L’enjeu du référendum de demain sera l’éducation, prédit Jacques Parizeau

Parizeau relance le projet de souveraineté


QUÉBEC – Si les questions économiques ont été au centre des référendums de 1980 et 1995, l’enjeu du prochain que Jacques Parizeau appelle, portera sans doute sur l’éducation et l’urgence d’établir des politiques cohérentes de formation professionnelle où présentement « tous les gouvernements mettent un doigt ». Plus fondamentalement, ajoute-t-il, la médiocrité « de notre système d’enseignement qui s’écrase » est telle que le risque est bien réel « que notre société se casse en deux sur la base de la scolarisation ».
Avec ses 80 ans bien sonnés, Jacques Parizeau demeure toujours un point de mire médiatique incontournable. On l’a encore réalisé cette semaine en voyant toute l’attention que la presse a accordée à la sortie de son livre La souveraineté du Québec hier, aujourd’hui et demain. On le comprend facilement. Alors qu’une épaisse grisaille enrobe les souverainistes depuis plusieurs années, Monsieur, au crépuscule de sa vie, brasse de nouveau la cage pour dire haut et fort qu’il est grand temps « de reprendre la discussion » et de préparer le prochain rendez-vous référendaire.
Jacques Parizeau rejette du revers de la main l’argument voulant que les Québécois soient devenus trop individualistes et cyniques pour remettre l’épaule à la roue souverainiste.
« Ramasser les gens autour d’une cause, ça peut demander beaucoup d’efforts et de temps, c’est vrai mais ça se fait, dit-il. Qui eut crû en 1988, alors qu’on assistait à un éparpillement analogue à celui d’aujourd’hui, qu’on tiendrait un référendum sur la question nationale en 1995 auquel participeraient 94,5 % des Québécois? Et que 61 % des francophones voteraient OUI? C’était inimaginable. Alors je vous dis que j’ai tout connu cela. Je ne dis pas que l’histoire va se répéter mais je sais que c’est possible de rassembler à nouveau les gens. »


La preuve selon lui que la souveraineté n’est pas morte dans le cœur des Québécois est ce sondage mené par le Bloc québécois en mars 2009 et qui est largement cité dans son livre. On y rappelle que 65,4 % des francophones estiment que le Québec a toutes les ressources nécessaires pour devenir un pays souverain et que 61 % disent carrément que la souveraineté est réalisable. À l’opposé, à peine 38 % d’entre eux jugent que le projet se réalisera effectivement.
« Ce sondage a eu un effet de choc sur moi, dit l’ancien premier ministre. Il y a une foule de choses là-dedans. L’indépendance du Québec est-elle réalisable? Il y a une nette majorité favorable, je ne m’attendais pas à un score aussi fort. Deuxièmement, est-ce que c’est souhaitable? À peu près moitié moitié. Est-ce que ça va se faire? Ah ben là, c’est autre chose. On y voit toute l’ambivalence des Québécois de façon évidente », note Parizeau dans un grand éclat de rire.
La nouvelle donne de la mondialisation
Ce constat sur la souveraineté en dormance et aussi la préoccupation de resituer les enjeux en vue d’un nouveau rendez-vous référendaire ont décidé Jacques Parizeau à se mettre à l’écriture pour établir la base d’une nouvelle discussion.
Le risque « que
notre société se casse
en deux sur la base
de la scolarisation
nous guette »,
craint Jacques Parizeau.

« Je suis frappé de voir à quel point les circonstances ont beaucoup changé depuis 1995, dit-il. La mondialisation a pris une place formidable. Une foule de décisions qui nous touchent tous les jours sont prises maintenant dans des forums internationaux. Le prix des œufs et du lait n’est plus déterminé à Québec ou à Ottawa, mais à Genève où on établit les tarifs douaniers sur ces produits. »
Les citoyens ont « commencé à comprendre » que d’un point de vue économique, il n’y a pas de pays trop petit pour être prospère et riche et avoir une croissance satisfaisante. « C’est clair comme de l’eau de roche en Europe où de petits pays comme la Slovaquie tirent très bien leur épingle du jeu, dit l’économiste. Si on fait attention à ses entreprises pour qu’elles demeurent concurrentielles, on sera prospère, sinon on s’en va chez le diable. »
Ce n’est donc pas l’économie qui sera l’enjeu du prochain référendum, dit Parizeau. « On a traversé nos peurs en 1995. On a atteint une certaine assurance. L’enjeu tournera plutôt autour de nos valeurs à protéger face à la mondialisation qui, en dépit de ses avantages, présente des dangers très sérieux ». Les citoyens demandent à leur gouvernement de les protéger.
Le vrai défi, estime Jacques Parizeau, c’est de leur faire réaliser quel gouvernement peut le mieux agir dans le sens de leurs valeurs et de leurs intérêts fondamentaux. « On revient à une question de base, à savoir ce qui définit un pays maintenant. Essentiellement, c’est le goût de vivre ensemble par des gens qui ont la même culture, qui partagent la même langue, les mêmes institutions politiques, sociales et éducationnelles. Pour moi, la réponse est limpide : c’est l’État du Québec », dit-il.
La fracture sociale
Jacques Parizeau se fait plus précis sur le prochain « obstacle » qui attend les souverainistes en vue d’un prochain référendum. Nous sommes en face d’une génération dont « un bon groupe » réussit très bien professionnellement « mais à côté de cela, vous avez un système d’enseignement qui s’écrase, une foule de gens qui sont à la limite de l’illettrisme, à peine capables d’écrire, et qui commencent leur vie dans l’échec », déplore-t-il
« C’est ça l’obstacle. Je suis convaincu que ce sera le principal problème de ceux qui vont prendre la direction du mouvement (pour remettre la souveraineté à l’ordre du jour). Ils devront faire des propositions claires pour éviter que notre société se casse en deux sur la base de la scolarisation et de la connaissance professionnelle », s’indigne Jacques Parizeau qui dénonce que des victoires si fondamentales de la Révolution tranquille soient menacées.
« On s’en va vers une société où des gens gagnent extrêmement bien leur vie et ont le sens de la réussite et d’autre part, des taux d’échecs scolaires scandaleux comme je l’avais constaté l’an dernier chez les garçons de la CSDM. »
Jacques Parizeau ne se fait pas trop de soucis sur ceux qui reprendront « le flambeau ». Bien sûr, il reconnaît que les René Lévesque et Lucien Bouchard (et lui-même, aurait-il pu ajouter) ont été de formidables orateurs qui ont enflammé les Québécois, « mais je vois une génération montante bourrée de talents et d’ambitions ».
Lorsqu’on lui demande s’il entretient le rêve d’assister à ce troisième rendez-vous, il répond par la blague. « Je n’ai pas consulté mes rhumatismes, dit-il. Rendu à mon âge, on ne se risque plus à ce genre de commentaires. Ce que je sais, c’est que du moment où on prend la décision d’y aller, il faut quelques années de préparation. »


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