fois plus forte que celle pour les produits du pétrole.
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