Commission Charbonneau

La classe politique sous le choc

Et ce n'est toujours que le début...

Gilles Cloutier a ébranlé la classe politique cette semaine à la commission Charbonneau en reliant les élections clés en main à la collusion. Que d’illusions perdues avec cet organisateur aux méthodes fourbes.
Il y a un peu du personnage joué par William Holden dans The Wild Bunch, un western classique de 1969, en Gilles Cloutier. La scène finale où il mitraille un bataillon jusqu’à la mort ressemble à la posture adoptée par l’organisateur politique à la commission Charbonneau.
Âgé de 73 ans, l’ancien vice-président de Roche et de Dessau est un homme diminué qui réclame de longues pauses pour se reposer entre deux rafales de révélations assassines. Il ne ressemble en rien à l’homme en contrôle de ses élus qui fraternisait avec l’ex-maire de Montréal, Gérald Tremblay, il y a à peine neuf ans lors du cocktail annuel de Roche, au Stade olympique.
À l’instar du protagoniste de The Wild Bunch, M. Cloutier, dos au mur, tire sur tout ce qui bouge dans un dernier baroud d’honneur.
En l’espace de trois jours, le spécialiste du « développement des affaires » a entraîné vers les bas-fonds de la collusion et du financement illégal une impressionnante brochette d’élus et de partis politiques, dont voici quelques noms, si l’on se fie à son témoignage.
Marc-Yvan Côté. Le patron de M. Cloutier chez Roche était au courant de ses activités et a approuvé les versements d’argent comptant. C’est pour ses talents d’organisateur d’élections clés en main que l’ex-ministre libéral l’a recruté.
Frank Zampino. L’ex-président du comité exécutif a demandé à M. Cloutier 100 000 $ pour la campagne d’Union Montréal en 2001. Il lui a même montré une feuille avec le nom de cinq firmes de génie-conseil prêtes à participer au financement occulte du parti en échange d’une mainmise sur les contrats (Dessau, SNC-Lavalin, BPR, CIMA + et Génivar). M. Cloutier a remis une tranche de 25 000 $ à un intermédiaire de M. Zampino, l’ex-conseiller de Saint-Léonard, Alex Pacetti.
Gérald Tremblay. L’ex-maire ne pouvait ignorer le rôle d’organisateur d’élections clés en main de Gilles Cloutier, un homme connu comme Barabbas dans la Passion. Il lui a demandé « un coup de main » pour la campagne de 2001 en le mettant en contact avec Frank Zampino. Vers 2004, M. Cloutier a aussi averti le maire, « un gars honnête », qu’il ne devait pas faire confiance à Bernard Trépanier.
Michel Déziel. Selon M. Cloutier, l’avocat lui a demandé de l’aide pour « blanchir » un don illégal de 30 000 $ de Dessau pour la campagne du maire de Blainville, Pierre Gingras, en 1997. Nommé juge à la Cour supérieure en 2003, Michel Déziel fait maintenant l’objet d’une enquête du Conseil canadien de la magistrature, et il risque la destitution pour cette affaire.
Jean-Marc Fournier. Le nouveau ministre des Affaires municipales a assisté au cocktail de Roche en 2004. M. Cloutier finançait les partis provinciaux pour « avoir les contacts nécessaires » à Québec afin d’accélérer le traitement des demandes de subventions de ses clients du monde municipal. Une subvention attendue depuis un an par la municipalité de Saint-Stanislas-de-Kostka, pour la construction d’une usine de traitement des eaux, est venue quatre ou cinq mois après que M. Cloutier a rencontré le ministre en lui disant : « Jean-Marc, fais ton possible. »
Lucie Papineau. La députée du Parti québécois (PQ) a pu compter sur l’aide de M. Cloutier pour organiser un cocktail de financement où le ministre des Transports, Guy Chevrette, servait d’appât pour attirer les entrepreneurs en construction, parmi lesquels figuraient Giuseppe Borsellino (Garnier Construction), Joseph Carolla (Beaver Asphalte), Jacques Desjardins (Desjardins Asphalte) et René Mergl (Nepcon).
Michèle Courchesne. L’ex-ministre libérale a pris des arrangements pour que M. Cloutier, déjà reconnu coupable de collusion, organise la première campagne de l’ex-policier Guy Ouellette dans la circonscription de Chomedey.
Jean Charest. À son insu, le premier ministre a bénéficié du financement illégal de Desjardins Asphalte pour son congrès au leadership de 1997. M. Cloutier dit avoir tenu une double comptabilité pour cet événement, en cachant ses combines au Parti libéral.
Guy Chevrette. L’ex-ministre des Transports a été impliqué dans « une magouille » pour que le contrat du prolongement de la route 125, dans les Laurentides, tombe dans les mains de Roche. M. Cloutier affirme qu’un ami de Guy Chevrette a exigé 100 000 $ pour lui ouvrir la porte du bureau du ministre. Il a fait un paiement de 25 000 $, et Roche a obtenu son contrat.

