Le charmeur de serpents

Gaz de schiste



Quelques semaines après que Lucien Bouchard eut succédé à Jacques Parizeau, j'avais demandé à l'ancien député de Terrebonne, Yves Blais, qui savait jeter un regard lucide sur les choses et les gens, comment son nouveau chef se comportait devant le caucus.
«C'est un charmeur. On a tous l'air d'une gang de serpents dans nos cruches», avait-il répondu. L'image était assez saisissante, mais il avait parfaitement raison, même si le charme opérait un peu moins à la fin de son règne.
Dans l'entrevue qu'il a accordée à RDI jeudi soir, le charmeur a démontré qu'il savait encore jouer admirablement de la flûte. Il n'a pas son pareil pour livrer avec une fausse candeur et une spontanéité tout aussi étudiée des «lignes de presse» préparées avec le plus grand soin. L'entrevue qu'il avait accordée un peu plus tôt à La Presse était de la même eau.
Aucun autre représentant patenté de l'industrie pétrolière et gazière ne pourrait prétendre oeuvrer dans l'intérêt supérieur de la population sans déclencher un immense éclat de rire. Lui, on a presque envie de le croire. Un enfirouapeur de premier ordre.
Il est aussi doué pour la surdramatisation que pour la banalisation. À l'entendre, à l'époque où il était premier ministre, les «droits sacrés» de la nation québécoise étaient systématiquement piétinés par Ottawa. En revanche, toute cette agitation autour du gaz de schiste relèverait de l'hystérie. Imaginez, tout cela pour onze malheureux petits puits, alors qu'il y en a 500 000 aux États-Unis! On est un peu ti-counes, non?
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Le metteur en scène Dominic Champagne, qui milite en faveur d'un moratoire, a souligné la minceur de l'expertise de l'ancien premier ministre en matière de gaz de schiste, mais il n'est pas homme à s'empêtrer dans les détails.
Un de ses trucs préférés est de balayer un argument embarrassant par une boutade lapidaire lancée sur un ton impatient. Jeudi, il a réglé le cas d'un spécialiste de l'UQAM, Marc Durand, en lui faisant dire — à tort — que les puits allaient exploser. Quand il était premier ministre, il avait décrété que Stéphane Dion n'existait pas (sic) pour éviter d'avoir à répondre à ses objections.
La patience n'a jamais été la première qualité de M. Bouchard. Il a déclaré un jour qu'il demeurait «froid comme de la glace» face à l'adversité. Venant de quelqu'un qui s'était emporté contre un homme qui refusait de lui serrer la main dans un bureau de scrutin, cela ne manquait pas d'humour. Maintenant qu'il a accepté de se lancer dans la mêlée, il lui faudra accepter d'être contesté sans monter sur ses grands chevaux.
Il était visiblement agacé d'entendre la collègue Anne-Marie Dussault répéter qu'il se substituait à Jean Charest dans le débat sur le gaz de schiste. Pourtant, c'est exactement ce qu'il fait. Le gouvernement ayant échoué à convaincre la population que leur exploitation est dans son intérêt, il a sous-traité le dossier à son prédécesseur en refilant la facture à Talisman.
Même si M. Bouchard s'est permis une petite critique du ministre de l'Environnement, Pierre Arcand, qu'il juge un peu trop alarmiste, toute cette histoire semble arrangée avec le gars des vues. La solution de remplacement à un moratoire qu'il a proposée hier est précisément celle que le gouvernement souhaite voir le BAPE proposer: se limiter dans un premier temps aux puits existants.
Son plaidoyer en faveur d'une prise de participation de l'État dans divers projets correspond également aux positions les plus récentes de la ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau. Soit, dans ce cas, il s'agit peut-être d'une coïncidence. Les positions de Mme Normandeau changent tellement d'une semaine à l'autre...
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Tous ceux qui le fréquentent en témoignent: M. Bouchard demeure un mordu de politique. L'automne dernier, quand il est apparu que François Legault songeait sérieusement à un retour, les péquistes ont tenté de se convaincre que leur ancien chef demeurerait neutre, mais ils devraient cesser de jouer à l'autruche.
Déjà, à l'époque où M. Legault était ministre dans le cabinet Landry, M. Bouchard l'encourageait à fonder un nouveau parti. Il ne faut pas s'y tromper: les propos qu'il a tenus jeudi sur le vide politique créé par l'inaction des «deux autres partis» et sur la nécessité de s'occuper en priorité des problèmes urgents qui confrontent la société québécoise avaient valeur de bénédiction.
À tous égards, les positions de M. Legault sont infiniment plus proches des siennes que celles du PQ. Plus encore que l'échéancier référendaire, c'est la question linguistique qui avait provoqué le divorce entre M. Bouchard et les militants péquistes. Le récent durcissement du PQ, en particulier sur la question du cégep anglais, ne peut que les éloigner davantage.
À 72 ans, M. Bouchard ne redescendra pas dans l'arène, mais si M. Legault met ses projets à exécution, il sait pouvoir compter sur l'appui du charmeur de serpents.
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mdavid@ledevoir.com


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