Il y a quelques mois, à l'occasion du dixième anniversaire de l'association Notre Europe, fondée par Jacques Delors, l'ancien commissaire européen Pascal Lamy, devenu directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), se demandait avec inquiétude si la "pulsion d'unification européenne" née au lendemain de la seconde guerre mondiale n'était pas en train de prendre fin. La crise que traverse la construction européenne depuis le rejet du projet de Constitution n'est-elle pas, disait-il, "le dernier soubresaut d'un projet qui va mourir après avoir épuisé le moment de sa pertinence historique" ? Ne faut-il pas constater aujourd'hui que cette tentative, "qui consiste à rompre avec le monopole de la légitimité politique des Etats-nations" hérité du traité de Westphalie au milieu du XVIIe siècle, "a échoué" ?
M. Lamy veut croire que le "désir d'Europe" peut renaître, mais ses interrogations sont au coeur de ce qu'il appelle la "dépression" européenne. Certes, le temps n'est plus où, en France notamment, les "anti-européens" s'opposaient avec passion aux "pro-européens". Ceux qui se disaient jadis "contre l'Europe" appellent désormais à une "autre Europe". Rares sont ceux qui rejettent toute forme d'organisation politique du Vieux Continent. Mais les divergences demeurent sur la nature du lien qui doit unir les Etats membres. Certains, à l'instar des Britanniques ou des Polonais, se contenteraient d'une organisation minimale, qui préserve les souverainetés nationales. Le futur premier ministre britannique, Gordon Brown, pense qu'entre le monde globalisé et les Etats-nations la construction d'un espace européen n'est plus vraiment pertinente.
Les débats entre les Vingt-Sept sur un nouveau traité institutionnel confirment l'essoufflement de l'idée européenne. Sous la pression des eurosceptiques, dont la détermination s'accroît, l'Union s'éloigne peu à peu de l'esprit communautaire. La nouvelle génération des dirigeants du Vieux Continent s'accommode volontiers de cette évolution. Nicolas Sarkozy, en particulier, considère les institutions européennes avant tout comme l'instrument d'une coopération entre gouvernements. Il l'a prouvé lorsqu'il était ministre de l'intérieur en réunissant, en marge de l'Union, les représentants des grands pays afin de coordonner leurs politiques.
La volonté de l'Europe d'intervenir davantage sur la scène internationale renforce aussi le rôle des diplomaties nationales. Les innovations du futur Traité vont apparemment dans le même sens. En se donnant un président élu pour deux ans et demi, renouvelable une fois, et un ministre des affaires étrangères de plein exercice, l'Union va donner plus de poids aux Etats, en dépit des précautions prises pour ne pas amoindrir la Commission. Le nouveau système de vote avantagera les plus peuplés d'entre eux. Les décisions refléteront les rapports de forces entre les Vingt-Sept. Comme le répète José Manuel Barroso, président de la Commission, les institutions européennes doivent être au service des Etats. Le monopole de la légitimité politique des Etats-nations, auquel l'Union prétendait mettre fin, n'est pas mort.
L'Europe qui se dessine est différente de celle dont rêvaient les fédéralistes. Est-elle pour autant vouée à l'échec ? C'est ce que pensent ceux qui ne renoncent pas à l'idée d'un pouvoir supranational. Mais ceux-là sont aujourd'hui minoritaires. L'un des plus fervents défenseurs des "Etats-unis d'Europe", le premier ministre belge Guy Verhofstadt, va céder la place après sa défaite électorale. Aux autres, qui se disent "euro-réalistes", d'apporter désormais la preuve qu'une association d'Etats souverains est capable d'agir efficacement en mettant en oeuvre une volonté commune. C'est peut-être la dernière chance de l'Europe.
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