Jeunesse fédéraliste?

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La jeunesse est fédéraliste parce qu'elle est notamment issue de l'immigration

« Les jeunes tournent le dos à la souveraineté » titrait aujourd’hui La Pressepour présenter les conclusions d’un sondage Ipsos réalisé pour le compte du journal. Rappelons-en brièvement les chiffres : 19 pour cent des 18-35 seraient indépendantistes, contre 70 pour cent des fédéralistes. Cette jeunesse n’est pas pour autant canadienne, car deux tiers des jeunes francophones se considèrent comme Québécois avant tout.


L’interprétation du sondeur Sébastien Dallaire et du politologue Éric Montigny est simple, mais vraie : cette génération n’a pas connu les grands événements constitutionnels de la fin du XXe siècle. Avoir grandi avec les discours de René Lévesque et de Pierre Bourgault sur fond de musique de Gilles Vigneault et de Félix Leclerc construit assurément la conscience politique d’avoir été socialisé dans un Québec dirigé depuis 15 ans par les libéraux.


Cette explication ne saurait cependant suffire.


La vraie cause, c’est la mondialisation


L’autre grande cause, c’est la mondialisation. Si on se fie aux données de l’enquête, seulement 8 pour cent des jeunes Québécois se disent principalement « citoyens du monde », donc sans attache nationale. La faiblesse du chiffre n’infirme cependant pas la thèse d’une jeunesse façonnée jusqu’à la racine par la mondialisation.


La mondialisation, contrairement à ce qu’on a pu croire à la naissance du phénomène, n’a pas abouti sur la disparition des nations, ce qui n’était pas non plus son but. La mondialisation vide plutôt les nations de leur substance et de leur sens.


Il existe aujourd’hui un important arsenal d’indicateurs de compétitivité, d’attraction des investissements, d’ouverture aux capitaux, etc. Les nations sont, comme les entreprises, évaluées en fonction de leur capacité à être en concurrence les unes avec les autres. La mondialisation n’élimine pas l’idée de la nation, elle la contraint cependant à une seule fonction : être performante dans la grande lutte économique mondiale. On a souvent entendu des politiciens – à l’instar de François Legault – nous dire que le vrai nationalisme revient à être plus économiquement attrayant.


Par conséquent, il n’est pas particulièrement étonnant que cette jeunesse, parce qu’elle au cœur de la concurrence mondialisée, ait besoin de son branding québécois, de son identité d’attache. C’est probablement même parce qu’elle est plus mondialisée que jamais qu’elle se dit québécoise.


Les systèmes d’éducation, réforme pédagogique après réforme pédagogique, ne visent par ailleurs plus à transmettre un monde commun et à former de bons citoyens, mais à préparer une main-d’œuvre qualifiée pour le marché du travail, histoire que les entreprises choisissent de s’installer ici plutôt qu’ailleurs.


La culture sans la politique


Se dire clairement et franchement Québécois tout en se désintéressant de l’enjeu politique revient donc à embrasser une définition exclusivement culturelle de la nation. Cela signifie qu’on adhère au groupe « québécois », mais sans estimer que celui-ci doit s’incarner dans un État, dans un pouvoir public. Le premier ministre Philippe Couillard a d’ailleurs souvent justifié tant sa position constitutionnelle que son absence de politiques en faveur d’une défense accrue de la langue française en affirmant que la culture québécoise était déjà forte et prospère, et qu’elle n’avait par conséquent pas besoin qu’on modifie le rapport de force politique. Soyons Québécois, disons-nous Québécois, et contentons-nous-en. Il faut par ailleurs se questionner sur ce qu’est une culture quand cette dernière s’exempte du « poids de l’histoire », pour reprendre les termes de l’article de La Presse.


On nous présente souvent la mondialisation comme une occasion pour les cultures de se faire valoir partout sur la planète. Il arrive effectivement que des industries culturelles parviennent à exporter leurs produits, mais toujours à condition qu’ils soient pensés et mis en marché à travers le prisme de la standardisation américaine. Ainsi, l’ambassadeur des traditions gastronomiques mexicaines est Taco Bell. Celui de la culture culinaire thaïlandaise est Thaï Express. Ce sont deux géants de la restauration rapide et de l’alimentation industrielle, des créations typiquement américaines. Nous ne connaissons pas la culture coréenne à travers leur musique traditionnelle, mais par Gangnam Style de Psy, reproduisant des rythmes similaires à tous les hits que nous entendons année après année.


Nationalisme vide, culture floue. Dans ce cas, pourquoi adhérer à un pays, ce qu’est le Canada?


L’appui au Canada


Que le soutien à un Québec demeurant au sein du Canada soit aussi fort auprès de jeunes disant en vaste majorité que leur cœur n’est pas canadien a de quoi surprendre. Il repose ainsi probablement davantage sur une volonté de ne pas toucher à un débat pensé en des termes (la nation) qui n’intéressent pas les jeunes que sur un réel amour du Canada.


Le discours fédéraliste, aujourd’hui, est au diapason d’un tel constat. On n’entend plus les partisans du régime d’Ottawa nous en vanter les mérites et tenter de nous vendre une quelconque passion à son endroit, mais plutôt nous dire que la question nationale est tout simplement réglée, qu’il faut passer à autre chose, voire qu’elle n’existe pas.


La question de la définition de soi (sommes-nous Québécois ou Canadiens?) étant grandement réglée chez les jeunes, ceux-ci agissent comme si l’enjeu politique qui s’y rattache (voulons-nous être dans l’État du Québec ou dans l’État canadien?) l’était également.


Il faut aussi dire que le régime canadien semble calqué sur l’idéologie de la mondialisation. Souvenons-nous que sa Constitution érige les droits et libertés de l’individu en absolu contre les interventions politiques, laissant aux juges le pouvoir de renverser certaines lois adoptées dans les parlements. Encadrer fortement (certains diraient cadenasser...) le pouvoir politique pour l’empêcher d’établir certains devoirs pour ses citoyens s’inscrit totalement dans la mondialisation, promouvant le modèle de l’individu sans frontières, aux horizons sans limites.


***


Voilà donc quelques réflexions à chaud au sujet du sondage révélé ce matin par La Presse, qui aura probablement l’effet d’un électrochoc chez les souverainistes. Il devrait cependant nous faire réfléchir plus largement sur les effets de la mondialisation sur les sociétés, sur leur cohésion et leur vivre-ensemble. Il ne faudrait cependant pas y voir une fatalité : l’histoire n’est pas avare de grands retournements.


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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).