La collision frontale est programmée

Chronique de Robert Laplante


Robert Laplante
_ BULLETIN DU LUNDI 16 janvier 2006
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On nous a même déterré Benoît Bouchard ! C'est dire que le Québec n'est vraiment à l'abri de rien. Cette élection fédérale sera donc celle de toutes les afflictions. Au spectacle des notables offusqués, aux complaintes des amnésiques aux poches pleines et aux bravades des matamores du «maple leaf patriotism» , voilà donc que s'ajoutent les excités du nouvel adjectif, les chasseurs de slogan. Le fédéralisme d'ouverture ! Il suffisait de prononcer la formule magique pour que s'ouvre les portes de la caverne d'Ali Baba. Le Canada nouveau gît là, à portée de discours, à quelques bulletins de vote de la rédemption conservatrice.
Évidemment, il ne s'agit pas seulement d'entendre, il faut que les mots soient prononcés sur le bon ton pour que l'essentiel soit visible avec les yeux du cœur. C'est à faire rire les pierres. Et pourtant ça marche. Ça marche toujours et, à chaque fois, cela nous est présenté comme une nouveauté inouïe, une véritable épiphanie de la grandeur canadian.
Les inconditionnels du Canada sont insatiables. Ils sont d'une incommensurable avidité dès lors qu'il s'agit d'avaler une nouvelle couleuvre. Ils y tiennent tant à la province de Québec, ils sont si malheureux d'avoir à vivre avec la soumission pour seul horizon qu'ils accueillent toujours avec emphase le moindre geste, la plus petite malheureuse déclaration qui pourraient leur permettre de se draper dans l'honneur et l'enthousiasme de tenir la pose du minoritaire nié - et content de l'être.
Nous avons donc eu droit à la relance d'une nouvelle rengaine sur un air connu, archi- usé mais qui colle au paysage politique comme une obsédante ritournelle de pub. Les fédéralistes qui ont du mal à vivre avec le banditisme d'État viennent donc de trouver en Stephen Harper un nouveau chantre de l'auto-mutilation consentie. Il respectera la constitution, dit-il, sous les applaudissements de ceux-là qui sont prêts à tout pour feindre d'oublier que cet ordre constitutionnel a été conçu pour nous oblitérer, pour normaliser le Québec et le réduire au folklore. Et cela suffit pour faire croire que l'égalité des provinces à laquelle les conservateurs tiennent avec toute la rage contenue de l'aliénation albertaine servira bien le Québec !
Il faut dire que le babillage des commentateurs médiatiques agit vraiment comme une potion magique. Oubliant que, si environ la moitié des Québécois appuient la souveraineté, cela implique nécessairement que l'autre moitié se cherche encore une raison de ne pas y adhérer, les scribouillards de la fausse objectivité n'ont pas manqué de conclure que, parce que ceux-là renouvellent leur fonds de commerce, les autres devraient nécessairement reculer. Logique tordue qui se refuse à considérer l'appui à la souveraineté pour ce qu'il est, qui n'y voit encore que réaction de dépit entretenue par des idéologues prêts à lancer leur peuple dans des aventures hasardeuses.
Ainsi avons-nous eu droit à une Chantal Hébert grandeur nature qui s'est fendue d'une éblouissante découverte : « Le projet politique qui a la vie la plus dure au Québec n'est pas celui de la souveraineté, mais plutôt le rêve tenace, d'un accommodement honorable à l'intérieur de la fédération canadienne. Au moment où plus personne ne s'y attendait, voilà qu'il suffit encore qu'il montre le bout de son nez pour modifier la donne de la campagne fédérale » ( Le Devoir, 10 janvier). Ça bouge un peu dans la statistique des marges et hop ! voilà la vérité de l'Histoire ! Il suffisait de si peu pour que l'amour couvant sous la cendre libérale se ravive à la flamme de l'électoralisme. Canada quand tu nous tiens...
Même le petit Dumont est sorti de son mutisme, ravi lui aussi de pouvoir se manifester en secouant le nouveau hochet. Le voilà lui aussi en train d'inverser la logique des choses pour mieux retrouver le confort de la politique de la soumission. L'appui au Bloc ne serait pas la manifestation d'un refus de se fondre dans la logique canadian mais bien plutôt la consécration de « l'isolement du Québec et surtout la marginalisation de notre pouvoir politique au sein de la fédération canadienne » ( Le Devoir 12 janvier) La belle affaire ! Ces inconditionnels du Canada sont toujours en train de nous voir avec le regard des autres.
