Sur la question des religions, le Québec prend de plus en plus les allures d'une tour de Babel.
Du port du kirpan à l'obligation faite à l'ÉTS (École de technologie supérieure) de fournir une liste de locaux libres pour la prière musulmane, on vit dans le n'importe quoi, l'arbitraire total et la subjectivité absolue érigés en modus operandi dans notre « vouloir vivre » collectif.
Notre système d'éducation est également une énorme tour de Babel sur la question des religions. Nos écoles publiques sont déconfessionnalisées officiellement, mais elles cohabitent avec des écoles privées « religieuses », dont certaines sont subventionnées par l'État, et d'autres qui ne le sont pas.
On se souvient, par exemple, de l'intention de Jean Charest de monter la subvention des écoles privées juives d'un impressionnant 60 % à un délirant 100 %.
Le Québec se flatte de ses écoles « déconfessionnalisées », mais il est, dans les faits, à des lunes d'un système d'éducation public, universel et laïque. Pour une petite société de 7 millions de personnes, dont la majorité parle une langue « étrangère » aux oreilles du reste du continent et a donc besoin d'un projet d'éducation plus cohérent pour tous ses citoyens, quelle que soit leur origine ou religion, on joue un jeu dangereux.
Pendant ce temps, ici, la Cour suprême contredit la Cour supérieure sur le kirpan. Par là, la ridicule Commission des droits de la personne est d'« opinion » que des élèves musulmans doivent pouvoir prier, selon leurs conditions, en pleine institution d'éducation dite séculaire.
Le concept hautement subjectif d' « accommodement raisonnable » veut dire une chose pour les uns et une chose bien différente pour les autres.
On y va à la pièce, les effets de mode pseudo-tolérante prennent le pas sur la réflexion sérieuse, les « feelings » et les « opinions » des uns et des autres prennent le pas sur l'analyse rigoureuse. Beaucoup de « moi, je pense que », de « moi, je crois que », et de « moi, je veux que »...
À travers le tout, des avocats surmédiatisés expriment leurs états d'âme sur ceci et cela, les juges non élus se contredisent entre eux, et, nos élus, restent pathétiquement silencieux.
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Confondre pratiques et symboles religieux
_ Dans cette ère du n'importe quoi, le pire de tout est cette confusion vicieuse qui s'est déjà installée entre la pratique d'une religion et le port de ses symboles.
Lorsqu'on parle d'un crucifix chrétien, d'une kipa juive, d'un voile musulman ou d'un kirpan sikh bien dissimulé et protégé, on parle d'un symbole religieux. On parle du port d'un objet qui, pour une personne, symbolise « sa » religion.
L'important est que ce symbole n'impose pas la pratique de cette religion à qui que ce soit d'autre dans un espace public, ni n'arrête ou ne déstabilise les activités normales de cet espace.
Le port libre d'un symbole religieux ne modifie donc en rien le caractère séculaire d'un espace ou d'une institution publique, à condition que la personne qui le porte vaque aux mêmes activités que les autres qui n'en portent pas.
Par contre, dans le cas de l'ÉTS et des locaux disponibles pour la prière musulmane, on entre dans la « pratique » d'une religion dans un lieu public non confessionnel - qui plus est, un lieu d'éducation !
Dans ce dossier, l'ÉTS est piégée. Ou elle obéit plus ou moins aux diktats de la Commission des droits de la personne en acceptant de fournir minimalement une liste de locaux libres pour la prière musulmane - ce qu'elle fera -, ou elle conteste cette décision devant les tribunaux et se livre ainsi à une autre forme d'arbitraire, celle des juges.
Surtout, l'ÉTS est laissée à elle-même face à des gouvernements et des partis d'opposition trop pleutres pour commencer à mettre un peu d'ordre dans la tour de Babel.
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Comme la Loi 101
_ Les juges d'une même cour se contredisent entre eux alors que les cours elles-mêmes se contredisent entre elles. Et après, on nous dira que les juges se basent sur des critères de droit « objectifs » et non sur leurs propres conditionnements idéologiques...
Et pourtant, nous avons déjà joué dans ce film. Depuis son adoption en 1977, on a assisté au charcutage systématique de la Loi 101 par des juges non élus et nommés par le premier ministre fédéral, lesquels nous ont imposé LEURS conditionnements idéologiques, LEUR arbitraire, LEUR subjectivité.
Peu à peu, patiemment, ils ont ébranlé l'édifice presque entier de la Loi 101 et dicté aux Québécois comment ils devaient concevoir et appliquer leur aménagement linguistique.
Si on ne fait rien, le même destin attend l'aménagement que les Québécois tentent de se donner sur la question de la PRATIQUE religieuse dans les espaces et les institutions publiques.
Dans une ère de montée mondiale des fondamentalismes religieux, musulmans et autres, cette question est beaucoup trop importante pour qu'elle soit laissée à l'arbitraire et aux états d'âme changeants et contradictoires des juges et des commissions de ceci et de cela.
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Où est le courage ? Où est la vision d'ensemble ?
_ Si notre gouvernement était courageux et avait une vision à long terme de l'intégration et de l'harmonie sociale souhaitée et souhaitable entre tous les Québécois, il soumettrait un projet de loi interdisant les pratiques religieuses dans les institutions publiques à une commission parlementaire.
Une fois le débat fait, une fois la loi adoptée, bien sûr, elle sera contestée devant les tribunaux. Bien sûr, elle sera défaite.
Restera alors la solution, parfaitement légale et légitime, de recourir à la clause dérogatoire - celle de la Charte fédérale des droits et de la Charte québécoise.
Mais pour cela, il nous faudra faire deux choses au préalable. Premièrement, expliquer à nouveau que la clause dérogatoire a été incluse dans nos chartes des droits expressément pour protéger, lorsque nécessaire, la souveraineté des parlements face à l'arbitraire des tribunaux.
Deuxièmement, se défaire de cette peur irrationnelle d'user, en effet, d'un outil légal et légitime. Cette peur - quelle belle coïncidence ! - nous vient justement de la saga de la Loi 101, ou de la crainte morbide de la protéger lorsque le moment est venu de le faire.
Le paradoxe ultime est que Robert Bourassa, un premier ministre fédéraliste et libéral, fut le seul à s'en prévaloir pour cette fin spécifique, alors que Lucien Bouchard, chef du PQ et « peureux en chef », nous a inculqué sa propre pleutrerie en 1996 lorsqu'il s'est dit incapable de « se regarder dans le miroir » s'il avait utilisé la clause dérogatoire pour protéger l'affichage unilingue français à l'extérieur des commerces.
Pourtant, Bouchard ne semble avoir aucune difficulté à se regarder dans le miroir chaque fois qu'il sort de son bureau d'avocats, avenue McGill College, et qu'il est à même d'admirer l'anglicisation de l'affichage commercial à Montréal...
Sur la montée des religions, la question est maintenant claire : prendrons-nous quelque leçon de la saga de la Loi 101 et de l'affaiblissement de son aménagement linguistique en opposant, enfin, la souveraineté de notre parlement à l'arbitraire des juges ?
Ou, baisserons-nous à nouveau les bras ?
À tête reposée - Josée Legault
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