Le courage dans les affaires de la bourgade

Chronique de Robert Laplante




J’ai planté un chêne / Au bout de mon champ

Ce fut ma semaine / Perdrerai-je ma peine

J’ai planté un chêne / Au bout de mon champ

Perdrerai-je ma peine / Perdrerai-je mon temps

— Gilles Vigneault


Lentement, péniblement, le combat pour l’indépendance entre dans une nouvelle phase. L’heure des certitudes candides sur le mouvement inéluctable de l’Histoire s’achève dans la résignation maladroite du PQ à faire le constat qu’il a nié depuis 1995 : par sa faute, par celle de Lucien Bouchard et consorts, il a gaspillé la conjoncture. Sa troisième place, il se l’est méritée pour avoir détruit le rapport des forces en attendant une aussi lâche que chimérique réunion des conditions gagnantes, le mouvement national a perdu l’initiative historique. Au moment où l’idée d’indépendance maintient de solides appuis, pratiquement au double des appuis au PQ, il n’y a pourtant pas lieu de désespérer même s’il est exaspérant de voir le Québec tourner en rond et s’enliser dans la médiocrité parce que le parti politique se disant porteur de son émancipation n’en finit plus de rabougrir. Il faut réfléchir dans les termes du combat national, pas dans ceux de la politique provinciale dont ce parti semble incapable de s’extirper. Ceux-là qui font carrière à annoncer qu’il faut faire le deuil de l’indépendance n’ont pas compris que les indépendantistes préféreront faire le deuil du PQ plutôt que de consentir au reniement des aspirations fondamentales.
Le PQ est en train de l’apprendre à ses dépens, on ne brandit pas impunément l’idéal de l’indépendance.

