Harper a planté Duceppe... Ce sont les mots d'un fin chroniqueur montréalais, qui résument bien le flot de commentaires médiatiques suscités par la motion conservatrice sur la nation québécoise. Je vous parie que déjà, et encore plus à moyen terme, de nombreux canadiens ne voient et ne verront pas du tout les choses de cet oeil. C'est qu'ils ne lisent pas la situation à travers le prisme du complexe de colonisé qui afflige encore bon nombre de commentateurs québécois...
Cette vision simplette des choses ( Harper 1, Duceppe 0 ) repose sur une conception dramatiquement tronquée de l'indépendantisme et de ses tenants et aboutissants. Il faut d'abord être convaincu que la démarche du Québec vers son autonomie politique ne peut se nourrir que d'échecs à l'intérieur du cadre canadien. Il faut aussi, pour se conforter dans sa peur de sortir du Canada, penser que les souverainistes n'aiment pas ce pays et qu'ils veulent nous en '' séparer ''. Dès lors, on veut absolument croire que le Bloc, en présentant sa motion sur la nation, ne voulait rien d'autre que faire mal paraître le fédéral, puisque cela serait l'essentiel de la mission des souverainistes à Ottawa. Voyons donc ! Peut-on vraiment penser que personne, au Bloc, n'avait une seule seconde envisagé que les conservateurs, qui ont toujours été beaucoup plus conciliants envers le Québec, et qui ont dramatiquement besoin du vote des Québécois, pourraient saisir la balle au bond et proposer un compromis comme la motion de monsieur Harper ?
Si, au lieu de s'attarder bêtement à de futiles considérations de petit machisme politique -- untel a l'air fou, l'autre fait volte-face, et ainsi de suite -- on regardait intelligemment le fond des choses, la réflexion sur cette motion serait beaucoup plus constructive et intéressante. Par la bande, on verrait aussi que le Bloc ne s'est pas si mal comporté, bien au contraire. Remarquons d'abord un léger détail : La nation québécoise sera désormais solennellement reconnue par le parlement canadien. Rien que ça. Ah mais on s'en fout, Duceppe s'est fait avoir. Au lendemain d'un oui référendaire, quel est l'impact de cette motion ? Bof, peu importe, Duceppe s'est fait avoir.
Et si les Bloquistes avaient immédiatement appuyé la motion Harper sans en dénoncer vivement le passage sur le '' Canada Uni '', les Dion, Rae, et l'ensemble des partis fédéraux se seraient-ils prononcés en faveur sans rechigner ? C'est loin d'être sûr. Mais peu importe, Duceppe s'est fait avoir.
Michael Ignatieff a initié l'épisode actuel parcequ'il a pensé qu'une reconnaissance de la nation québécoise était la meilleure réponse canadienne à donner à ce qu'exprime le très fort appui des électeurs québécois au Bloc, et qu'une possible réhabilitation libérale au Québec passait par là. Le Bloc en a profité pour forcer un vote sur la question, et Stephen Harper s'est empressé de proposer un léger compromis qui ne gomme pas l'essentiel. Un beau but vient d'être compté, et nos savants analystes applaudissent la rondelle !
Mais où est donc ce génie stratégique au sujet duquel on s'émeut tant actuellement ? Dans le geste de Harper ? Non. Ce qui est génial, c'est le vote constant des Québécois pour un parti qui exprime quotidiennement leur existence nationale à Ottawa, à tel point que les fédéralistes ont finalement accepté de ne plus refuser de voir l'éléphant dans le salon de la fédération canadienne.
Le but ultime des indépendantistes Québécois n'est pas de bien paraître dans les petites analyses sensationnalistes du moment. C'est de voir la nation québécoise progresser et obtenir son autonomie politique. À cet égard, être reconnu comme nation par le Canada, juridiquement uni jusqu'à nouvel ordre, cela va de soi -- est un progrès considérable, dont on n'a pas fini de mesurer la portée. Désormais, l'aspiration à l'indépendance ne peut plus être dénoncée comme étant une volonté illégitime de casser '' la nation '' canadienne. Les fédéralistes viennent de perdre un de leurs derniers motifs, sinon leur seul argument de taille. Ils en sont réduits à devoir nous expliquer pourquoi une nation comme la nôtre devrait se passer d'un état qu'elle contrôle totalement, pourquoi elle devrait s'abstenir de s'exprimer sur la scène internationale sur des sujets qui lui tiennent à coeur, et ainsi de suite. Finis les faux-fuyants, fini le déni.
N. Payne
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