Le bonjour-hi et l’uniformisation de la pensée

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Le culte du Marché comme cheval de Troie de l'anglicisation du Québec

Le bonjour-hi a fait jaser, suivant de peu le scandale Adidas. Le Parti « conservateur » du Québec, une secte libertarienne, a lancé une pétition favorable au bilinguisme dans les commerces. Au Québec, la langue est encore un sujet sensible, et les indicateurs sont alarmants. On assimile généralement ces événements au colonialisme qui a tant marqué notre histoire. Ce n’est pas sans fondements. Il faudra cependant aussi y voir une manifestation du triomphe de l’idéologie de la mondialisation.


Pour que celle-ci puisse triompher, il faut qu’un langage appauvri et porteur de ses stéréotypes soit mis en place. Dans ce monde de concurrence entre les États, il faut bien qu’il y ait une uniformisation linguistique. Et ce mode de communication unificateur est le globish, terme désignant la langue de l’empire dans sa variante managériale. Ce n’est donc pas la langue de Shakespeare, de Mark Twain ou de James Joyce, mais bien un anglais mal parlé, au vocabulaire presque strictement commercial, faisant office de langue des affaires.


L’imposition du globish à l’échelle mondiale a pour effet de favoriser la mobilité intégrale du capital. Il faut bien un mode de communication pour que les grands capitalistes puissent communiquer entre eux. Il faut bien s’assurer, aussi, que les transnationales puissent embaucher des travailleurs capables de comprendre leur langue. Il faut donc qu’une grosse corporation puisse passer du Sri Lanka au Mexique sans avoir à se casser la tête au niveau des moyens de communication. On saisit parfaitement pourquoi les lois linguistiques au Québec dérangent tant les adeptes du néolibéralisme, représentant un frein au marché tout-puissant. Philippe Couillard, en pleine élection de 2014, avait d’ailleurs laissé échapper que les travailleurs des lignes de montage des usines devaient impérativement parler anglais au cas où un client étranger, en visite, souhaitait poser une question. Le globish s’est imposé comme langue des échanges marchands. Même chose en ce qui a trait à la rédaction des accords commerciaux.


Cette uniformisation linguistique a pour effet d’établir une seule manière de penser et de limiter la capacité à réfléchir. Cela n'a rien à voir avec le nécessaire apprentissage d'une langue seconde. Plus le langage business prendra de place dans nos vies et plus nous aurons du mal à réfléchir autrement qu’en des termes managériaux. Dans 1984, George Orwell appelait cela le novlangue :


« Le but du novlangue était, non seulement de fournir un mode d’expression aux idées générales et aux habitudes mentales des dévots [...], mais de rendre impossible tout autre mode de pensée. Il était entendu que lorsque le novlangue serait une fois pour toutes adopté et que l’ancilangue [langue ordinaire] serait oublié, une idée hérétique [...] serait impensable, du moins dans la mesure où la pensée dépend des mots. Le vocabulaire du novlangue était construit de telle sorte qu’il pût fournir une expression exacte, et souvent très nuancée, aux idées qu’un membre du Parti pouvait, à juste titre, désirer communiquer. Mais il excluait toutes les autres idées et même les possibilités d’y arriver par des méthodes indirectes. L’invention de mots nouveaux, l’élimination surtout des mots indésirables, la suppression dans les mots restants de toute signification secondaire, quelle qu’elle fût, contribuaient à ce résultat. [...] En dehors du désir de supprimer les mots dont le sens n’était pas orthodoxe, l’appauvrissement du vocabulaire était considéré comme une fin en soi et on ne laissait subsister aucun mot dont on pouvait se passer. Le novlangue était destiné non à étendre, mais à diminuer le domaine de la pensée, et la réduction au minimum du choix des mots aidait indirectement à atteindre ce but. » (George Orwell, 1984, Paris, Gallimard, 1972, p. 422-423)


Nous n’avons pas fini d’être traités comme des petits soldats du capital.


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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).