Lancées dans les jours qui ont suivi son accession à la tête du parti, les déclarations de Pauline Marois auront tôt fait d’assombrir l’été naissant. C’est évident, sous sa gouverne le PQ reste enferré dans le référendisme. L’étapisme et la gestion provinciale lui tiennent lieu d’horizon. Reporter le référendum ? Ce n’était que réalisme élémentaire. Songer à redéfinir l’espace politique et le combat national en repensant le rôle de cet instrument ? Il semble bien que la tâche paraisse impossible – à moins qu’elle ne soit tout simplement considérée comme obscène. Le cadre que Pauline Marois laisse deviner, c’est toujours le même bon vieux réflexe du messianisme technocratique : un jour, le peuple aura assez bien mûri pour rejoindre l’idéal de ce parti éclairé. Et ce jour arrivant, on ne sait trop comment puisque le PQ refuse de s’engager à gouverner en prenant les moyens pour que cela advienne, le grand moment inaugural lancera la province dans une autre ronde de discussions avec Ottawa. Il aura fallu parcourir tout ce chemin avant de se mettre en marche!
C’est toujours le même refrain, l’accession à l’indépendance ne serait pas une affaire de combat politique et de mobilisation mais de mûrissement des mentalités. Cela ne parvient même pas à le justifier de n’avoir rien fait, alors qu’il formait le gouvernement, ni pour la formation politique et encore moins pour la mobilisation de ses membres. On ne s’explique pas davantage la pure bêtise de n’avoir même pas formé de cellule stratégique (le war room) alors qu’Ottawa lançait contre le Québec toute la machine de l’État canadian dans une véritable opération de déstabilisation et d’occupation. Candeur ? Irresponsabilité ? Amateurisme ? Bon-ententisme ? C’est au choix. Le résultat reste le même et Lucien Bouchard a dicté la formule qui tient lieu pour plusieurs de légitimation ultime, blâmant le peuple de ne pas avoir marché devant lui. « On ne fait pas pousser une fleur en tirant dessus. » « On ne peut pas pousser une corde ».« Les gens ne sont pas là. Il faut d’abord écouter leurs préoccupations. » Ces insignifiances, on nous les sert sur tous les tons et à tout propos. Le combat pour l’indépendance a besoin d’un parti politique, pas d’une amicale de pédagogues. Il y a trop de gens qui confondent un objectif et un étendard. Et qui s’accommodent fort bien de l’impuissance provinciale.
L’érosion de ses appuis électoraux n’a rien à voir avec un quelconque déficit d’attention. Les électeurs entendent très bien et ils savent distinguer la rhétorique incantatoire de l’engagement authentique, la politique de la manœuvre politicienne. Par la conduite erratique de ses leaders, par son incapacité à faire les constats et les remises en question qui s’imposent, ce parti est d’abord victime de lui-même. Sa posture velléitaire et sa conduite équivoque dès lors qu’il s’agit de poser son objectif fondamental ailleurs que dans l’ornementation l’ont enfoncé dans un déficit de crédibilité dont il commence à peine à prendre la mesure. Il est difficile de croire en sa capacité de se renouveler.
Les résultats désolants de la Saison des idées ont plombé le passif et minent la confiance dans la sincérité et les capacités de ce parti, de son élite, de ses élus et de son appareil à mener à bien pareille tâche. Pareille manœuvre strictement occupationnelle ne pouvait faire autrement que se retourner contre ses concepteurs. Le PQ en paie chèrement le prix, lui qui a gaspillé un temps précieux à la mascarade en plus de semer la méfiance dans des groupes que le scepticisme à son endroit avait depuis longtemps attiédis. Il était déjà évident à ce moment-là que le dynamisme intellectuel ne se trouvait plus tant dans le parti que sur son pourtour. La Saison des idées aura fait la démonstration que le parti n’avait plus la capacité – ni la volonté dans bien des cas - de faire la synthèse des idées qui font carburer les forces vives. Il ne parvenait pas à accueillir et soutenir le dialogue, à servir en quelque sorte de percolateur pour le potentiel créateur et l’innovation du Québec en mouvement. Il ne parvenait plus à faire la synthèse nationale. Rigidité technocratique, establishment engoncé, clientélisme primaire, amateurisme militant dans bien des cas, incompétence crasse dans d’autres, la machine péquiste a manifesté là d’accablants signes de vieillissement. Des signes que le juvénisme névrotique a dévoilé et renforcé plus qu’il n’a combattu. Avec le résultat que l’on sait.
Depuis 1995 ce parti a échoué, il n’a pas été à la hauteur des exigences historiques. Il lui aurait fallu et il lui faudrait l’humilité de reconnaître son échec. Pour l’instant, il donne l’impression de chercher encore à le camoufler dans une glose sur la communication – être à l’écoute – et dans la transfiguration du messianisme technocratique en onirisme compensatoire – rêver le pays en espérant que cela fera mûrir les mentalités. Ils sont nombreux les indépendantistes et les citoyens à voir dans les contorsions intellectuelles qui alimentent la rumeur autant de manières de chercher à se soustraire aux exigences du combat sans paraître se délester ouvertement de l’option. Opération grandes oreilles, référendum d’initiative, exercices de nécromancie collective, tout cela ressemble à autant d’alibis pour chercher la recette électorale la moins engageante pour attirer le chaland et reprendre la gouverne de la province. L’heure n’est pourtant pas au renouvellement du fond de commerce mais au ressourcement.
