Cet été encore, des milliers de personnes visiteront la Gaspésie et passeront par Forillon, l’un des plus beaux parcs fédéraux au Québec. La majorité seront tenues dans l’ignorance la plus complète des pêcheurs et des familles qui ont occupé ce territoire après 1920. Parce qu’après 1920, c’est comme si l’horloge de l’histoire s’était arrêtée, à Forillon.
La plupart des touristes ignorent que plus de 200 familles ont été expulsées de leurs terres et de leur maison dans des conditions sauvages au début des années 70. Un sujet tabou dont les Gaspésiens vous parleront volontiers, mais que les autorités du parc continuent d’occulter.
Si la Gaspésie compte parmi vos destinations estivales, il faut lire La Bataille de Forillon, ce roman fascinant de 550 pages, publié en 2001 par Lionel Bernier, l’avocat qui a porté la cause des expropriés jusque devant la Cour d’appel. Vous ne verrez plus jamais le parc du même œil. Pourquoi revenir sur cette histoire ? Parce qu’il n’est pas trop tard pour rendre aux derniers habitants de Forillon la place qui leur revient dans l’histoire de ce parc.
Dans son état actuel, Forillon offre aux visiteurs un contenu intéressant sur la présence à cet endroit des pêcheurs européens qui venaient s’y installer pour l’été pour la pêche à la morue bien avant le XXe siècle. Mais comme l’a demandé le Musée de la Gaspésie, dans un mémoire soumis en janvier, « l’expropriation massive des familles du territoire (...) est une réalité historique importante qui doit être rappelée aux visiteurs du parc, même si elle n’a rien de glorieux ».
Ce ne serait pas la première fois qu’un gouvernement accepte de s’amender. On l’a fait pour les Canadiens d’origine japonaise qui furent internés et dépossédés de leurs biens pendant la Seconde Guerre mondiale. On l’a fait encore récemment pour les expropriés de Mirabel. Il est temps de le faire pour les gens de Forillon qui ont été déracinés de leur milieu. Ces gens ont droit à des excuses publiques et devraient retrouver leur place dans l’histoire officielle du parc, au même titre que les familles qui pêchaient et faisaient le commerce de la morue au XIXe siècle.
Forillon n’est pas le seul parc à taire l’histoire de ses habitants. On constate la même chose dans le parc du Bic, administré par la SEPAQ. Qui était Cyrice Rioux, propriétaire de la ferme qui a donné son nom au camping du parc et dont les bâtiments ont été expropriés et transformés en centre d’accueil et d’interprétation ? J’ai eu le privilège de le connaître,il était mon oncle. Mais les visiteurs du parc, à qui je raconte son histoire, veulent en savoir davantage. Qui étaient les habitants du cap à l’Orignal ? Quelles étaient les vieilles familles anglophones de Montréal ou de Toronto qui possédaient des propriétés d’été depuis des lustres dans ce territoire ? On a laissé quelques bribes d’information, mais, comme à Forillon, les autorités du parc n’ont pas vraiment fait de place à l’histoire récente.
Les gouvernements ont eu raison de vouloir protéger ces espaces magnifiques. Mais ils ont eu tort de traiter leurs résidants comme des parias et de les forcer à aller devant les tribunaux pour être compensés. Et ils ont commis une autre erreur en déshumanisant ces espaces, comme s’il était impossible d’apprécier à la fois leur beauté naturelle et l’histoire de leurs habitants.
Les gouvernements Harper et Charest auraient là une belle occasion de corriger une injustice, d’autant plus qu’on a fort probablement commis les mêmes erreurs ailleurs au pays.
Et au fait, pourquoi ne pas donner un accès gratuit à ces parcs aux familles des expropriés ? Ce serait un beau geste.
Parc Forillon
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