<i>La Presse</i> joue à l’autruche avec la langue

Mais si M. Pratte avait choisi la période la plus récente, et plus représentative de ce qui ce passe en ce moment, soit de 2001 à 2006, il aurait fait un tout autre constat

Le français — la dynamique du déclin


Depuis plusieurs années, les éditorialistes de La Presse n’ont de cesse de dénigrer sans ménagement toute personne qui veut alerter l’opinion publique sur la situation du français. [Dimanche dernier, André Pratte s’en est pris à Luc Plamondon->19683], simplement parce qu’il a émis l’opinion que l'avenir de la langue française est menacé, et particulièrement à Montréal. En taxant ce constat d’«étonnant» et de «caricatural», M. Pratte a présenté des chiffres soigneusement sélectionnés pour donner un portrait d’un optimisme débridé. Cet optimisme nous paraît tout aussi « caricatural » que sa critique de l’usage d’anglicismes dans certaines oeuvres triées parmi les centaines de chansons que Luc Plamondon a écrites pendant quatre décennies et pour lesquelles l’Assemblée nationale l’a honoré.
Il n’est pas anodin que M. Pratte ait sélectionné une période bien spécifique dans la grande région métropolitaine (RMR) de Montréal. Il a ciblé la période de 1991 à 2006, indiquant une baisse de 2 % de la proportion de francophones de langue maternelle (68 % à 66 %) et une baisse de 1 % de la proportion d’anglophones (14 % à 13 %). D’une part, il faut noter qu’en termes démographiques un faible pourcentage peut refléter un changement important. Ainsi, 2 % de la population de la RMR de Montréal équivaut à plus de 71,000 individus, soit plus de 50 % de la RMR de Trois-Rivières. D’autre part, M. Pratte omet de mentionner que les chiffres qu’il cite indiquent que le français décline deux fois plus que l’anglais.
Mais si M. Pratte avait choisi la période la plus récente, et plus représentative de ce qui ce passe en ce moment, soit de 2001 à 2006, il aurait fait un tout autre constat. Il en serait de même s’il avait choisi l’indicateur de la langue d’usage au foyer – qui reflète aussi davantage l’état actuel de la situation – plutôt que la langue maternelle. Ainsi, de 2001 à 2006 dans la RMR Montréal, l'anglais passe de 17,3 à 17,4 % et le français, de 70,9 à 69,1 %. Sur l'île de Montréal, l'anglais passe de 24,9 à 25,2 % et le français de 56,4 à 54,2 %, soit 7.6 points de pourcentage de moins qu’en 1986 (61,8 %).
On remarque également qu’en 2006, la proportion d’anglophones de langue maternelle (13%) dans la RMR de Montréal double pratiquement avec l’apport des transferts vers l’anglais comme langue d’usage (25,2%), alors que le français en bénéficie faiblement (66% à 69,1%).
Le plus étonnant c’est qu’il y a à peine une année, dans la foulée du scandale des études cachées par l’Office québécois de la langue française, M. Pratte faisait un constat tout à fait similaire à celui de M. Plamondon : « Même si l’école francise les enfants, l’intégration linguistique de ces communautés sera plus difficile à mesure que les francophones de souche sont moins nombreux. Le gouvernement du Québec doit suivre la situation de près et ne pas lésiner sur les moyens pour faciliter l’intégration en français des immigrants. »
Mais ce que M. Pratte n’a surtout pas dit, c’est qu’en 2006, la proportion de citoyens de langue maternelle française est tombée en dessous des 80 % dans l’ensemble du Québec et sous le seuil de 50 % sur l’île de Montréal. Les études prévisionnelles indiquent une tendance lourde vers le déclin de la proportion de francophones de la population à Montréal et dans l’ensemble du Québec. Et la solution n’est pas si compliquée. Elle constitue la normalité des modes d’aménagement linguistique à travers le monde. Comme le conclut Marc Termote, l’auteur de la fameuse étude prévisionnelle cachée par l’OQLF : c’est la Loi du sol, qui consiste à avoir une langue dans les services publics, une langue officielle qui rassemble tous les citoyens, qu’ils soient unilingues ou multilingues.
À tout le moins depuis l’établissement de la Loi 101, le journal La Presse a adopté une politique éditoriale visant à étouffer le débat en laissant croire que tout va bien au Québec et que tout effort pour renforcer la Charte de la langue française relève de l'intolérance. Certains veulent éviter à tout prix de soulever le couvercle de la « marmite linguistique ». Cette attitude constitue un recul en soi. Les Québécois se voient ainsi privés d'une information vitale sur l'avenir du français. Cela a créé une fausse impression de sécurité qui a légitimé le bilinguisme institutionnel qui s'est répandu dans les services publics et sur le marché du travail. Le bilinguisme institutionnel entraîne invariablement l'assimilation des langues minoritaires. À l’extérieur du Québec, il n'a pas empêché l'assimilation massive des francophones, qui s’est même accélérée. Dans ce contexte, nous considérons qu’il est irresponsable de la part de la direction de La Presse de jouer ainsi à l’autruche avec l’avenir du français au Québec.
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Mario Beaulieu, président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
Luc Thériault, président du Mouvement Montréal français



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