(Ottawa) «En outre, les juges sont choisis parmi les personnes visées au paragraphe (1) qui comprennent le français et l'anglais sans l'aide d'un interprète.»
Et oui, c'est bien elle, cette petite phrase qui ébranle le pays et excite éditorialistes, commentateurs et conservateurs d'un océan à l'autre. Cette trouvaille du député acadien Yvon Godin oblige très exactement neuf personnes au pays à pratiquer le bilinguisme s'ils veulent siéger à la Cour suprême.
Déjà, depuis des lunes, les trois juges québécois parlent les deux langues, l'un d'eux étant même anglophone, par tradition. Les premiers ministres ont également nommé avec régularité, ces dernières décennies, des francophones de l'extérieur du Québec, par définition bilingues eux aussi.
Au net, selon l'expression courante, M. Godin invite cinq ou six experts en droit à apprendre le français, et l'opinion anglophone s'insurge contre le projet de loi C-232 déjà voté aux Communes avec l'appui des trois partis d'opposition.
Les sénateurs ont maintenant le dernier mot, et les conservateurs - sauf un, Pierre Claude Nolin - s'enlignent pour un vote à l'aveuglette contre cette initiative.
L'argumentaire des opposants au bilinguisme relève dans certains cas du bêtisier le plus bancal. Selon les conservateurs québécois, imposer le bilinguisme interdirait l'accès à la Cour suprême à des unilingues francophones.
J'ignore dans quel monde clos ces gens-là vivent, mais aucun juriste unilingue francophone n'oserait promouvoir sa candidature pour un tribunal qui fonctionne en anglais la très grande majorité du temps.
Quand j'entends dire que les avocats unilingues du Lac-Saint-Jean seraient ainsi victimes de discrimination, que ces députés et sénateurs se réveillent : le juge Louis LeBel vient de Québec, la juge Louise Deschamps de Repentigny, deux villes aussi francophones que Chicoutimi.
Pourquoi alors un avocat de Saskatoon ou une professeure de droit d'Halifax ne feraient pas comme eux et apprendraient, eux aussi, une langue seconde?
La presse anglophone unanime invoque le principe de la compétence pour justifier sa position. Dans un pays bilingue où les deux versions des lois fédérales ont valeur égale, et où tous les citoyens ont des droits linguistiques égaux, toujours sur le plan fédéral, le bilinguisme fait justement partie des compétences obligatoires.
L'ancien juge John Major soutient que les interprètes de la Cour suffisent à la tâche et font un excellent travail. Comment peut-il décider de la qualité ou non de la traduction, s'il ne comprend rien à la version originale?
Son argument lui a sauté en pleine figure avec la diffusion à Radio-Canada, cette semaine, de la traduction des propos de l'avocat Michel Doucet devant le tribunal.
De toute évidence, il n'y avait rien à comprendre de ce passage, l'interprète ayant perdu le fil de l'argumentation. Alors, comment les juges unilingues se sont-ils débrouillés lorsqu'ils ont débattu de cette cause en privé, sans interprète cette fois?
Les francophones se plient quotidiennement et sans rechigner publiquement à l'unilinguisme de leurs collègues depuis les débuts de la Cour, en 1875.
J'aimerais connaître la liste des juristes québécois bilingues qui ont refusé une nomination à la Cour suprême à cause de l'impossibilité d'y travailler aussi en français. Mais elle n'a jamais été compilée.
Le «deux poids, deux mesures» ne convenait pas à ces héros inconnus, et ne convient toujours pas. Le Sénat n'est pas payé pour annuler les votes des élus du peuple, et les nouveaux conservateurs du Québec, qui risquent de faire la différence le jour du vote, y risquent également leur réputation.
La phrase qui fait hurler
«En outre, les juges sont choisis parmi les personnes visées au paragraphe (1) qui comprennent le français et l'anglais sans l'aide d'un interprète.»
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