Ce parti en sera-t-il capable de façon convaincante et rassembleuse ? A-t-il terminé sa vie utile ? Le proche avenir et le prochain scrutin le diront. Pour un nombre grandissant d’indépendantistes cependant, le deuil est déjà fait de ce parti. Une nouvelle dynamique est désormais en train de se déployer. C’est un secret de polichinelle : la question de la formation d’un nouveau parti est largement débattue et au moins un groupe s’emploie d’ores et déjà à en jeter les bases. Le feront-ils ? Choisiront-ils de se former en mouvement plutôt qu’en parti ? L’avenir le dira. Une chose est certaine, cette tendance est là pour rester. Elle a été très abondamment nourrie par un travail de réflexion mené sur plusieurs années et dans de nombreux forums militants. Le niveau d’abstention et le transfert des voies souverainistes vers les autres partis, en particulier l’ADQ, en sera-t-il atténué ou même arrêté ? Cela reste à voir. Il apparaît néanmoins que la coalition indépendantiste ne logera plus à l’intérieur du PQ. Si elle doit se faire comme dit le souhaiter Pauline Marois, elle devra s’inscrire dans l’espace du pacte, celui des accords et des alliances entre entités séparées. René Lévesque, qui n’avait pas apprécié l’entrisme provoqué par le sabordement du RIN, avait longtemps souhaité la résurgence d’un nouveau parti devant lequel il aurait aimé se présenter comme plus modéré, plus conciliant avec ce cher Canada. Est-ce le calcul de Pauline Marois ou s’est-elle tout simplement enferrée dans les contradictions d’un cadre stratégique déglingué ?
Il s’en trouvera pour déplorer cet état de fait et encore en appeler à la retenue, sous prétexte de ne pas diviser les forces. La réalité, c’est que les forces sont divisées non pas par indiscipline mais par des projets se démarquant par des options stratégiques et des philosophies de l’action si difficiles à concilier qu’ils sont en passe de devenir des options politiques différentes. C’est le PQ qui a créé cette situation, par son refus de l’action historique, par ses choix dogmatiques, par sa méfiance et parfois même son mépris pour ses militants les plus engagés. C’est sur lui que pèsera la nécessité de créer les passerelles, si tant est que cela soit possible et souhaité. La naissance d’un nouveau parti ne lui soustraira pas des votes que ces militants sont – que ça plaise ou non – décidés à ne plus lui accorder. Effet pervers de l’électoralisme à courte vue, calcul cynique ou éclatement des contradictions d’un parti incapable de faire la part entre la gouverne de la province et le combat national, les explications peuvent faire l’objet de bien des dissertations. Mais dans le champ politique, le résultat net c’est que cela condamne le PQ à se raccorder avec une perspective nationale structurante. Qu’il le veuille ou non, il ne sera plus en débat avec lui-même. Il sera confronté à un champ de forces qui ne seront plus strictement provinciales.
Mme Marois n’aura pas de mal à faire la discipline dans son parti : les militants qui lui restent vont la suivre sans doute sur un bon bout de chemin. Les critiques ne se tairont cependant pas car les indépendantistes qui vont choisir de militer ailleurs, plutôt que de s’abstenir ou de voter par protestation, vont nécessairement ouvrir un espace de débat auquel le PQ ne pourra se soustraire sans se marginaliser davantage. L’arrivée de Québec Solidaire avait fait craindre aux stratèges péquistes de se faire prendre sur la gauche. C’est cela qui les a lancés sur les traces de Tony Blair pour tenter de reconquérir le vote qu’ils ont perdu… non pas à droite, mais sur le plan national. S’imaginant encore que son salut passe d’abord par le renouvellement de la social-démocratie assaisonnée d’un retour au discours identitaire, le parti reste encore prisonnier d’une lecture de la conjoncture définie dans les catégories intellectuelles de l’adversaire, captif de la pensée annexée qui domine la vie de la province.
