L'ours, l'aigle et le chameau

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L'Arabie Saoudite prise à son propre jeu


Ce n'est pas une fable de La Fontaine ni un western de Sergio Leone, mais ça y ressemble tant le jeu géopolitique entre les trois grands de l'or noir - Russie, Etats-Unis et Arabie Saoudite - comporte son lot de ruses, de grandes et petites manoeuvres et de coups de théâtre...

Acte I : en septembre 2014, le chameau et l'aigle, sans doute nostalgiques de leur tango afghan, semblent manigancer la chute du prix du baril. Le but : punir l'ours pour son soutien à Bachar (et accessoirement aux rebelles du Donbass). Le chameau ouvre les vannes, quelques petits aiglons poussent à la roue à Wall Street et le pétrole passe en quelques semaines de 110$ à 50$.

L'ours, victime dans le même temps des sanctions occidentales, est un temps en difficulté mais bâille. La baisse du cours de l'or noir est plus que compensée par la baisse du rouble et Moscou engrange des recettes record dans sa monnaie. L'aigle l'a mauvaise et fourbit ses griffes pour un nouveau plan quand...

Acte II : le chameau tourne sa bosse à 180°. Où l'on apprend que Riyad voulait autant sinon plus détruire l'industrie américaine du schiste que s'en prendre à la Russie. Les coûts de production dans le schiste étant bien plus élevés que dans le pétrole conventionnel, la chute des cours met les producteurs US au supplice. L'aigle a beau piailler devant cette traitrise, les faits sont là : les investissements s'écroulent, la production commence à piquer du nez, et le schiste américain est dans une impasse.

Pire ! tout au long du printemps 2015, le chameau se rapproche de l'ours et lui fait des oeillades appuyées : invitation à rejoindre l'OPEP, entente pour fixer le cours de l'or noir... Si Moscou lâche Bachar, les Seoud wahhabites sont prêts à devenir danseuses orientales. De rage, l'aigle en avale ses plumes qu'il n'a déjà plus très nombreuses devant la perspective de la fin du pétrodollar.

Acte III : le chameau est chamélisé. La danse du ventre saoudienne laisse l'ours de marbre, qui envoie ses Sukhois dans le ciel syrien bombarder les terroristes modérés qaédistes et daéchiques, chameaux à plume (ou aigles à bosse) nés de l'étrange union entre Occident et Golfe.

L'automne est le temps des récoltes et les cheikhs grassouillets constatent avec horreur le fruit de leurs semailles. La dégringolade du pétrole rattrape son promoteur qui voit ses recettes fondre comme neige au soleil du désert, au point d'inquiéter sérieusement le FMI ! Riyad est obligé de couper clair dans les dépenses (ce qui tombe mal au moment où les Seoud sont engagés dans les bourbiers yéménite et syrien) et, pour la première fois depuis bien longtemps, pousse l'OPEP à réduire enfin sa production.

Mais il y a plus grave. Extraordinaire manoeuvrier, Poutine est peut-être en train de phagocyter l'OPEP au nez et à la barbe des Saoudiens ! On comprend mieux dans ce cas pourquoi l'ours a écarté d'un revers méprisant de la patte la proposition chamelique... Sans en faire partie, la Russie est peu à peu en train de créer un "bloc russe" au sein de l'OPEP, la divisant de fait en deux !

Des liens anciens et solides unissent Moscou à différents membres de l'organisation - Venezuela, Iran, Equateur, Angola - qui s'opposent à la politique de prix imposée par l'Arabie Saoudite. La guerre en Syrie a permis un spectaculaire rapprochement avec l'Irak, lassé du double jeu américain, et peut-être un "retournement" prochain de Bagdad. Le chameau saoudien risque bientôt d'être isolé dans sa propre oasis et l'ours ne se gêne pas pour appuyer où ça fait mal : des déclarations de plus en plus intentionnelles moquent la "politique suicidaire" de Riyad et de ses alliés (Koweït, Qatar) et soutiennent à mi-voix un front du refus au sein de l'OPEP, véritable "bloc russe" en gestation.



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