Le grand roman français du Canada

Cherchez la fracture, il n’y en a pas.

Chronique d'André Savard


Depuis deux ans, les querelles au sein des hautes sphères chargées d’organiser les célébrations du 400 ième anniversaire défraient la chronique. Les portes claquent, de nouvelles figures font leur entrée, lesquelles finissent à leur tour par se porter sur les nerfs. On parle beaucoup des organisateurs, des serpentins, des miroirs pour bien peigner la girafe, de ce qu’on aura à acheter: plaques et ressorts à boudins, manivelles, et de la responsabilité des paliers gouvernementaux ; des épaulettes qui seront fournies par le ministère du Patrimoine Canadien..
On marche sur les oeufs. Un gros poids pèse sur l’organisateur en chef car, pour ne pas mécontenter, les chancelleries s’évertuent à parler de ces célébrations comme d’un haut fait organisationnel. Pour ce qui est de la signification profonde de l’événement, on a assuré qu’elle correspondait à la position officielle du gouvernement canadien.
Pas de dépêches de Londres, pas de visites de la reine, le gouvernement national français fut appelé à la rescousse pour confirmer que l’on pouvait dormir sur la position canadienne. Par les bouches de Kouchner et de Sarkozy, la littérature charmante sur le “grand Canada” fondé par Champlain fut corroborée.
Du côté de la population canadienne, on est habitué à laisser patauger le Québec dans ses fables et à le laisser croire à ses propres mythes, du moment que ceux-ci renforcent sa foi dans le Canada et sa responsabilité de se rabattre sous un front uni. Pour les Canadiens, la vérité c’est que Champlain a fondé une ville. John Cabot a découvert le Canada et Jacques-Cartier est venu fonder une deuxième province. S’il croyait fonder un pays au nom de la France, il s’agissait d’une usurpation.
Pour eux, ce pays appartenait déjà à l’Angleterre et ce que, nous, nous appelons la Conquête fut une haute oeuvre de récupération héroïque de ce qui leur appartenait en droit. Pas de fondation donc; des Français sont venus voler du territoire canadien et l’Angleterre est venue leur apprendre que les schémas territoriaux, les parties en pointillé, les pièces de rechange, tout cela était du ressort de l’Empire, pas des Français. C’est d’ailleurs cette même logique impérialiste qui se poursuit aujourd’hui quand on traite l’indépendance du Québec comme un cas de partition du Canada. On signifie ainsi que les Québécois ont tout emprunté.
S’ils croyaient avoir fondé quelque chose, les Français se sont mépris. Ils ont imaginé un grand roman d’aventure. Le point de vue canadien sur les origines du Québec est même infamant. Si nous voyons en Cartier et Champlain des fondateurs, eux voient en eux des voleurs qui ont nimbé leurs méfaits sous un voile romantique. Si Richler était encore de ce monde, il ne s’en cacherait pas. Il ferait fi de l’omerta et il s’ouvrirait la trappe toute grande. Des écrivains comme Mordecaï Richler ont traduit la vision canadienne sans fard.
Le gouvernement canadien, quel que soit le parti au pouvoir, n’hésite pas cependant à verser des subsides pour que les Québécois continuent à se voir comme les fondateurs du Canada. Tout pour que le Québec voit dans le Canada son propre bercail. La signification entourant la fondation de la ville de Québec ne doit pas déborder du cadre prescrit. Si on avait confronté l’imaginaire collectif canadien et l’imaginaire collectif québécois, un désenchantement certain eut frappé de plein fouet l’événement.
Entre eux, les Canadiens n’ont jamais hésité à voir John Cabot comme le fondateur du Canada et l’Angleterre comme sa nation fondatrice. Nos ancêtres se croyaient envoyés par la France? En fait, ils s’agitaient dans l’estomac de l’Angleterre et ils ne le savaient pas. Ils se croyaient arrivants légitimes ? Ils étaient, si on se fie à la vision canadienne, plutôt des immigrants illégaux.
Au début de son règne à la tête du gouvernement, Stephen Harper partagea publiquement la vision canadienne dans un discours vantant le colonialisme britannique le 14 juillet. Il a déjà fait l’objet d’une chronique de ma part intitulé [« Stephen Harper un Fils d’Albion »->1249].
Stephen Harper a mis cette vision dans le placard le temps de se porter garant de l’autre vision selon laquelle le français est « la langue fondatrice du Canada ». Cette vision permet de présenter le Canada comme une extrapolation du nationalisme québécois. Elle permet en outre de montrer le premier ministre canadien dans un personnage de pasteur, apôtre du fait français.
Bien que la culture canadienne ne partage le mythe de la continuité de la fondation du Canada actuel par les Français, elle accepte que leurs gouvernants l’endossent publiquement. Les Canadiens savent que leur point de vue négatif ne peut rien donner au Québec sinon aigreur et déception. Confinés dans une discrétion passagère, ils ont le sentiment de permettre aux Québécois de partir de principes positifs pour considérer le pays où ils sont annexés.
Cette annexion, à leurs yeux, n’implique d’ailleurs aucun tort de leur part. Le peuple est libre et dans l’ensemble satisfait. Le mécontentement n’est pas essentiel. Il ne touche pas les fondements de la vie de la population.
C’est pour eux un haut fait de leur démocratie canadienne que la population québécoise puisse entretenir une propagande officielle parallèle qui soulage son ego. Si l’origine n’est pas la même selon que l’on soit Québécois ou Canadien, rien n’empêche les Québécois de célébrer. Cependant, il faut contrôler le message. D’où l’entêtement de présenter les événements de la fondation de Québec sur le plan administratif et organisationnel.
En entrevue, au début de l’année, le premier ministre Jean Charest a fait valoir que “400 ans c’est bien court”, l’histoire humaine se mesurant par millénaires. Il s’est à peine retenu de relancer ses laïus sur le petit écart qui séparait la première vague migratoire française des autres. Le message est contrôlé de manière à présenter les ancêtres comme des pionniers certes, courageux, mais condamnés à traîner leur existence bienheureuse sous la direction d’un pouvoir adoré et continu. Cherchez la fracture, il n’y en a pas.
Surtout mais surtout, en bons fédéralistes, on se doit d’insister sur le fait que le Canada n’a jamais été perdu. On vogue de bienfait en bienfait. Si par hypothèse un changement de régime est survenu, c’était pour mieux se faire promettre une haute protection. Pour qu’une telle version des faits tiennent, on comprend qu’on ait voulu absolument dans le décor des émissaires français, se disant tout aussi heureux que les hôtes. Faute d’avoir la réincarnation de Champlain, on a Kouchner et Sarkozy prêts à bénir cette fondation heureuse qui nous a permis de continuer à vivre dans une société merveilleuse.
Cet été nous allons assister à la distribution de rubans et de divers ordres méritoires. Les émissaires auront la poitrine couverte de médailles étincelantes. Ce sera bien organisé comme un bon roman français qu’on a bien le droit de se raconter.
André Savard


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