Et après le gaz de schiste?

Gaz de schiste




Photo: François Roy, La Presse

L'impasse énergétique dans laquelle nous sommes engagés est la conséquence d'un certain mode de vie, produit d'un modèle de société fondé sur la recherche d'une croissance économique continue. Ci-dessus, une plateforme à Saint-Barnabé destinée au forage d'exploration du gaz de schiste.

Yves-Marie Abraham, collaboration spéciale HEC (Montréal) De l'explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon, il y a bientôt un an, au récent accident nucléaire de Fukushima Daiichi, la question énergétique n'a guère quitté la une des journaux. Cette question peut être formulée ainsi: comment allons-nous satisfaire la demande croissante d'énergie dans le monde, alors même que les limites de notre capacité à produire cette énergie deviennent chaque jour plus évidentes?
L'impasse énergétique
Rappelons-le, environ 80% de la production énergétique mondiale repose sur l'exploitation de combustibles fossiles, qui présentent au moins deux inconvénients majeurs: 1) ils sont en voie d'épuisement, en tout cas sous leur forme dite «conventionnelle»; 2) leur consommation massive émet des gaz à effet de serre responsables d'un dérèglement climatique potentiellement catastrophique pour l'humanité.
Quelles sont les solutions de remplacement? L'accident de Fukushima nous rappelle que nous ne maîtrisons pas vraiment l'énergie nucléaire et ses risques dévastateurs. En outre, cette source d'énergie à base d'uranium n'est pas davantage renouvelable que les précédentes et produit des déchets radioactifs qui resteront dangereux pendant des millénaires.
Le salut ne viendra pas des agrocarburants, dont la production contribue elle aussi à la dégradation de l'environnement (déforestation, usage intensif de pesticides et d'engrais...). Surtout, la surface cultivable de la Terre ne suffirait pas à seulement produire l'équivalent du pétrole consommé à l'heure actuelle dans les transports à l'échelle planétaire. Et comment défendre l'utilisation massive de terres arables pour continuer à faire rouler nos voitures, alors qu'une grande partie de l'humanité n'a pas de quoi se nourrir convenablement?
L'hydroélectricité est certes une technique très efficace, mais suppose des conditions géographiques trop peu fréquentes sur la planète pour envisager qu'elle puisse compenser le recours aux énergies fossiles. Quant aux autres énergies renouvelables, même combinées, leur potentiel reste limité, notamment à cause d'une disponibilité intermittente (solaire, éolien...) et des difficultés de stockage de l'énergie produite.
La solution: bifurquer
Comment éviter alors de frapper le «mur énergétique» qui se dresse devant nous? On peut se rabattre sur les ressources fossiles non conventionnelles, telles que les sables bitumineux ou le gaz de schiste. Mais, cela ne fera que retarder l'échéance de quelques décennies, et au prix de nouvelles dégradations de la biosphère. On peut aussi espérer la découverte d'une «technologie de rupture», qui permette de produire une énergie propre, renouvelable et en quantité suffisante pour soutenir la demande mondiale... Toutefois, entretenir un tel espoir relève actuellement de l'acte de foi pur, tant manquent les signes annonciateurs d'un tel miracle technologique.
Reste une autre option, radicalement différente: réduire, collectivement, nos besoins énergétiques. Pour ce faire, pas question cependant d'imposer un quelconque contrôle démographique. Outre son caractère humainement inacceptable, cette solution manque l'essentiel. L'impasse énergétique dans laquelle nous sommes engagés est la conséquence d'un certain mode de vie, produit d'un modèle de société fondé sur la recherche d'une croissance économique continue. Pour sortir de cette impasse, il faut donc remettre en question notre «croissancisme» et s'engager sur la voie d'une «décroissance soutenable».
Une croissance infinie dans un monde fini étant impossible, la décroissance s'imposera de toute façon tôt ou tard. Mieux vaut, par conséquent, la choisir que la subir. Mais interrompre cette course à la croissance doit aussi nous permettre de vivre mieux. Une telle course en effet n'est pas seulement épuisante pour la biosphère. Elle est épuisante également pour nous-mêmes, forcés pour exister de produire sans relâche toujours plus de marchandises désirables. Elle est épuisante pour nos sociétés, dont la cohésion souffre sans cesse davantage de cette guerre économique de tous contre tous que suppose la croissance, et des écarts qui se creusent entre «gagnants» et «perdants».
L'irréalisme de la croissance infinie
L'option de la «décroissance soutenable» est incontestablement radicale. Elle s'attaque en effet à la «racine» du problème auquel nous faisons face. Est-elle irréaliste? L'histoire et l'ethnologie nous enseignent que seul le monde occidental moderne a fait de la poursuite d'une croissance économique continue l'un de ses principes fondateurs. Les graves problèmes que commence à poser la production d'énergie dans nos sociétés montrent assez que c'est cette quête de croissance infinie qui est irréaliste. Les «objecteurs de croissance» se contentent de le rappeler et de soutenir que nous pourrions vivre mieux en optant, collectivement et démocratiquement, pour la sobriété et le partage dans l'utilisation de nos ressources. Quoi de plus sage et de plus raisonnable?
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Yves-Marie Abraham est professeur au service de l'enseignement du management de HEC Montréal. Il publie ces jours-ci un livre collectif intitulé Décroissance versus développement durable. Débats pour la suite du monde (éditions Écosociété). Courriel: yves-marie.abraham@hec.ca


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