La carte identitaire du PQ, un frein à l'indépendance

Chronique de Claude Bariteau



La proposition du PQ dévoilée le 19 juin introduit l'idée d'un référendum au moment jugé opportun et met de l'avant un programme de «gouvernance souverainiste» ayant pour cibles la citoyenneté, une charte de la laïcité, le concept de nation et le dossier linguistique. Avant même que les débats s'animent au sein du PQ, cette proposition a déjà suscité des critiques.
Selon divers analystes, les lois d'un gouvernement assujetti à l'ordre constitutionnel canadien seront mises à niveau par le Parlement canadien ou sa Cour suprême, comme le fut la loi 101. Pour d'autres, comme l'indépendance n'est pas l'objectif recherché et que rien n'est prévu pour la réaliser, elle devient un point secondaire, et ce, d'autant que la tenue d'un référendum paraît aléatoire.
Évidemment, on peut voir dans cette proposition un bricolage visant à contenir les divergences au sein de ce parti dans le but de prendre le pouvoir alors que le PLQ pique du nez. À mon avis, il y a beaucoup plus. L'angle politique privilégié renvoie à l'une des deux approches opposées qui, depuis la reddition de Montréal et le traité de Paris (1763), scandent l'histoire du Québec.
La première, d'affirmation, a pour assise la responsabilité des décisions politiques et le rejet de l'autorité britannique puis canadienne. L'autre, de revendications autonomistes, mise constamment sur la préservation de traits socioculturels tels la langue, la religion et le droit civil. Point à retenir: la première a conduit à des alliances avec des opposants aux détenteurs du pouvoir politique, la seconde à des allliances avec les forces associées aux détenteurs de ce pouvoir.
L'approche affirmative
Dès 1763, une alliance entre des ressortissants français et les associés de Pontiac vise à chasser les Britanniques des territoires arrachés à la France. En 1775, plusieurs ressortissants s'allient aux deux régiments de Patriots américains qui font le siège de Québec. S'y opposent des seigneurs, leurs engagés, des commerçants et des membres du clergé qui appuient les détenteurs du pouvoir.
En 1834-1838, le Parti patriote rallie des Canadiens, des Acadiens, des Américains, des Irlandais catholiques, des Écossais presbytériens et quelques loyalistes contre les Bureaucrates soutenus par l'armée britannique, des loyalistes méthodistes et anglicans, des seigneurs, des commerçants et des membres influents de l'Église catholique.
Cette opposition se poursuit lors de la création du Dominion of Canada mais s'atténue jusqu'à sa réactivation dans le cadre de la Révolution tranquille. Le RIN et PQ promeuvent, au début, une alliance analogue à celle du Parti patriote. Elle s'effrite lorsque le PQ déploie la carte identitaire pour négocier une association nouvelle avec le Canada.
En 1995, le PQ redevient indépendantiste et entreprend des démarches pour rallier les autochtones et les dirigeants des communautés culturelles. La reconnaissance des accords d'Oswegatchie (1760 et 1769) par la Cour suprême en 1994 et la froideur des dirigeants des communautés culturelles l'astreignent à un rapprochement avec des groupes socio-économiques et culturels.
L'approche autonomiste
Avec la deuxième approche, des élites locales cherchent à s'allier aux détenteurs du pouvoir. Ce sont toutefois ces derniers qui définissent les contours que prennent ces alliances. L'acte de Québec (1774) en dessine les traits à partir desquels les autres alliances prendront forme. Avec cet acte, il y eut allègement du traité de Paris, parce que Londres cherchait un appui local pour contrer l'assaut des Patriots américains.
Cet acte fut revu en 1791 à la demande de loyalistes émigrant dans les colonies britanniques après la reconnaissance de l'indépendance des États-Unis. L'Acte constitutionnel de 1791 fut revu après l'écrasement du Parti patriote. Des membres de l'élite canadienne-française composèrent avec les vainqueurs d'Odelltown. Ce fut l'Acte d'Union de 1840. Il fut rajusté en 1867 avec la création du Dominion of Canada.
Avec ce Dominion s'installe l'ordre politique canadien. Le Canada, alors une entité coloniale britannique, se mute progressivement en pays. Après la Première Guerre mondiale, son indépendance de la Grande-Bretagne est reconnue par le Statut de Westminster de 1931. En 1982, le gouvernement canadien rapatrie sa constitution, qu'il modifie à la convenance de sa Cour suprême.
Autres points à retenir: 1) ces actes instaurent un ordre politique reconnu par des élites locales bien qu'il contraigne les aspirations de responsabilité et d'indépendance de la population du Québec; 2) ces actes furent toujours associés à l'irradiation d'un discours ethno-nationaliste valorisant tant les traits identitaires initialement définis en 1774 que les intérêts, financiers ou autres, des élites en cause.
La proposition du 19 juin
La proposition du 19 juin s'inspire de la deuxième approche. Aussi est-il prévisible que les promoteurs d'une identité québécoise s'y rallient et que les indépendantistes s'y opposent. Au congrès de 2011, leurs thèses s'affronteront, car derrière ces approches, il y a des projets aux antipodes quant à l'avenir du Québec et du peuple québécois.
Ainsi mis en contexte, les propos de Jacques Parizeau ne sont pas l'expression d'une quelconque impatience. Ils témoignent plutôt d'une inquiétude sur l'essentiel, qui est d'activer une démarche menant à l'indépendance. Or, la proposition du 19 juin n'a pas cette visée, ce qu'a confirmé la chef du PQ en disant vouloir se distancer du «tout [l'indépendance] ou rien [le statu quo]».
Avec sa proposition, les dossiers qui mènent à l'indépendance (institutions politiques, citoyenneté et relations internes, frontière, développement économique, monnaie, armée, douane, relations internationales, etc.) deviennent secondaires. Priment plutôt ceux précisant les traits d'une population culturellement définie et politiquement assujettie. Il en est de même des moyens pour les actualiser.
Avec l'approche affirmative, depuis l'adoption de la loi de clarification, il faudrait revoir le mécanisme d'accession à l'indépendance. Quand on recherche une alliance, on songe plutôt à exclure le mécanisme du programme. Devient alors prioritaire l'expression d'un discours revendicateur contenant des irritants pour forcer la main des détenteurs du pouvoir. On oublie cependant que les revendicateurs de pouvoir ethnoculturel déploient des cartes qui confortent ces détenteurs. Aussi ces détenteurs n'avantageront-ils une élite québécoise bruyante que s'ils estiment freiner ainsi l'élan indépendantiste.
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Claude Bariteau - Anthropologue

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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