La guerre, «yes sir»!

1812 - l'État historien


(Ottawa) Non, les conservateurs n'ont pas développé subitement une rage de littérature et recommandé aux jeunes Québécois et Canadiens de se plonger dans la lecture du récit de Roch Carrier La guerre, yes sir!
Le gouvernement Harper, puisque tel est son nom, à preuve les premiers mots de son communiqué de presse de mercredi sur le 200e anniversaire de la guerre de 1812, songe plutôt à autre chose.
Cette autre chose se nomme propagande, et il ne s'en cache même pas. James Moore et sa demi-douzaine de collègues veulent répandre la bonne nouvelle conservatrice en ignorant le «gouvernement du Canada» qu'ils sont censés représenter.
Le premier paragraphe de cette politique culturelle belliqueuse nous apprend que cette guerre contre les États-Unis «a jeté les bases de ce qu'allait devenir le Canada, c'est-à-dire un pays indépendant et libre, uni sous la Couronne et respectueux de sa diversité linguistique et ethnique».
Pour moi qui pensais que le Canada existait depuis 1534, 1608 ou 1867, je vous laisse le choix, voilà que le ministre du Patrimoine a décidé d'élargir mes horizons. Croyez-le ou non, nous existerions parce que les Britanniques ont, ou auraient, battu les Américains dans une guerre jugée idiote par les deux camps, à l'époque.
«Un pays indépendant et libre doté d'une monarchie constitutionnelle», m'apprend le ministre. Depuis quand un pays indépendant obéit-il à un monarque étranger? J'aimerais qu'un élu conservateur du Québec m'explique ce phénomène exceptionnel dans l'histoire des peuples.
Certains, après avoir dénoncé la politisation de cette commémoration, espéraient que les institutions fédérales sérieuses et dirigées par des professionnels ne tomberaient pas dans le panneau.
Détrompez-vous. Dès mercredi, le Musée de la guerre annonçait une exposition permettant au public d'«enrichir [sa] connaissance des batailles [...] permettant l'émergence d'un État libre et indépendant».
Tous les pays ont leurs mythes fondateurs, qui idéalisent un événement souvent mais pas toujours banal. Mais rarement aura-t-on vu un gouvernement en pleine action de création d'un mythe fondateur. L'histoire en mouvement, quoi, et rétroactivement en plus.
Est-ce qu'une victoire américaine aurait signifié la disparition des francophones d'Amérique? Je ne vous rappellerai pas où on va avec des «si», mais la même question se pose au sujet du siège de Québec par les Américains, en 1776.
Les historiens nous rappellent que l'annexion du Québec ne paraissait pas au programme politique des États-Unis, en 1812, et que les milices de la Nouvelle-Angleterre avaient même refusé de nous envahir. Il n'en a même pas été question lors des négociations.
Et puis, qui a vraiment gagné cette guerre? Le traité de paix signé à Gand a confirmé la poussée américaine vers le Middle West, la fin du règne des autochtones sur ces terres - eux qui furent les seuls perdants, au fond - et déverrouillé le commerce des limites imposées par la Grande-Bretagne.
Les batailles finales, sur le lac Champlain et à La Nouvelle-Orléans, ont tourné à l'avantage des États-Unis, la dernière bataille se déroulant même après la fin officielle de la guerre, mais avant que les combattants en soient avertis.
Célébrer les événements de 1812-1814 de cette façon tonitruante confirme le caractère rétrograde des penseurs qui nous gouvernent, eux qui ont recréé la Royal Navy et la Royal Air Force et accroché le portrait de la reine dans nos ambassades, quitte à gêner tous ceux qui nous y représentent.
Vive l'histoire, oui, mais à bas les manipulations bassement partisanes. Le Canada a-t-il gagné une guerre contre les États-Unis, il y a 200 ans? No, sir!


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