Les sondeurs et tous les bonimenteurs de la coterie du cartel médiatique n’ont pas manqué d’embrouiller les choses, en effet, en attribuant la montée de l’ADQ au comportement d’une clientèle plus sensible à l’identitaire. Une véritable niaiserie. Ce qui s’est exprimé autour de la question des accommodements raisonnables, c’est une inquiétude de minoritaire. Une inquiétude nationale mal nommée, mal assumée. Une angoisse de régression. L’identitaire, c’est une catégorie frelatée, un instrument d’intériorisation de la vision folklorisante de soi-même. L’identitaire, c’est le concept siamois de l’autonomisme. Ce qui structure notre condition politique, c’est un dilemme existentiel : le consentement à la minorisation ou l’émancipation nationale. L’ADQ veut faire semblant qu’il est évitable. Le PQ est prêt à attendre encore trois mandats pour le trancher. D’autres sont convaincus qu’il faut une riposte de tous les instants et se battre pour défaire et briser le carcan. Le pays qu’ils veulent affranchir sera peut-être long à venir, mais il n’arrivera pas par inadvertance. Si Pauline Marois écoute, c’est aussi ce qu’elle entendra : un très grand nombre d’indépendantistes ne marchent plus dans le péquisme. Si coalition il doit y avoir, il faudra qu’elle se fasse sur un cadre stratégique révisé, sur une conception ferme de la nation et sur des propositions incarnant clairement l’intérêt national.
Pour le moment, le Québec s’habitue tellement bien aux demi-mesures auxquelles le condamne la gestion provinciale, qu’il a de plus en plus de mal à se saisir dans son espace propre. Les débats publics et la dynamique des partis s’en trouvent déportés dans une espèce d’irréalité qui ne sert qu’à accroître et cultiver le cynisme démissionnaire. Les Québécois et leurs partis politiques s’habituent à ce que rien de ce que décide leur gouvernement national ne soit pérenne. La loi 101 n’est que l’ombre de ce qu’elle était, nos politiques sociales s’étiolent, sous-financées, combattues par des normes fédérales, défigurées par le piétinement des compétences, nos universités asphyxient, nos choix environnementaux sont réduits au bricolage, mais qu’à cela ne tienne, les débats se font comme si c’était cela la normalité des choses. L’ADQ incarne parfaitement cette culture de la résignation et l’on comprend dès lors que ce parti soit en train de faire basculer le centre de gravité de la politique provinciale.
Quand on travaille avec des demi-mesures, on ne récolte bien souvent que des demi-succès. Mais on fait naître des attentes et on crée des frustrations à la hauteur de ce qu’on a laissé apercevoir dans ce qui s’est esquissé. C’est sur ces frustrations que Mario Dumont fait du surf. Il va proposer de chauffer la maison en brûlant les meubles, c’est-à-dire en comblant les manques à partir des matériaux qu’il va retirer de ce qui a été a moitié construit. Ses propositions concernant les services de garde en fournissent la parfaite illustration. Le PQ s’enorgueillit d’avoir lancé un projet qu’il n’a pourtant jamais pu compléter faute de ressources, l’argent et une grande partie des compétences pour réussir une politique familiale se trouvant à Ottawa. Cela a suscité un enthousiasme tel que les imperfections et l’inachevé ont fini par rendre encore moins tolérables les lacunes face aux besoins non comblés et par attiser les frustrations. L’ADQ va déshabiller Pierre pour habiller Jacques, faire des incantations aux dieux du privé et surtout éviter de placer les choses en perspective. Il suffira de souffler sur les insatisfactions. L’impatience a fini par prévaloir sur le réalisme des moyens, personne ne voulant tirer les conclusions de ce que cela signifie que de se contenter de ce qu’Ottawa nous laisse. Résultat, un débat totalement bancal sur les services de garde et les allocations aux familles. En ces matières comme dans les autres, cela donnera des moitiés d’amanchures et il s’en trouvera pour se gausser du sain réalisme pragmatique.
On ne peut expliquer autrement que par la fascination pour la médiocrité résignée l’enthousiasme avec lequel le PQ et le PLQ se sont mis à singer l’ADQ. S’affirmer sans se séparer, la belle affaire ! Une autre demi-mesure pour mieux consentir à un ordre qu’on renonce à combattre. Un ordre qui se renforce de ces simagrées, qui se joue de voir soliloquer la belle province. Toute la classe politique s’agite pour faire semblant que c’est du sérieux. Il n’y a pourtant que la soumission à la clé. Le statut de subalterne mieux confortablement installé sous le joug ne se négocie pas. Minoritaire, on s’accommode et on ravale. On peut toujours protester, ça donne bonne conscience mais les fanfaronnades resteront sans lendemain. Rien dans la position de l’ADQ ne bouleversera l’ordre constitutionnel canadian. Toute la classe politique le sait. Mais elle reste convaincue que la conquête des clientèles électorales passe par ces simagrées sous prétexte que le peuple ne veut pas de sa liberté. Elle va donc s’activer à promettre de redresser les affaires de la province pour ne pas avoir à déranger celles du Canada. Nos politiciens ne manquent pas de courage dans les affaires de la bourgade, ils n’en ont aucun dans celles de la nation.
Cela ne durera pas toujours. L’arrivée d’un nouveau parti ou mouvement va peut-être briser la chorale, casser quelques silences entendus. Les indépendantistes sont durs à l’ouvrage et bien capables de faire surgir ce qui accélèrera l’Histoire.

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Robert Laplante173 articles

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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