Le bal de l'insignifiance consentie

Chronique de Robert Laplante

C'est officiel. Une fois de plus. Mais cette fois, c'est plus officiel que les autres fois: nous sommes leur chose. Et ils ne se gêneront pas pour la nommer comme ils veulent. Ainsi donc, nous sommes une nation dans un Canada uni. Il y en a qui trouvent que c'est mieux que d'être rien dans un Canada fort ou d'être absents d'une Constitution faite pour nous oblitérer. Il y en a qui sont seulement contents d'être contents.
Et il y en a des masses chez les indépendantistes qui s'en fichent complètement.
Les souverainistes n'avaient rien à quémander à Ottawa. La motion ne servait qu'à faire du pinaillage. Et elle leur est revenue en plein visage. La méthode de Harper a surpris, mais sur le fond, c'est toujours la même position. Le quémandage ne sert jamais qu'à fournir des occasions de la réitérer. Le Canada a réglé la question du Québec, il gère le bruit résiduel avec la certitude que son dispositif stratégique est efficace. Il a d'autant plus confiance en ses moyens et sa puissance qu'il sait pouvoir compter sur une phalange d'inconditionnels qui vont tout faire pour s'ajuster à ce qu'on attend d'eux. Pour mieux rester velléitaires, les souverainistes refusent de voir cela. Ils ont du mal à comprendre que notre cause n'avancera pas en tentant de mettre le Canada en demeure de quoi que ce soit.
Il leur faudrait centrer leur action sur le Québec et sur lui seul, l'appelant à faire sa cohésion pour s'arracher à cette tutelle qui lui fait prendre pour un combat épique une minable requête pour obtenir quarante-cinq secondes d'intervention. Il leur faudrait s'acharner à démonter la mécanique de la régression minoritaire et de l'éternelle minimisation des pertes. Il leur faudrait clairement présenter la rupture comme le seul moyen de se poser en maître de son parcours. Il y a déjà trop longtemps que le mouvement se pense en réaction à ce que fait Ottawa, à ce qu'il laisse au Québec, à ce qu'il lui imprime comme orientation. Ottawa fonce sans égards aux réactions dans la province et il a du succès. L'attentisme qui tient lieu de politique depuis 1996 lui laisse tout le champ libre. Et les souverainistes s'y font envoyer paître de belle manière. Déséquilibre fiscal, union sociale, fondations, représentation à l'Unesco, reconnaissance de la nation, la matière importe peu, le débat se fait toujours dans les catégories de l'adversaire. La politique des lamentations, c'est la gestion provinciale intériorisée.
Toute la semaine, nous aurons donc eu droit à de la politique provinciale de bas étage. Tous ces «sparages» n'auront servi qu'à laisser Ottawa maître du jeu. La motion s'inscrivait dans l'univers conceptuel de la politique canadian, elle aura donc servi à réaffirmer son ordre.
«C'est très significatif pour l'unité du pays», n'a pas manqué de noter Jean Charest, qui ne rate jamais une occasion de verrouiller une porte, surtout de l'extérieur. Le PQ s'est encore manifesté tel qu'en lui-même. Jonathan Valois n'a pu faire mieux que bafouiller, en attendant, on imagine, que son chef trouve une phrase pour se donner contenance quelque part entre la psycho-pop (dépendance affective!!??) et le lapsus fédéralisant (du concret dans la Constitution!), avant d'aboutir dans la génétique canadian. Le Bloc aura de nouveau servi à rendre la cruelle évidence d'un Québec qui ne fait plus peur à personne, sans pour autant cesser de susciter la même répulsion viscérale. Et il faudrait faire semblant de croire à la victoire morale là où Harper déguste le coup fourré? C'est toute une reconnaissance, une véritable prouesse névrotique de s'affirmer pour mieux s'abolir en admettant exister par effraction! Il faudrait s'imaginer foncer dans l'avenir en squattant un symbole creux? Pusillanime ou pathétique? L'un n'exclut pas l'autre, malheureusement.
Il ne restait plus qu'à trouver la façon la moins inélégante de perdre la joute parlementaire. Cela sera bu jusqu'à la lie.
On ne pouvait trouver plus belle illustration de la position de partis qui ont perdu l'initiative et qui se font enfirouâper dans le matériau et par les manoeuvres dans lesquels ils se laissent entraîner. La semaine passée et celle qui s'amorce n'annoncent moins qu'elles ne dévoilent. Le nécessaire réalignement que les politiciens souverainistes ne veulent pas faire, la politique canadian va le leur imposer. Ou bien ils vont quitter la politique velléitaire pour reprendre l'offensive indépendantiste, ou bien ils vont se faire réduire aux simagrées, se faire piéger dans leur propre rhétorique. Il se dessine quelque chose comme un moment de vérité. Joseph Facal a raison: «Un peuple ne peut pas toujours être plus vigoureux que ses chefs» (Journal de Montréal, 9 novembre).
Stephen Harper, lui, a bien joué ses cartes de politicien canadian. «C'est bon pour l'unité nationale», a-t-il répété, ironique et satisfait de redire que cela n'avait aucune portée, et pour mieux savourer son plaisir de voir qu'il suffit de peu de choses pour faire cafouiller les politiciens souverainistes. Il s'est comporté comme un vrai premier ministre qui place l'unité nationale au sommet des priorités. Il a trouvé la bonne formule pour réaffirmer l'essentiel: il ne reconnaît pas le droit à l'autodétermination du peuple québécois. Le reste, c'est en prime. Un cadeau qu'il s'offre de pouvoir donner un coup de main à celui qu'il aimerait bien se choisir comme adversaire. Et, bien sûr, une gâterie qu'il savoure, il paie en monnaie de singe sa place au spectacle de vaudeville auquel tout cela donne lieu dans la province de Québec.
Et les moulins ont tourné. Et tout ça nous donne le bal de l'insignifiance consentie. Et tout ça nous donne cette humiliante hypocrisie qui consiste à faire semblant de ne pas savoir le mépris que tout cela alimente, de consentir ainsi à se laisser enfermer dans le simulacre. Cachez-moi cette négation que je ne saurais voir! Et ce fut, c'est toujours cette morale d'encanteur, comme si notre peuple n'avait d'avenir qu'au mont-de-piété: il vaut mieux être reconnu servile que nié, derrière la mascarade que devant l'obligation de s'assumer. Les inconditionnels se trouvent chanceux de se faire lancer de faux-jetons, les politiciens souverainistes continuent d'espérer les transformer en pierre philosophale.
Les amateurs de dictionnaires, qui ont tant planché ces derniers jours, découvriront bien assez vite l'expression «faux comme diamants du Canada». Plus que jamais au cours des dix dernières années où le mouvement souverainiste n'a cessé de renoncer à reprendre l'initiative, notre espace politique n'aura autant ressemblé à un vaste marché de dupes. La province n'en finira donc jamais de se réinventer un répertoire de l'impuissance aliénée.
Nous sommes un peuple et un jour nous ferons notre indépendance, quel que soit le nom que le Canada nous donne ou nous refuse. «Cela ne pourra pas toujours ne pas arriver», comme l'a dit Gaston Miron. Cela arrivera quand les partis souverainistes seront capables d'accorder les mots et les gestes. Quand ils cesseront d'être velléitaires dans l'espace de l'Autre.
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Robert Laplante, directeur de l'Action nationale

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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