Malgré de brillantes exceptions, comme François Legault, on évoque souvent les difficultés qu'éprouvent les gens d'affaires à se plier aux exigences de la politique, mais ils ne sont pas les seuls. Pour les universitaires, l'adaptation n'est pas toujours plus facile.
En préface à l'ouvrage du grand sociologue allemand Max Weber, Le Savant et le Politique, Raymond Aron expliquait le problème de la façon suivante: «La vocation de la science est inconditionnellement la vérité. Le métier de politicien ne tolère pas toujours qu'on la dise.»
Pour certains à l'esprit plus souple, comme Pierre Elliott Trudeau, cela ne posait pas de difficulté. D'autres, comme André Raynaud, pourtant un brillant économiste, ont été incapables de faire la transition.
Le nouveau député péquiste de Rousseau, Nicolas Marceau, a appris dès le jour de son assermentation que la franchise et la politique ne font pas nécessairement bon ménage. Pauline Marois l'a rabroué le plus gentiment possible, mais il n'a pas fini d'entendre le premier ministre Charest le prendre à témoin de la nécessité de réviser à la hausse la tarification des services publics, en particulier les tarifs d'électricité.
Lors d'une interpellation sur les finances publiques à l'Assemblée nationale hier matin, le ministre des Finances, Raymond Bachand, s'est empressé de le féliciter de son franc-parler et de sa bonne foi, lui souhaitant malicieusement de pouvoir conserver sa liberté de parole.
M. Marceau a cependant démontré qu'il pouvait apprendre. Ce qui lui semblait jusqu'à présent une «voie intéressante» pour résoudre l'équation budgétaire est maintenant une autre façon de «piger dans la poche des contribuables».
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Cela dit, l'ancien professeur d'économie à l'UQAM n'est pas le premier universitaire recyclé en politique à devoir vivre avec ses prises de position antérieures. Tout juste avant de se joindre à l'équipe de Jean Charest, en 1998, Benoît Pelletier, qui enseignait à l'Université d'Ottawa, écrivait: «La volonté politique d'aboutir à une quelconque réforme constitutionnelle qui satisferait en partie le Québec semble plus que jamais faire défaut. Et ce, tant au niveau de l'ordre central qu'au niveau des provinces majoritairement anglophones du pays.»
Cela n'a pas empêché M. Pelletier de pondre une politique constitutionnelle qui reposait entièrement sur une éventuelle ouverture du Canada anglais et de la défendre pendant des années en disant que le fruit n'était simplement pas mûr.
M. Marceau peut donc légitimement viser une belle carrière ministérielle.
Raymond Bachand, lui, n'a pas l'excuse de l'inexpérience. Même si, en son for intérieur, le ministre des Finances estime définitivement perdus les milliards que le Québec est en droit de réclamer d'Ottawa, il était choquant de l'entendre qualifier ces demandes de «bouillie pour les chats». M. Pelletier ne se faisait peut-être pas plus d'illusions, mais il avait au moins le mérite d'essayer.
En toute justice, M. Bachand semble prendre au sérieux la compensation que le Québec devrait recevoir pour l'harmonisation de la TVQ avec la TPS fédérale, soit 2,6 milliards, mais la liste des revendications que Monique Jérôme-Forget avait annexée à son dernier discours sur le budget était beaucoup plus longue.
Le ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, Claude Béchard, n'a pas dû apprécier beaucoup les propos de son collègue. Lors de sa prochaine visite à Ottawa, il risque d'être accueilli avec un sourire moqueur: «Allons, cher ami, soyons sérieux. Votre propre ministre des Finances dit que c'est de la bouillie pour les chats.»
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En réalité, s'il y a de la bouillie quelque part, ce n'est pas là où la voit M. Bachand. De plus en plus, la grande consultation sur les finances publiques annoncée pour le début de l'an prochain apparaît comme une simple opération de relations publiques qui viendra confirmer une décision déjà prise.
Il est vrai qu'il est plus facile de plumer le contribuable québécois que de forcer la main du gouvernement fédéral et qu'une hausse de la tarification semble être devenue un passage obligé.
Il n'est cependant pas interdit de mâcher de la gomme en marchant. À entendre le premier ministre Charest se féliciter de l'entente fédérale-provinciale sur la santé de 2004 et de la hausse de la péréquation de 2007, en omettant de dire que la formule de calcul a été révisée au détriment du Québec depuis, on a l'impression qu'il considère le problème du déséquilibre comme réglé.
La position de Pauline Marois sur la question des tarifs n'est pas tellement plus convaincante. Soit, il est normal que l'opposition s'oppose, mais l'inversion des rôles au cours de la dernière année a de quoi laisser perplexe.
Quand le rapport Montmarquette a été rendu public, en avril 2008, Mme Marois l'avait fort bien accueilli, alors que Monique Jérôme-Forget, qui l'avait pourtant commandé, ne voulait rien savoir.
Le gouvernement prétend aujourd'hui que la récession a rendu nécessaire une hausse des tarifs, alors que le PQ soutient qu'il faut la reporter précisément en raison de la récession. En réalité, les libéraux ne voulaient pas compromettre leurs chances de remporter les dernières élections, tandis que les péquistes s'emploient à gagner les prochaines.
mdavid@ledevoir.com
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