Simulacre de démocratie
En 2005, lorsque Gilles Cloutier a quitté Roche, la firme a étendu ses tentacules dans 160 municipalités grâce à ses stratégies agressives de « développement des affaires ».
Concrètement, selon Cloutier, le DDA autorisait l’envoi de cadeaux aux élus, les invitations au restaurant, aux matchs du Canadien, dans un chalet de Pointe-au-Pic, les voyages de chasse et de pêche, le golf… Sans oublier, bien sûr, les contributions illégales, clef de voûte de « l’empire malfaisant » décrit par l’ancien patron de l’Unité anticollusion, Jacques Duchesneau.
Le député caquiste évaluait à 70 % la part du financement illégal dans les élections. Gilles Cloutier lui donne entièrement raison. Le stratège évalue la part réelle du financement populaire entre 5 et 10 % dans les élections municipales, et entre 15 et 20 % dans les élections provinciales.
La Loi sur le financement des partis politiques de René Lévesque, dont l’élite politique se gargarise quant à l’efficacité pour niveler les chances entre les formations et circonscrire le pouvoir de l’argent, n’est rien de plus qu’une fiction juridique.
Deux ou trois ans après son entrée en vigueur en 1977, la loi interdisant les contributions d’entreprises a été habilement contournée par le recours aux prête-noms. Comble de l’insulte, M. Cloutier recrutait sans peine les donateurs en leur faisant miroiter le crédit d’impôt auquel ils auraient droit.
Voilà pour le « modèle » québécois. Grâce à l’expertise des Gilles Cloutier de ce monde - il y en a une douzaine comme lui, a-t-il dit -, les municipalités ont été transformées peu à peu en filiales des firmes de génie-conseil.
Selon le témoin, Roche possédait tellement d’influence qu’elle pouvait « placer » des directeurs généraux dans les municipalités où elle s’était déjà assurée de la fidélité de maires élus par le miracle du clé en main.

Motivations ?
Il est difficile de saisir les motivations de Gilles Cloutier. C’est un mélange de vengeance et de contrainte. Vengeance contre l’ex-vice-présidente de Roche, France Michaud, et d’autres associés avec lesquels il entretenait un conflit ouvert vers la fin de sa carrière. Contrainte de la Sûreté du Québec (SQ), avec laquelle le témoin a collaboré.
Condamné à de lourdes amendes en 2001 pour avoir été le chef du cartel du déneigement à Montréal, M. Cloutier a fait l’objet d’une nouvelle enquête pour collusion, toujours dans le déneigement, il y a quelques années.
Le sujet a été effleuré à la commission Charbonneau, juste assez pour donner à penser qu’il était dans son meilleur intérêt de collaborer…
Gilles Cloutier a fait trembler l’Assemblée nationale, sauf Québec solidaire, toujours loin des réseaux occultes de financement.
Au lendemain des allégations concernant Guy Chevrette, la première ministre Pauline Marois et le vice-premier ministre François Gendron ont jugé que la commission allait trop loin et qu’elle devait faire preuve de prudence.
L’indignation à géométrie variable du Parti québécois, trop content de voir les libéraux traînés dans la boue à la commission, est symptomatique d’un problème de fond.
Ce n’est pas tant parce qu’il tire sur tout ce qui bouge, mais plutôt parce qu’il atteint la cible que Gilles Cloutier est un homme dangereux.
Cet organisateur qui est au coeur de la machine infernale à fabriquer des maires, des députés, des élections et des référendums volés depuis l’ère de Duplessis expose une culture de proximité qui s’ignore entre la politique et le génie-conseil.


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