L’affaire PKP ou la petite histoire d’un grand échec démocratique

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Pauvre démocratie ! Il n'y a pas qu'ici qu'elle soit mal en point

« Onde de choc » à La Presse et « coup de tonnerre » au Devoir, l’adhésion de Pierre Karl Péladeau au Parti québécois était pourtant écrite dans l’histoire dès la naissance du PQ. René Lévesque, défait dans Laurier en 1970, refuse alors la chronique que lui offre Le Devoir, pour aller au Journal de Montréal où il va « consolider », dit-il à Claude Ryan, son « électorat ». Le PQ y gagnera un plus grand public et le Journal de quoi concurrencer La Presse.

Québecor n’est pas alors le géant de l’imprimerie qu’il sera un temps aux États-Unis, ni le conquérant, avec PKP, d’autres médias en Europe. À l’époque, le PQ n’a pas non plus encore pris le pouvoir ni placé des sympathisants à la Caisse de dépôt. En 1973, Le Devoir offre à Camille Laurin, battu dans Bourget, une chronique, mais en vain. Le PQ lance plutôt Le Jour, un quotidien éphémère, qui fait néanmoins perdre au Devoir le quart de son lectorat.

En 1976, les choses se corsent. Le PQ gagne l’élection et prépare un référendum sur l’avenir du Québec. De nouveau, on assiste à des manoeuvres politico-médiatiques. Paul Desmarais, le propriétaire de La Presse, demande à Claude Ryan de devenir chef du Parti libéral du Québec. Son candidat, dit-il au directeur du Devoir, est Jean Chrétien, mais si Ryan accepte, c’est lui qui aura son appui. Chef du non en 1980, Ryan gagne le référendum, mais Le Devoir survit mal à son départ.

Bientôt, la concentration des médias fait rage. À Ottawa comme à Québec, on s’en inquiète, mais sans rien faire pour préserver la diversité de la presse. La mode est à la « convergence » au nom de la protection de la culture nationale. Quand La Presse avait voulu acheter TVA, Ottawa s’en était tenu à la règle interdisant la propriété mixte. Mais Québecor et la Caisse, pour « garder Vidéotron au Québec », créent un empire qui aujourd’hui, du moindre village jusqu’à l’Assemblée nationale, en impose presque partout.

Dès lors, entre Québecor, ses journaux et son réseau TVA et Gesca, ses journaux et son alliance avec Radio-Canada, une concurrence acharnée va prévaloir ces dernières années, rendue plus vive, sinon débridée, par les chocs économiques et technologiques. Dans cette guerre des tirages et des auditoires, le journalisme d’enquête aura retrouvé la faveur des patrons de presse. Mafia, syndicats et politiciens en tremblent encore. Mais à quel prix ?

Pendant que la presse écrite jouit d’une liberté protégée par la Constitution, la presse électronique, elle, dépend toujours des permis du gouvernement. Quand Québecor s’en est pris aux secrets de Radio-Canada (une institution ayant peu d’amis au Parti conservateur), Stephen Harper ne se portera pas à la défense du diffuseur public. Mais lorsque Québecor a voulu avoir une station de télé à Toronto, le premier ministre lui aura même fourni du personnel !

S’il faut en croire La Presse, c’est à la demande de PKP, alors patron de Québecor, que ses médias ont tiré à boulets rouges sur les gaspillages de fonds publics à Québec. Or, ces révélations auraient cessé, écrit-on, quand PKP et son projet d’amphithéâtre ont obtenu 400 millions du gouvernement libéral. Par contre, dans Le Devoir, un ancien cadre du Journal de Montréal écrit que PKP a sauvé ce tabloïd, alors que la CSN et les journalistes qu’elle défendait risquaient de le mener à la faillite.

D’autres ex-cadres de Québecor parlent d’un régime de terreur, de commandes venues d’en haut. Certains disent n’avoir jamais reçu d’ordre direct du grand patron. Et l’un d’ajouter que PKP n’a pas besoin d’intervenir en personne, tellement ses gens veulent lui plaire, obtenir des promotions ou garder leur emploi. Candidat pour le PQ, Pierre Karl Péladeau est formel : « Vous connaissez la politique chez Québecor : la direction n’intervient pas dans le contenu éditorial. »

Que veut faire PKP? demande Philippe Couillard, le chef libéral. « Est-ce qu’il veut faire de la politique ou des affaires ? » Si tel est le choix qui s’impose aux gens d’affaires, l’on devrait interdire aux propriétaires de La Presse de se mêler du recrutement des chefs politiques ou des campagnes électorales. Et — pourquoi pas ? — refuser les candidatures politiques de médecins intéressés par les profits de leurs cliniques autant sinon plus que par la santé de leurs patients.

Que le grand public ne sache trop quels principes gouvernent le journalisme et la politique, passe encore. Mais que PKP lui-même, ses journalistes, ses détracteurs syndicaux et ses autres adversaires affichent une telle ignorance de la liberté de presse, voilà qui défie l’imagination. Les uns voient dans cette candidature un problème sinon une imposture, d’autres acclament un exemple civique sinon un espoir historique. Mais qui se préoccupe de l’empire qu’il lègue et surtout des entraves qu’il comporte pour l’avenir ?

Depuis quand une entreprise de presse n’a-t-elle pas le droit d’avoir une orientation politique ? Québecor pourrait appuyer l’indépendance du Québec autant que Power Corporation défend la fédération canadienne. Si une entreprise ne s’affiche pas ou ne le fait pas clairement, c’est bien sûr pour ménager ses clients. Mais elle ne perd pas pour autant le droit de prendre parti ouvertement.

De même, pourquoi un patron de presse devrait-il ne pas intervenir dans sa propre « salle de nouvelles » ? Parce que des propriétaires ne sont plus des journalistes ou ne connaissent pas grand-chose à cette profession ? Pourquoi alors faudrait-il laisser des millionnaires incultes nommer des rédacteurs en chef souvent peu capables d’assumer leurs responsabilités professionnelles ? Réponse : faut-il attendre mieux d’une démocratie livrée aux adeptes du mépris des gens et de la vérité?
Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l’Université de Montréal.


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