Des articles et reportages parus récemment dans les médias du Canada anglais attirent notre attention sur l’effet potentiel du vote des électeurs canadiens vivants à l’étranger, lors des prochaines élections fédérales. Le Globe and Mail mentionne les efforts déployés par certains individus pour mobiliser le vote canadien à Hong Kong, où résident 300 000 électeurs potentiels.
Des modifications apportées à la Loi électorale permettent au niveau fédéral aux expatriés canadiens (nés ou naturalisés au Canada) de voter indépendamment de la durée de leur absence du pays et de leur intention ou pas d’y revenir.
Qui peut voter à partir de l’étranger ?
Le statut de citoyen est requis pour voter au Canada. La définition des statuts de citoyen et d’électeur relève du gouvernement canadien en vertu de la Constitution canadienne. La naturalisation est une compétence exclusive du fédéral, selon l’article 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 et de l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, adoptée sans l’accord du Québec.
La citoyenneté canadienne est octroyée à toute personne née au Canada, ou née à l’étranger de parents dont au moins l’un a le statut de citoyen canadien. Elle est aussi acquise par le processus de naturalisation. Les lois électorales provinciales définissent les conditions, autres que la citoyenneté, pour voter au niveau provincial aux élections ou aux référendums.
Jusqu’au mois de décembre 2018, la Loi canadienne stipulait que le droit de vote pour les citoyens résidant à l’étranger se limitait aux « électeurs qui sont absents du Canada depuis moins de cinq années consécutives et qui ont l’intention de revenir résider au Canada ». Le gouvernement Trudeau a amendé la loi pour retirer ces restrictions. Au mois de janvier, la Cour suprême du Canada a validé l’amendement législatif, statuant que les dispositions limitatives étaient inconstitutionnelles. La décision de la Cour n’était pas unanime et ne statuait pas sur le droit de vote au niveau provincial. La Procureure générale du Québec est intervenue en faveur du maintien de la restriction de cinq ans et l’intention de retour au pays.
Le Québec et l’Ontario permettent à des électeurs hors province de voter si leur absence est inférieure à deux ans. Les autres provinces exigent que l’électeur soit domicilié dans la province pour pouvoir voter.
Combien d’électeurs potentiels vivent à l’étranger ?
Le phénomène d’émigration canadienne, et par extension québécoise, est extrêmement difficile à jauger parce que le Canada, contrairement à plusieurs pays, n’exige pas de ses résidents qu’ils avisent l’État de leur départ du pays et de leur destination.
Une étude publiée en 2011 par la Asia Pacific Foundation of Canada sur le nombre de Canadiens résidant à l’étranger estimait qu’il y avait, en 2006, autour de 2,8 millions d’expatriés canadiens dans le monde. Les Canadiens naturalisés représentaient approximativement 42 % de cette population et cette proportion était à la hausse.
Une revue des sources de données et des méthodes disponibles pour mesurer l’émigration canadienne a été publiée en décembre 2018 par Statistique Canada. Elle témoigne des défis posés par le calcul des émigrants canadiens. Quatre différentes méthodes donnaient quatre résultats très différents.
Nous n’avons donc pas de données récentes et précises du nombre potentiel d’électeurs canadiens résidant à l’étranger, mais on peut présumer que le nombre a augmenté sensiblement depuis le décompte de 2006.
Plusieurs expatriés s’inscrivent volontairement auprès de l’ambassade canadienne. Selon le registre d’Affaires mondiales Canada, en septembre 2019, il y avait 230 031 Canadiens – tous âges confondus – vivant à l’étranger.
Une association d’expatriés canadiens évalue le nombre d’expatriés ayant potentiellement le droit de vote entre 1,5 et 1,8 million de personnes.
Selon Élections Canada, lors des élections de 2015, sur les 15 603 électeurs inscrits sur la Liste internationale des électeurs, 11 000 se sont prévalus de leur droit de vote. Il y a actuellement près de 20 000 électeurs inscrits et on considère que ce nombre augmentera cette année avec les nouvelles règles.
