Qu'ont en commun la forêt de l'Aigle et la forêt Montmorency, deux exemples de «succès» en aménagement forestier? Chaque jour, un forestier (une forestière dans le cas de la forêt Montmorency) se lève en étant conscient que son emploi et celui de dizaines d'autres personnes dépendent de son bon jugement. Ce sont des personnes qui ont les deux pieds dans la forêt et qui ont à rendre des comptes. C'est ce qu'on appelle de l'imputabilité ou de la responsabilisation.
Ce sont des exemples en forêt publique, mais on pourrait dire la même chose de la grande majorité des propriétés privées, qu'elles soient détenues par un particulier ou par une compagnie. La responsabilisation change notre rapport à la forêt.
Au Québec, les responsables de la forêt, ce sont le Manuel d'aménagement et les Normes d'intervention. Tant que vous les respectez, de même que le rendement soutenu, vous avez la sainte trinité forestière avec vous. Vous pouvez aller en paix. Même si vous faites de bêtises, elles vous seront pardonnées car vous aurez suivi les règles. Le problème, c'est que ça ne favorise ni la réflexion ni l'imagination.
Favoriser l'adaptation
Prenons l'exemple du rendement soutenu. Quelle est son utilité contre un dollar élevé, une hausse du coût du pétrole, une baisse de la demande pour des produits clés et un conflit commercial? Pas grand-chose! C'est un concept utile mais qui a le défaut de mettre nos neurones à zéro en nous donnant une fausse assurance.
Si les aménagistes et les transformateurs avaient été dans une situation où ils auraient constamment dû prévoir et s'adapter, je suis sûr qu'on aurait des modèles d'aménagement et d'inventivité au Québec.
Qu'on y pense un instant: comment être sûr que le produit pour lequel on fait pousser un arbre aujourd'hui existera toujours au moment de sa récolte, dans 70 ou 100 ans? Peut-être que dans 50 ans nous aurons un substitut du papier? Le sujet est tellement complexe qu'il faudrait laisser plus de place à l'imagination et moins à l'ordinateur.
Le plus ironique, c'est qu'on a commandé un rapport pour mettre encore plus d'accent sur le rendement soutenu et qu'il semble être devenu une véritable bible! On a même créé le poste de chef du rendement soutenu! Le développement durable, ce ne signifie tout de même pas la même chose que de produire le même produit dans des quantités analogues pour l'éternité!
Responsabilité retirée
Il y a plus de 30 ans, le gouvernement retirait aux papetières la responsabilité de la récolte et de l'aménagement des forêts publiques (les concessions forestières sont officiellement abolies depuis 1986). Une des principales raisons était alors que le gouvernement considérait que les compagnies ne récoltaient que les deux tiers de la possibilité forestière et qu'elles ne maximisaient donc pas les retombées économiques en région.
Compte tenu de ce qui se passe aujourd'hui, elles avaient peut-être raison en clamant qu'elles étaient au maximum de la possibilité. Les compagnies n'avaient pas les outils d'aujourd'hui et ce n'était peut-être pas le modèle d'aménagement idéal. Toutefois, elles avaient un point en commun avec les forêts dont nous parlions ci-dessus. Se sentant propriétaires, elles se sentaient responsables et voyaient à très long terme.
D'ailleurs, si on comparait l'aménagement des forêts privées des compagnies forestières avec ce qu'elles font en forêt publique, on verrait bien la différence entre être le fait d'responsable et celui de suivre des règles.
Sans structure qui favorise la responsabilisation et la vision intégrée, peut-on vraiment espérer répondre à un défi comme l'aménagement écosystémique (quand on se sera entendu sur la définition)? La photo-interprétation des peuplements forestiers est faite à Québec. Les inventaires sont faits par des consultants. Le calcul de la possibilité forestière est effectué par le chef forestier et les plans d'aménagement par les compagnies. Il y a donc des responsables à chaque étape mais aucun responsable de l'ensemble, et encore moins de responsables «collés» aux forêts aménagées.
Commandes politiques
La responsabilisation manque terriblement dans le modèle d'aménagement d'aujourd'hui. Le système est plus sensible aux commandes politiques qu'aux gens qui aiment et qui vivent de la forêt. Et, comme depuis longtemps, l'aménagement forestier au Québec ressemble à un bateau à voile sans gouvernail (le Parti québécois n'a pas de leçons à donner!): en effet, quand il y a une tempête, il suit le vent.
Ces dernières années, le vent allait dans le sens de laisser toute la place aux gens qui aiment la forêt mais qui n'en vivent pas. Aujourd'hui, il est à aider les travailleurs, les grands oubliés des médias ces dernières années. On peut bien investir un milliard de dollars en argent public dans toutes sortes de formes d'aide, tant que les fondements resteront les mêmes, tant que l'aménagement ne sera pas fait principalement par et pour les gens qui vivent de la forêt et tant qu'il n'y aura pas plus de forestiers qui auront la responsabilité d'un territoire, on fera mieux de garder de l'argent en réserve en vue de la prochaine crise.
Eric Alvarez : Doctorant à la faculté de foresterie et géomatique de l'Université Laval
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Eric Alvarez2 articles
Doctorant Centre d'étude de la forêt Faculté de foresterie et géomatique Université Laval
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