La colonisation intérieure

Tribune libre

Gaspé et Anticosti subiront bientôt les premiers assauts de la fracturation hydraulique sur leur territoire malgré l’opposition citoyenne, tandis que la petite municipalité de Ristigouche fait face à une poursuite de 1,5 million de dollars par une compagnie gazière qui conteste son règlement sur la protection de l’eau potable. L’industrie prétend que l’exploration et l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste ne présentent aucun danger pour l’environnement et la santé humaine. On pourrait se contenter de rire d’une affirmation aussi absurde si les derniers gouvernements n’avaient démontré une passion aveugle pour le développement de la filière des hydrocarbures au Québec. Mais laissons parler les faits.

Il faut en moyenne 15 à 20 millions de litres d’eau pour fracturer un puits de gaz ou de pétrole de schiste. Certains puits peuvent engloutir jusqu’à 70 millions de litres . Comme la productivité des puits décline de 80 à 95 % après trois ou quatre ans, il faut forer des milliers de puits si on veut récolter une portion significative d’hydrocarbures. Les besoins en eau de l’industrie peuvent entrer rapidement en compétition avec les besoins domestiques et agricoles des communautés. À ce précieux liquide sont ajoutés de 80 à 330 tonnes de produits chimiques, dont de nombreux cancérigènes, perturbateurs endocriniens et biocides. Aucune usine de traitement des eaux ne peut décontaminer ces eaux usées. Plus ou moins la moitié du volume des fluides de fracturation demeure à jamais dans le sous-sol et on se contente d’ignorer l’impact à long terme de ces polluants dans l’environnement.

D’autres problèmes viennent du fait qu’il n’y a aucun moyen pour l’industrie d’exercer un contrôle sur l’extension des fractures causées dans la roche lors des fracturations, de sorte que le méthane et d’autres contaminants s’échappent par des failles bien au-delà du conduit menant à la tête du puits, pour aller rejoindre la nappe phréatique ou fuir librement dans l’atmosphère. La migration souterraine des hydrocarbures se prolonge indéfiniment une fois la roche fracturée. L’industrie n’en recueille qu’autour de 20 %. C’est pourquoi la contamination atmosphérique et la pollution des sources d’eau potable, loin d’être l’exception, constituent et continueront de constituer la norme, même après la fermeture des puits. Des problèmes de santé humaine et animale ont été rapportés chez les populations qui vivent à proximité des puits de fracturation partout où l’industrie s’est implantée. Il est établi que le pétrole et le gaz de schiste contribuent au moins deux fois plus au réchauffement climatique que les hydrocarbures conventionnels.

En plus d’empoisonner l’air, l’eau et les sols et de contribuer au dérèglement du climat, la fracturation hydraulique empoisonne littéralement la vie des gens par ses nuisances, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. La valeur des propriétés baisse dramatiquement et les résidents subissent une perte de jouissance de leur environnement. Le gouvernement agit ici comme une puissance coloniale qui s’accapare brutalement les ressources vitales d’un territoire sans égard pour le bien-être et les besoins des populations qui l’habitent. Le cas d’Anticosti est emblématique : le gouvernement investit 115 millions dans l’exploration pétrolière alors que la communauté attend depuis trois ans des travaux de réfection à son usine de traitement d’eau potable. Cette chasse aux hydrocarbures « extrêmes » est d’autant plus immorale qu’elle marque un déni de la crise climatique qui approche et nuit à la transition vers les énergies sans carbone.

Louise Morand
Comité vigilance hydrocarbures de l’Assomption


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