Il est encore plus difficile de cerner le nombre d’électeurs québécois résidant à l’étranger. Les données de Retraite Québec nous en donnent un aperçu. En 2017, plus de 47 000 prestataires du RRQ touchaient leur rente à l’extérieur du pays.
Où se trouvent ces électeurs hors pays?
L’étude de la Asia Pacific Foundation a comptabilisé en 2006 plus d’un million de Canadiens aux États-Unis, 300 000 à Hong Kong, 73 000 au Royaume-Uni, autour de 27 000 en Australie et presque 20 000 en Chine.
Il est intéressant de noter que cette même étude a décelé des caractéristiques particulières à certaines de ces destinations. La grande majorité des Canadiens résidant aux États-Unis étaient nés au Canada, tandis que la majorité de ceux de Hong Kong étaient nés à Hong Kong. On peut légitimement se demander si ces expatriés à Hong Kong n’ont pas obtenu la citoyenneté canadienne grâce au programme d’immigrants investisseurs. Le taux de rétention très bas des quelques 4 000 personnes admises annuellement par ce programme est bien connu. D’ailleurs, seul le Québec maintient ce programme douteux.
Les prestataires à l’étranger de Retraite Québec se trouvent essentiellement aux États-Unis (37 %), en France (17 %), en Grèce (10 %), en Italie (9 %) et au Portugal (4 %).
Des personnes inscrites actuellement sur la Liste internationale des électeurs, deux-tiers se trouvent dans cinq pays (États-Unis, 43,08 %; Royaume-Uni, 10,6 %; Australie, 4,38 %; Hong Kong, 4,37 %; Allemagne 4,36 %).
Peuvent-ils avoir une influence sur les élections du 21 octobre ?
Avec si peu d’électeurs à l’étranger se prévalant de leur droit de vote, on peut présumer qu’il s’agira, cette fois-ci comme par le passé, d’un phénomène marginal. Mais n’oublions pas que la tendance est à la hausse, surtout en ce qui concerne les Canadiens naturalisés.
Il faut noter que le vote d’un électeur à l’étranger est inscrit dans la dernière circonscription où il a habité. Sans surprise, la plupart des expatriés étaient domiciliés en Ontario et en Colombie-Britannique. Si, par exemple, le vote hongkongais se concentrait dans une ou deux circonscriptions à Vancouver, serait-il suffisant pour faire la différence entre un gouvernement minoritaire Libéral ou Conservateur?
Ce dossier soulève plusieurs questions pour le Québec. Est-il imaginable que la décision de la Cour suprême sur l’article 3 de la Charte canadienne puisse éventuellement s’appliquer aux scrutins provinciaux?
Serait-il pertinent d’avoir une meilleure idée de l’ampleur et de la nature de la diaspora québécoise? Outre les enjeux électoraux potentiels, une diaspora vibrante avec des liens d’attachement solides peut constituer un grand atout pour l’économie et la réputation d’un pays ou d’une province. Plusieurs pays ont des mécanismes pour faciliter les échanges avec leurs expatriés. Mais, une province n’a pas le pouvoir de mettre en place les outils efficaces pour comptabiliser avec précision ou pour joindre sa diaspora.
Si un des objectifs du système québécois d’immigration est de sélectionner les personnes qui vont rester au Québec et contribuer à son développement, est-il pertinent de maintenir le programme d’immigrant investisseur [P1] avec sa réputation de fraude et de manipulation, de voie express vers la citoyenneté pour les riches, et du taux de rétention le plus bas de toutes les catégories d’immigrants? Là, le gouvernement de la province de Québec peut agir.
[P1]Il faudrait que tu parles plus tôt dans ton texte des immigrants investisseurs. Sans doute au moment où tu parles des 300 000 de Honk Kong.