L'«aculture» américaine

IDÉES - la polis



Stephen Harper a beau jeu de traiter de bébés gâtés les vedettes qu'on entend à la télé s'exprimer contre les compressions budgétaires des conservateurs. En politicien machiavélique qu'il est, il alimente une fois de plus les préjugés pour mieux occulter le vrai débat. Il est plutôt facile de démontrer que les vrais pauvres de notre société ne sont pas ces artistes, mais ceux qui vivent aujourd'hui avec deux voitures, un iPod, une piscine et une carte de crédit bien remplie. Voilà où se trouve le coeur du problème.

La pauvreté culturelle
En voyageant un peu, on s'aperçoit vite que le luxe occidental ne fait pas le poids devant la richesse culturelle de bien des nations du Sud qu'on dit continuellement «pauvres». Les statistiques sont là pour le prouver, avec les taux de dépression, de suicide et d'alcoolisme qu'on connaît chez nous. La voracité avec laquelle nous, Québécois et Occidentaux, consommons du matériel va de pair avec notre besoin maladif de pilules créées pour nous redonner le sourire ou pour nous faire bander.
Le combat que mènent les artistes québécois ces jours-ci est nécessaire. Mais ce combat très ciblé contre des compressions très précises dans l'industrie culturelle n'est que la pointe de l'iceberg. L'iceberg, c'est la marchandisation de la vie dans laquelle le Québec s'est jeté tête baissée depuis les années 90. Fait cocasse: c'est également à cette époque qu'un ancien conservateur, Lucien Bouchard, a commencé à s'intéresser au combat national et à en être le porte-étendard. Un lucide, paraît-il.
La culture contre l'industrie culturelle
Pendant la Révolution tranquille, les luttes qu'ont menées les baby-boomers ont été essentielles à notre devenir collectif. Les oeuvres d'art créées pendant cette période nous ont permis, à moi et à ceux de ma génération, de comprendre cette époque de contre-culture inédite. Quand je regarde des films comme Les Ordres de Brault ou Le Confort et l'Indifférence d'Arcand, je comprends que le souffle qui animait le Québec à cette époque s'inscrivait dans un courant plus large, où l'on remettait en question beaucoup plus que la langue des dirigeants au pouvoir. Le féminisme, la place de l'humain dans les structures politiques, les rapports Nord-Sud, l'exploitation des ressources, bref le capitalisme libéral était porté sur la place publique et remis en question.
Depuis cette époque marquante, on a réussi à recréer notre petite Amérique au Québec: avec nos industries culturelles et notre star-système. Ce faisant, on a mis la culture dans une boîte. [...]
La mort des cultures
Aujourd'hui, partout dans le monde, les cultures se meurent. Le libéralisme économique est basé sur une logique comptable où la subjectivité culturelle représente un frein à l'efficacité des échanges commerciaux. Mais ce système défendu par les néo-conservateurs comme Harper, Berlusconi et Sarkozy utilise le divertissement médiatique comme première arme de conditionnement vers une culture uniforme, matérialiste et individualiste. En ce sens, ce que Star Académie et nos industries culturelles diffusent massivement au Québec est la culture américaine en version fleurdelisée. Un produit vide de toute substance, comme un fard esthétique à la loi du marché.
En évacuant toute autre revendication sociale du combat pour l'indépendance, la langue française est devenue une terrible illusion de protection pour une culture qui mange américain, qui s'habille américain, qui écoute américain. Un hamburger est-il meilleur pour la santé quand il est produit en français? [...]
Conventionnel contre marginal
Bien sûr, tout n'est pas complètement noir ou blanc. Récemment, le 22 février 2007, j'assistais à l'Institut du nouveau monde à une conférence intitulée Culture: le Québec, cancre ou premier de classe?, où l'on parlait de l'effervescence des manifestations artistiques à Montréal. Avec raison, on y décrivait la multitude d'initiatives et d'expérimentations artistiques dans toutes sortes de lieux non conventionnels, tout en soulignant néanmoins que les lieux traditionnels de diffusion artistique -- qui monopolisent les maigres ressources -- perdent, eux, l'intérêt du public.
Ce fossé entre le «mainstream» et l'«underground» rappelle un autre événement récent: il y a quelque temps, Le Devoir rapportait que Line Beauchamp, alors ministre de la Culture, avait donné 10 350 $ à une firme de communication pour pondre un discours de quatre pages sur la culture... Ouf! Je connais des dizaines d'artistes crevant de faim qui auraient volontiers réalisé quatre ou cinq courts métrages pour ce même montant.
Cet exemple illustre bien le fait que beaucoup d'artistes ne se sentent pas concernés par les compressions des conservateurs, pour la simple raison qu'ils n'ont jamais reçu d'aide financière auparavant. Quand on sait que seulement 10 à 20 % des demandes de subvention des artistes sont retenues par les institutions culturelles, on comprend que notre société n'aide pas vraiment les créateurs. Le problème est donc beaucoup plus profond que les seules compressions récentes des conservateurs.
Disparition de la culture
Les compressions dans le secteur culturel sont l'aboutissement naturel d'un système déconnecté de sa propre réalité qui ne carbure qu'à l'offre et à la demande. C'est donc moins l'industrie culturelle qui se meurt que la culture elle-même.
Il faut absolument dénoncer ce courant de la droite radicale, mais il faut que ceux qui dénoncent ces compressions commencent à prendre part aux luttes que les autres secteurs de la société mènent contre la disparition de la culture en général. Car il est stérile de se satisfaire d'un star-système subventionné tout en laissant les politiciens vendre au privé le reste de l'État.
Dans un tel contexte sociologique d'uniformité culturelle, ce sont tous les Monsanto, les Barrick Gold, les Wal-Mart et les Quebecor qui tuent les cultures spécifiques en imposant des besoins vides de sens. La sauvegarde de notre culture passe par la dénonciation d'une alimentation chimique qui ne nourrit pas, d'une production artistique qui reproduit des modèles exclusivement divertissants, d'un système de santé publique asservi à l'industrie pharmaceutique et d'une éducation axée sur la performance économique.
En marge du train sans chauffeur de l'Occident, une nouvelle qualité de vie se construit aujourd'hui dans une multitude d'initiatives citoyennes autogérées. L'heure est à la décroissance, au ralentissement de nos rythmes de production et de consommation. Cette nouvelle culture post-empire américain est partout et de plus en plus forte. Mais elle ne sera pas télédiffusée.
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Olivier D. Asselin, Réalisateur et membre du CrapN' (Coalition pour la réappropriation de l'art avec un petit «a» par N'importe qui avec un grand «N»)

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