Le Canada: une machine à désincarner le Québec

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«Une machine à pulvériser l'identité des peuples»





Il est d’usage, chez les souverainistes, d’entretenir un rapport pacifié au Canada. On veut certes en sortir mais on prend la peine de dire que l’indépendance ne se fera pas contre le Canada mais pour le Québec. On comprend l’intention: mieux vaut, dans la vie, être positif que négatif, gentil que méchant, joyeux que grognon, souriant que scrogneugneu. On mobilise un peuple en misant sur ses passions hautes, pas sur ses passions basses. On ne pousse pas un peuple à se dépasser sans brandir pour lui un noble idéal.


Mais une fois qu’on a convenu de tout cela, peut-on quand même dire qu’on veut faire l’indépendance au moins en partie à cause du traitement que le Canada réserve au peuple québécois, et plus exactement, pour la manière qu’il a de programmer son ratatinement identitaire? Peut-on critiquer le régime canadien sans avoir d’un coup l’impression de verser dans un nationalisme ressentimenteux, rancunier et démodé? Oublie-t-on que dans l’histoire des peuples, l’exaspération peut quelquefois déclencher une contestation politique légitime?


Le Canada, on le sait, a cessé depuis longtemps d’envisager la possibilité même de reconnaître le Québec comme un de ses deux peuples fondateurs. Le régime de 1982 est fondé implicitement sur le rejet de la thèse des deux nations qui était pourtant au cœur de la refondation constitutionnelle entreprise depuis les années 1960: dans le Canada d’aujourd’hui, la province de Québec n’est plus qu’une province sur dix et le peuple québécois est réduit au statut de groupe ethnique parmi d’autres dans un pays où, apparemment, nous sommes tous des immigrants.


Étrangement, les Québécois ont dédramatisé la chose, comme si le statut politique d’un peuple était sans importance. On nous dira que 1982 ne date pas d’hier et qu’il faudrait passer à autre chose. C’est la thèse de ceux qui croient que les hommes ne vivent pas dans l’histoire et qui relativisent le poids d’un régime politique sur la personnalité collective d’un peuple. On serait plutôt en droit de dire que le régime de 1982, qui a été combattu pendant plus de deux décennies, et qui pour cela, voyait ses effets idéologiques plutôt contenus et contrariés, déploie aujourd’hui tout son potentiel corrosif pour l’identité québécoise. Mais c’est au moment où il est le plus radical dans ses effets que nous ne sommes plus capables de le penser.


Car ce qui est encore pire, c’est que les Québécois en viennent à intérioriser peu à peu la vision que le Canada a d’eux. Le Canada est ce pays qui transforme les Québécois en simples «francophones», autrement dit, en catégorie statistique fédérale aussi floue que déculturée. Ils en viennent eux-mêmes à douter de leur légitimité historique comme peuple. Ils acceptent la redéfinition diversitaire du Québec où la majorité historique francophone n’est qu’une composante parmi d’autres d’une société plurielle. Le Canada amène les Québécois à regarder leur propre identité comme un tricot trop serré. Le Canada nous amène à voir notre assimilation tranquille comme un progrès.


Le Canada est une machine à désincarner le peuple québécois, à le condamner à la sécheresse identitaire, à lui faire perdre le sens de ses intérêts nationaux, ou du moins, à lui faire croire que lorsqu’il les affirme, il va trop loin et doit être ramené à l’ordre. En fait, c’est une machine à pulvériser l’identité des peuples, dont il ne conserve qu’un folklore qu’il récupère au service du grand récit qu’il propose: celui du plus beau pays au monde, qui représenterait un laboratoire pour l’humanité entière, dans sa mise en valeur d’une diversité égalitaire. Il préfigure le destin des autres nations occidentales, qui si elles suivent la pente du multiculturalisme, seront aussi déracinées chez elles.


On y revient: les nationalistes québécois sont en droit de critiquer le Canada pour la manière dont il désincarne le peuple québécois en disqualifiant moralement sa prétention à être maître chez lui, en remettant en question sa prétention à définir les termes de l’intégration à sa culture, en faisant de sa langue nationale une langue optionnelle au cœur même de sa métropole et en poussant les Québécois à dédaigner leur propre identité, comme s’ils se grandissant en la reniant pour embrasser directement ou indirectement la vision du monde portée par Ottawa. Les nationalistes, autrement dit, devraient placer au coeur de leur discours la critique du régime canadien et cesser de faire semblant qu'il ne pèse pas sur nos vies.




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