Le président de l’Assemblée nationale, François Paradis, a invité la population à découvrir le nouveau pavillon d’accueil de l’hôtel du Parlement de Québec les 1er et 2 juin. Le pavillon, qui se trouve au sous-sol du Parlement, comprend une salle multifonctionnelle à vocation éducative, une agora pour la tenue de conférences de même que deux nouvelles salles de commission parlementaire. Le tout dans un style ultramoderne avec porte d’entrée sous la rampe qui menait à la porte d’honneur du parlement. Selon le président François Paradis, on aurait réussi à préserver l’intégrité de la façade et à incarner « une union entre la modernité et l’histoire ». Permettez-moi de ne pas être de cet avis.
Bien d’accord pour que les nouvelles salles du sous-sol soient ultramodernes. Mais là où le bât blesse, c’est que, pour faciliter l’entrée des visiteurs, on a défiguré la façade sous la rampe semi-circulaire. On a remplacé les pierres d’époque par une immense vitrine moderne. De plus, on a sacrifié le jardin et la fontaine d’origine où se trouve la statue du Pêcheur à la nigog, un Amérindien, qui, autrefois, était placé « debout sur une petite cascade, prêt à harponner un poisson ». La cascade est remplacée par « un bain de pieds » comme le note l’historien Gaston Deschênes. C’est une des deux sculptures que l’architecte du parlement, Eugène-Étienne Taché, a commandées à Louis-Philippe Hébert. Par ce geste très exceptionnel pour l’époque, il voulait rappeler la contribution des nations amérindiennes à l’identité du Québec en leur réservant une place de choix devant le parlement. Avec la rénovation, difficile de rendre hommage à l’adresse du pêcheur en l’imaginant harponner un poisson dans un minuscule bassin.
Lieu de mémoire
Construit dans les années 1880, le parlement représente un ouvrage remarquable dont l’ornementation avait une visée didactique. Taché l’a conçu comme un lieu de mémoire qui veut faire revivre l’identité du Québec à travers son histoire. C’est pourquoi il a fait graver au-dessus de la porte d’honneur du parlement la phrase « Je me souviens », qui est devenue officiellement la devise du Québec en 1936. Tant dans la dimension symbolique de son ornementation que par le choix des personnages de la vingtaine de statues qui ornent la façade, il veut rappeler à notre mémoire un triple héritage : la fierté des origines françaises du Québec, la lutte pour la conquête de la démocratie, la reconnaissance envers la Grande-Bretagne pour nous avoir accordé la liberté politique et un hommage aux Premières Nations. C’est la représentation de l’histoire du Québec véhiculée par les politiciens et par un courant historiographique dominant dans la deuxième moitié du XIXe et au début du XXe siècle.
La décoration intérieure et extérieure et les évocations reflètent un équilibre entre les symboles français (nombreuses fleurs de lys) et britanniques (couronnes, léopards, lions, roses). Il n’y a pas de symbole religieux dans l’enceinte du parlement jusqu’à ce que le gouvernement Duplessis fasse placer le crucifix au-dessus du trône de l’orateur de la Chambre en 1936. L’architecture du parlement m’apparaît aussi refléter l’équilibre que Taché a voulu représenter entre la symbolique française et britannique. Le style général se réfère aux architectes du Second Empire en s’inspirant du Vieux Louvre pour illustrer les origines françaises du Québec. Mais la haute tour centrale du bâtiment serait plutôt d’inspiration néogothique anglais, à l’image des parlements canadien et britannique. Elle est très bien intégrée à la conception générale française du bâtiment.
On ne saurait en dire autant de l’ajout de l’importante vitrine avec un imposant puits de lumière qui tranche avec la façade du parlement. Comme le signale avec raison un journaliste de Radio-Canada, « la nouvelle entrée arbore un style résolument plus moderne qui tranche nettement avec la partie ancienne de l’édifice » (29 mai). La devanture s’apparente à celle d’un immeuble de bureaux récemment construit ou d’un magasin désireux d’attirer la clientèle ; elle ne préserve pas l’intégrité de la façade du parlement. L’emplacement de la vitrine, sa taille imposante de même que l’inscription « Assemblée nationale » sur une frise au ton brun foncé détonnent dans l’ensemble de la façade composée de pierres de taille grises.
Une erreur
Au premier coup d’oeil, les passants sont d’abord attirés par ces éléments colorés plutôt que par les autres symboles du bâtiment. « L’Assemblée nationale, notre maison citoyenne, a déclaré, François Paradis, a un devoir de mémoire. Elle relie passé et présent et devient le miroir de ce que nous avons été, de ce que nous sommes et de ce que nous deviendrons. » C’est raté : elle entache la symbolique que Taché voulait donner au bâtiment ; elle révèle un objectif purement utilitaire : la priorité accordée à faciliter l’entrée au Parlement quitte à dénaturer sa façade. Est-ce le nouveau miroir qu’on veut donner à l’identité des Québécois et Québécoises ? On aurait pu trouver une entrée plus discrète. « Le droit à l’erreur n’était pas permis sur ce bâtiment historique de 1886 », dit la directrice du projet de rénovation. L’erreur a été commise ; il aurait fallu être beaucoup plus prudent sur un bâtiment aussi central dans l’histoire du Québec.