Il voudrait tellement se penser comme un vrai joueur dans la politique canadian, notre autonomiste de province, qu'il en consent deux fois plutôt qu'une à jouer son rôle de minoritaire heureux. Le voilà dans Le Devoir à s'imaginer important parce qu'il s'entrevoit peut-être utile dans le jeu des alliances qui font la politique de la majorité. Le voilà donc qui pontifie et attribue à la supposée impuissance du Bloc les reculs qu'Ottawa a fait subir au Québec, refusant de voir que le Canada de la constitution que Stephen Harper s'engage à respecter est précisément celui-là qui a entrepris de se moderniser sur le refus ontologique du caractère national du Québec.
Toujours aussi court de raisonnement, le chef adéquiste s'imagine que c'est une affaire de parti et non de régime : « le Bloc a empêché jusqu'à ce jour la mise en place d'une véritable alternative nationale au gouvernement libéral ». Le mot clé, ici, on l'aura compris, est « national ». Comme tous les inconditionnels du Canada le pauvre Dumont refuse de comprendre qu'il n'y a qu'une nation au Canada et qu'elle s'organise sans le Québec. Ah ! ils voudraient bien en être, ces provinciaux, ! Ils voudraient bien se sentir dans le coup, s'approcher des cercles du pouvoir. Ils voudraient bien qu'on les imagine grandis par leur voisinage et par les rôles d'appoint qu'ils espèrent y quêter et pour ce faire, ils sont prêts à s'accepter minorisés pour mieux se consacrer à une politique façonnant un régime hostile à notre réalité nationale. Pathétique.
La remontée des Conservateurs au Québec ne signifie rien d'autre que l'extraordinaire capacité de renouvellement des alibis de consentement à la défaite et à la négation de soi. Pour les souverainistes, cela ne fait qu'illustrer, une fois de plus, jusqu'à quel point le combat doit être conduit avec une perspective large, affranchie de la logique politicienne pour bien faire la part de l'électoralisme et de la riposte politique authentique. L'émergence de ce nouvel alibi fait au Bloc l'obligation plus grande encore de poser sa bataille dans le conflit des légitimités nationales et dans la nécessité de sortir du régime canadian. Sa mission historique lui impose de lutter pour convaincre les citoyens du Québec de voter pour lui parce qu'ils souhaitent sortir du Canada.
Ceux-là qui veulent seulement le mandater pour aller protester contre le banditisme sont à la mauvaise adresse. On les comprend les nauséeux, on sait qu'il en reste des crédules, on veut même reconnaître qu'il s'en trouve encore des partisans de l'ultime dernière chance. Mais on doit savoir que la domination canadian carbure depuis toujours en jouant de ces réflexes de minoritaires toujours prêts à minimiser les pertes pour mieux se griser de symboles compensatoires. On doit savoir que les phalanges d'inconditionnels à gages n'ont de cesse de les entretenir ces réflexes de perdants timorés.
On s'attend à ce que le Bloc s'adresse à l'électorat en parlant de la nécessité de s'affranchir, pas de la possibilité de s'accommoder avec de moins pires. Il faut faire réaliser aux déçus du gouvernement Martin qu'ils se trompent de bataille. Ce que le Québec gagnera d'un gouvernement conservateur se paiera chèrement du prix de l'enlisement dans l'inoffensif. Évidemment, il s'en trouvera toujours pour faire carrière à dire que l'inoffensif peut être utile. Au Bloc de leur répondre qu'aucun gain sur l'accessoire ne conduira jamais à une victoire sur l'essentiel. L'indépendance est une nécessité vitale. Ceux-là qui voit émerger une troisième voie dans le résultat de cette élection s'abusent et s'illusionnent.
A sa face même, la remontée conservatrice au Canada suffit à faire la preuve que le Canada se pense lui-même et pour lui-même. Le train est parti et ceux-là qui voudraient faire miroiter les emplois de chef de gare se contentent de vivre par procuration. Les autres, qui restent encore attachés à la rhétorique de l'accommodement, s'imaginent pouvoir arrimer une draisine québécoise au convoi qui fonce à vive allure vers un Canada unitaire. Ils se trompent sur le sens des voies qu'a empruntées le train électoral. Ils n'ont pas encore compris que la locomotive canadian, loin de l'entraîner, l'écrasera. La collision frontale est programmée.

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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