La rectitude légaliste

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La justice libérale qui fait la loi au Québec


L’abandon des poursuites à l’encontre de Paolo Catania en a laissé plus d’un songeur, le spectre des réactions se déployant de l’indignation à la résignation. Il est vrai que le poids des accusations minait son droit à la présomption d’innocence alors qu’au sein de la population il était déjà jugé avant procès.


En décrétant l’arrêt Jordan, la Cour suprême a jeté un pavé dans la mare, bousculant les habitudes du judiciaire, n’autorisant aucun délai raisonnable et, par conséquent, imposant le risque de voir relaxer des prévenus en déni de toute justice. Parce que la Cour exècre l’arbitraire, ses prévenances l’auront conduite à s’enferrer dans une rectitude légaliste aux conséquences contraires au bien commun. Mais n’est-ce pas le propre des doctrinaires d’en arriver un jour à l’absurde ? Soyons magnanimes, ce n’est pas là le propre de la cour puisque les exemples foisonnent où des idéologues en position de pouvoir contraignent le gros bon sens au profit de conceptions aux conséquences désastreuses. Il demeure toutefois que, dans ses résultats, cet arrêt mine la crédibilité du judiciaire.


Ainsi, appliqué au niveau des cours inférieures, l’arrêt Jordan fait appel au jugement, au discernement de la part de ceux ou celles qui décideront de l’irréparable. Or, rappelons-nous que, si les universités produisent de bons et de mauvais avocats, c’est l’État qui nomme sans regard pour l’un ou pour l’autre des candidats au poste de juge. À son escient, le public espère qu’il nomme le talent en indépendance de toute autre considération. Mais la pratique de choses est souvent en deçà de ses espoirs légitimes. Nous avons tous souvenir de ces cinq nominations de juges, tous tirés de l’entourage immédiat du ministre des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc. Comme l’enfant pris sur le fait, on nie et se drape dans son innocence, mais les faits demeurent en dépit de démentis souvent maladroits et nous rappellent qu’un gouvernement, quel qu’il soit, n’est autre chose qu’un parti politique au pouvoir.


Ceux qui se sont approchés des partis jusqu’au premier cercle s’étonnent de cette nuée d’avocaillons qui papillonnent autour du politique. Ils sont partout, dans les officines, dans les conseils, dans les circonscriptions. Ils donnent temps, conseils et argent sous le couvert de cette abnégation vertueuse dans l’espérance de la main du prince. Car en politique, tout est calcul. Si le dévouement généreux est la plupart du temps le fait de ces bénévoles qui animent la mécanique des partis, l’ambition se fait de plus en plus dévorante au fil des ascensions personnelles. Les solidarités qui s’y créent appellent au service, service qui en appellera un autre, nouant des réciprocités douteuses qui, au grand jour, feraient scandale. Or, des solidarités au copinage, il n’y a qu’un pas selon l’éthique de chacun. Les partis politiques sont par leur dynamique interne naturellement corrupteurs. N’allons pas croire que la corruption n’est qu’affaire de pots-de-vin. Ses formes sont multiples et souvent insidieuses, la simple bienveillance ou le silence complice pouvant, le moment venu, servir l’ami, l’allié, le contributeur.


Les juges, disais-je. Sous le gouvernement Charest, les instances de l’État étaient cette assiette au beurre à laquelle tous aspiraient. Je me souviens de ce membre du comité politique du Parti libéral du Québec qui racontait sans états d’âme la distribution des prix à même le patrimoine collectif, instillant au coeur de l’État une filière politique fondée sur la gratitude avant le talent. À moins d’une recherche sérieuse, il est impossible de dénombrer le nombre d’avocats faits juges en remerciement de services rendus. Mais, compte tenu de la culture politique de l’époque, il n’y a pas de raison de croire que ces nominations furent l’exception. De là, un juge nommé par faveur reste dans l’ombre du parti qui l’a créé, une dépendance qui corrode la crédibilité des tribunaux. À défaut d’accuser, on peut tout de même s’interroger sur la bienveillance ou les silences de celui ou celle qui se retrouvera devant l’ami, l’allié, le contributeur.









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