C’est un homme qui a une discipline de fer, une patience infinie, des idées colossales et des illusions insatiables.
Sa dévotion est au mot. Son pouvoir est à la séduction. Il va chercher les problèmes là où ils sont. L’impulsion de l’inspiration est l’un des traits principaux de son caractère. Les livres reflètent très bien l’étendue de ses goûts. Il a arrêté de fumer pour avoir l’autorité morale de combattre l’addiction au tabac. Il aime préparer des recettes culinaires avec une sorte de ferveur scientifique. Il se maintient en excellente condition physique en passant des heures à faire toutes sortes de gymnastiques et il nage fréquemment. Sa patience est invincible. Sa discipline est de fer. La force de son imagination le pousse jusqu’aux limites de l’imprévu.
José Martí est son auteur préféré et il a eu le talent d’incorporer la pensée de Martí dans le torrent d’optimisme de la révolution marxiste. L’essence de sa propre pensée pourrait résider dans la certitude que, si l’on entreprend un travail de masse, il est fondamental de s’intéresser aux individus.
Cela pourrait expliquer la confiance absolue qu’il place dans le contact direct. Il a un langage pour chaque occasion et un moyen distinct de persuasion selon ses interlocuteurs. Il sait comment se mettre au niveau de chacun et possède des connaissances vastes et variées qui lui permettent d’être à l’aise dans tous les médias. Une chose est sûre : il est où il est, comme il est et avec qui il est. Fidel Castro est là pour gagner. Son attitude en face de la défaite, même dans les actions les plus insignifiantes de la vie quotidienne, semble obéir à une logique personnelle : il ne le reconnaît même pas et il n’a pas une minute de paix tant qu’il n’a pas réussi à inverser les termes et à les convertir en victoire.
Son aide suprême est sa mémoire et il l’utilise, jusqu’à en abuser, pour soutenir des discours ou des conservations privées avec un raisonnement implacable et des opérations arithmétiques d’une rapidité incroyable. Il a un besoin incessant d’informations, bien mastiquées et bien digérées. Au petit-déjeuner il dévore pas moins de 200 pages de journaux. Comme il est capable de découvrir la plus petite contradiction dans une phrase ordinaire, les réponses doivent être exactes. Il est un lecteur vorace. Il est prêt à lire à toute heure tout journal qui lui atterri entre les mains.
Il ne perd pas une seule occasion de s’informer. Pendant la guerre d’Angola, lors d’une réception officielle, il a décrit une bataille avec tant de détails qu’il fut extrêmement difficile de convaincre un diplomate européen qu’il n’y avait pas participé.
Sa vision du futur de l’Amérique Latine est la même que celle de Bolívar et de Martí : une communauté intégrée et autonome, capable de changer le destin du monde. Le pays qu’il connaît en détails le mieux après Cuba sont les Etats-Unis : la nature de son peuple, ses structures de pouvoir, les intentions secondaires de ses gouvernements. Et ceci l’a aidé à affronter le tourment incessant de l’embargo.
Il n’a jamais refusé de répondre à quelque question que ce soit, aussi provocatrice puisse-t-elle être, il n’a jamais non plus perdu sa patience. En ce qui concerne ceux qui sont économes avec la vérité, pour de ne pas l’inquiéter plus qu’il ne l’est déjà, il le sait. À un fonctionnaire qui agissait ainsi, il a dit : « Vous me cachez des vérités pour ne pas m’inquiéter, mais, lorsque je finirai par les découvrir, je mourrai du choc de devoir affronter tant de vérités que l’on m’a cachées ». Mais, les vérités que l’on cache pour masquer les déficiences sont les plus graves, parce qu’à côté des accomplissements énormes qui donnent des forces à la révolution – les accomplissements politiques, scientifiques, sportifs et culturels – il y a une incompétence bureaucratique colossale, qui affecte la vie quotidienne et en particulier le bonheur familial.
Dans la rue, lorsqu’il parle aux gens, sa conversation retrouve l’expression et la franchise crue de l’affection sincère. Ils l’appellent : Fidel. Ils s’adressent à lui sans façons, ils discutent avec lui, ils l’acclament. C’est à ce moment-là que l’on découvre l’être humain inhabituel que la réflexion de sa propre image ne laisse pas voir. C’est le Fidel Castro que je crois connaître. Un homme aux habitudes austères et aux illusions insatiables, qui a reçu une éducation formelle à l’ancienne, utilisant des mots prudents et des tons contenus, et qui est incapable de concevoir toute idée qui n’est pas colossale.
Je l’ai entendu évoquer des choses qu’il aurait pu faire d’une autre façon pour gagner du temps dans la vie. Le voir surchargé par le poids de tant de destinées distantes, je lui ai demandé ce qu’il préférait faire dans ce monde et il m’a immédiatement répondu : « Rester dans un coin ».
Gabriel García Márquez a reçut le prix Nobel de littérature
The Guardian, 12 août 2006
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