Rien n'est plus délétère pour la vie collective que la perversion du langage. Mal nommer les choses n'ajoute pas seulement au malheur du monde, pour paraphraser Camus, mal nommer les choses, c'est fabriquer un faux monde, c'est se condamner à s'agiter dans l'artifice pour mieux consentir à l'impuissance ou à l'imposture. Il en est ainsi depuis un bon moment déjà en matière linguistique où il n'est plus possible de saisir le réel tant les euphémismes, les raccourcis, les élisions et les affirmations spécieuses ont pollué le discours et consacré la ruine du langage.
Le Québec a de plus en plus de mal à se nommer dans son combat linguistique, à se situer dans l'héritage de ses acquis et à penser les forces qui ont détruit la loi 101 au point de la transformer en symbole creux créant l'illusion de la sécurité. Nous en avons eu un exemple de plus cette semaine alors que le gouvernement Charest tentait de faire une grande chose de son rapprochement avec les organisations qui encadrent les francophones hors-Québec. Il faudrait y voir un événement, paraît-il.
[«L'avenir en français» a rendu Benoît Pelletier lyrique->2766]. Notre homme y voit un tournant historique : «Le Québec, qui a effectivement réintégré le giron de la francophonie canadienne, est là pour y rester» ( Le Devoir, 8 novembre) a-t-il avec emphase déclaré, pour mieux affirmer son consentement à notre statut de minoritaire à perpétuité dans la grande famille canadian. Et voilà la province à nouveau lancée dans la grande mission providentielle de renforcer la langue française au Canada. Se pensant perspicace, le ministre estime voir la nécessité que cela passe par «l'unité de la francophonie canadienne. Le Québec en fait partie sociologiquement, il en fera partie politiquement. Il va assumer au sein de cette francophonie un rôle de leader». Le pauvre Pelletier, il s'enfirouâpe encore dans ses contradictions d'inconditionnel du Canada.
Le Québec n'a jamais quitté quoi que ce soit. À peine a-t-il tenté de le faire un court instant en adoptant la loi 1 et puis la loi 101. Il est solidement assujetti à l'ordre linguistique canadian, un ordre si important pour Ottawa qu'il a modifié sa constitution pour barrer la route à toute tentative de faire du Québec un État intégralement français. L'annonce de cette semaine n'inaugure rien, elle consacre tout simplement un état de fait. Mais elle drape le consentement à la minorisation dans un simulacre pervers. La vérité, c'est que le Québec n'est leader de rien au Canada, en matière linguistique tout particulièrement où notre situation se détériore d'autant plus insidieusement que toute la classe politique se refuse à nommer les choses correctement.
Le hasard a tout de même permis de faire valoir que le réel ne disparaît pas parce qu'on a décidé de changer d'alibi. Le jour même où le gouvernement Charest tentait de faire un spectacle d'illusionnisme, paraissait le rapport annuel du ministère de la Culture où des faits têtus surgissent comme autant de couacs dans la rhétorique ronflante des Pelletier de ce monde. «Une majorité des transferts linguistiques se fait encore au profit de l'anglais. En effet, 54% des transferts sont effectués vers l'anglais contre 46% vers le français» retrouve-t-on dans un articulet paraissant en page A6 du Devoir. Les auteurs du rapport, remarque Norman Delisle qui signe l'article, ne peuvent s'empêcher de constater que si «le français a progressé depuis 30 ans au Québec, ces progrès s'accompagnent d'une tendance lourde.»
On ne peut imaginer meilleure défilade pour tenter de travestir le réel. La tendance en question ne relève pas d'une quelconque inexplicable fatalité, elle est le produit d'une intention, une entreprise. La vérité, c'est que la loi 101 est émasculée, que l'ordre canadian en érode chaque jour davantage l'efficacité et qu'il en réduit la portée à un point tel que son sens et ses objectifs en sont totalement dénaturés. Pis encore, un consensus politicien mensonger - même Stéphane Dion trouve que c'est une grande loi canadian - sert désormais à l'utiliser pour la retourner contre ses intentions premières.
On reste pantois devant le plaidoyer de ce rapport qui se sent l'obligation d'affirmer : «La politique linguistique garde toujours sa pertinence et il importe, peut-être plus que jamais, qu'elle soit comprise et acceptée par l'ensemble de la société québécoise...» Quelle démission! Quelle lâcheté! Ce que les chiffres démontrent, ce n'est pas le manque de pertinence, c'est l'inefficacité de la législation linguistique. Et cela ne tient pas d'abord à la mentalité de la population québécoise : cela relève essentiellement de la lutte acharnée que l'État canadian n'a cessé de mener contre la loi 101 d'abord et contre tout ce qu'il en reste depuis que les jugements de la Cour Suprême en ont détruit la cohérence. Et cela tient aussi à une démission larvée de tous les partis qui font semblant de ne pas lire l'évidence.
Le gouvernement Charest ne réintègre rien, il a seulement tenté de camoufler sous de nouvelles frocs le véritable état des rapports du Québec avec le combat linguistique, le sien et celui des minorités. Il a seulement démontré qu'en dépit des formules creuses sur la nation, sa véritable politique est celle de l'aménagement hypocrite des conditions dans lesquelles le français peut continuer de reculer au Québec comme au Canada. Les inconditionnels du lien canadian n'en finissent plus de tordre la réalité en dénaturant la langue même du combat linguistique. Les autres se bercent dans le confort et la fausse sécurité que leur procure le symbole évidé qu'ils défendent pour ne pas combattre. Notre politique linguistique est en lambeaux parce qu'elle est au service d'une pensée émiettée.
La pensée émiettée
Chronique de Robert Laplante
Robert Laplante173 articles
Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]
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